THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE NEUVIÈME. 

 

Le jour vient graduellement pendant cette scène.


LES PRÉCÉDENTS, LE ROI DE FRANCE, CORDÉLIA,

enveloppés dans des manteaux. Un Officier les précède.



(L’officier fait entendre le son du cor.)


KENT. - Le mot d'ordre.


L'OFFICIER. - Père et patrie.


KENT. - Bonheur ! ce sont les nôtres. Approchez, envoyé du Roi de France, vous voyez en moi le comte de Kent.


CORDÉLIA. - Mon digne ami, mon fidèle Kent, n'arrivons nous pas trop tard ?


KENT. - Vous ici, Cordélia, ma royale maîtresse ! Quoi vous n'avez pas craint de venir en personne courir les risques de cette guerre ! Oui, votre père existe encore, mais hélas que ses malheurs l'ont affaibli !


CORDÉLIA. - J'ai suivi mon époux, et je viens secourir mon père ! Avez-vous pensé noble Kent, que là couronne dût assez me changer pour me faire oublier ces devoirs. Où est-il, ce malheureux monarque que ses filles ont abreuvé de tant d'humiliation ?


LE FOU. - Il est là, Madame, il repose. C'est la première fois depuis bien des jours que le sommeil le visite aussi longtemps ; je n'ose pas l'éveiller.


CORDÉLIA. - Garde-t'en bien, bon serviteur. Je sais tout ce que tu as fait pour ton maître ; je ne souffrirai, plus désormais que tu portes l'habit d'un fou. Le titre de baron, des terres, et une charge à la cour seront une faible récompense de ton mérite.


LE FOU. - Laissez moi Madame porter l'habit sous lequel mon maître me reconnaît ; que, jusqu'à la fin de sa vie, il puisse me garder un nom qui lui rappellera un sujet loyal. Et puis, voyez-vous, si vous me payiez trop bien, cela mettrait le dévouement en vogue, et, au prix où vous l'estimez, vous seriez bientôt ruinée.


LE ROI DE FRANCE. - Ma chère Cordélia, vous agissez ici un peu en femme, vous disposez des droits du vainqueur avant d'avoir commencé la guerre.


CORDELIA. - La guerre et contre mes sœurs ! Que cela est affreux.


LE DUC D'ALBANIE. - Ma sœur, je me suis engagé d'avance à être votre allié.


LE ROI DE FRANCE. - Duc, cette soumission sauvera votre couronne.

LE DUC D'ALBANIE. - Je n'y ai plus de droits ! le duc de Kent vous en donnera les motifs dans un autre moment ; mais je puis encore lever une armée en Albanie, et je la mettrai à votre disposition.


EDGARD, au roi de France. - Mon père, le comte de Glocester, viendra à la tête de ses vassaux se ranger sous l'obéissance de Votre Majesté, si l'on peut le faire prévenir de ce qui se passe.


LE ROI DE FRANCE. - Le comte de Kent lui enverra un avis. Le comte de Glocester et son fils aîné sont déjà inscrits au nombre de ceux que nous comptons pour nos alliés.


LE COMTE DE KENT. - Son fils est le jeune homme qui parle à Votre Majesté.


CORDÉLIA, qui s'est rapprochée de son père. - Il commence à faire un mouvement il va s'éveiller.


LE ROI LEAR. - Que l'on appelle mes filles, afin que je leur partage mon royaume.


CORDÉLIA, au comte de Kent. - Est-ce un rêve, ou bien sa raison aurait-elle succombé


LE ROI LEAR, avec colère. - N'ai je pas des serviteurs pour m'obéir ?


KENT. - Me voici, mon bon maître ; que voulez-vous ?


LE ROI LEAR. - C'est toi, Kent. Alors je ne suis plus roi, tu m'as pris ma couronne, et tu l'as donnée à Cordélia.


CORDÉLIA, à genoux. - Mon père, me voici à vos pieds, j'arrive de France pour vous replacer sur le trône et punir vos ennemis. Mon époux est, comme moi, soumis à votre obéissance.


LE ROI LEAR. - Viens-tu m'annoncer qu'une mort prochaine va m'affranchir de mes tourments, toi qui te montres à moi sous l'apparence d'un esprit bienheureux. Je te reconnais : tu es ma fille Cordélia que j'ai chassée de mes États, et tu me pardonnes. La vieillesse m'avait rendu insensé, c'est là mon excuse.


CORDÉLIA. - Que Votre Majesté daigne me bénir comme son enfant, je n'ai pas quitté la terre, et mon seul amour filial m'a conduite, ici.


LE ROI LEAR. - Ta voix est un baume bienfaisant, parle encore, fille bien aimée ; le calme rentre dans ma tête, mes idées s'éclaircissent, et, si je me rappelle mes douleurs passées, c'est pour te bénir de venir y mettre un terme ; mais ne crains-tu pas de t'exposer dans ce pays soumis à tes sœurs ?


CORDÉLIA. - Je suis dans ma première patrie, dans le royaume de mon père ; qui pourrait me traiter en ennemie ?


LE ROI LEAR. - C'est donc ainsi que tu entendais tes devoirs de fille lorsque je te trouvais si froide à les exprimer ? Et dans ma folie j'ai repoussé cette tendresse. Pardonne-moi, douce et chère enfant ; mais nous allons de nouveau assembler le conseil et tu seras reine.


KENT, à part. - Hélas, cet éclair de raison va-t-il déjà s'obscurcir ?


CORDÉLIA. - Tous les cœurs fidèles se rallieront à vous.


LE FOU, à part. - Nous n'étions que trois hier ; mais notre parti s'augmentera promptement lorsque l'on saura que nous avons des armées pour appuyer nos prétentions.


LE ROI DE FRANCE. - Il serait imprudent de rester plus longtemps isolés ici, allons rejoindre l'armée, et mettons la reine et son père à l'abri de toute atteinte.


EDGARD, en s'en allant. - Aussitôt que je le pourrai, je viendrai rendre les honneurs funéraires au malheureux Oswald.


La toile se baisse.



ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

(Une salle du Palais.)

LE ROI LEAR sur son trône, CORDELIA à ses cotés,

KENT LE FOU, Officiers, Gardes, Pages.



KENT. - La victoire vous a rendu vos états, mon souverain.


LE ROI LEAR. - Cordélia, ma fille bien-aimée ne me trouveras-tu pas bien faible, si je demande que l'on fasse grâce de la vie à tes coupables sœurs ?


CORDÉLIA. - Les Dieux ont prévenu la clémence que j'aurais été heureuse d'exercer. Gonerille à péri par les ordres de Régane, et la mal- heureuse duchesse de Cornouailles a été massacrée par ses propres sujets ainsi que son époux.


LE ROI LEAR. - Ce sont là d'affreuses nouvelles pour ma vieillesse mais puisque Régane et Gonerille se sont perdues elles-mêmes, je dois me soumettre à la volonté du destin.



SCÈNE DEUXIÈME.

LES PRÉCÉDENS, LE ROI DE FRANCE,

LE COMTE DE GLOCESTER, LE DUC D'ALBANIE, EDGARD.



LE ROI DE FRANCE, au roi Lear. - Vénérable monarque, nous t'avons rendu le bien qui t'appartenait, nous allons prendre congé de toi pour retourner dans nos États. Ta couronne est affermie, nous te laissons de loyaux conseillers dans les comtes de Kent et de Glocester ; le duc d'Albanie t'a donné des preuves de son dévouement, il nous reste à te recommander la fortune de ce jeune homme qui a contribué, par sa vaillance, à nous faire triompher. (Il désigne Edgard au Roi.)


LE ROI LEAR. - Ce royaume est le vôtre et non le mien, roi de France, je donne mes États à Cordélia, et je ne veux plus accepter pour moi la responsabilité du trône.


LE ROI DE FRANCE. - Si telle est votre volonté, nous prendrons la direction des affaires ; mais vous ne vous refuserez pas à garder le titre que nous voulons honorer dans le père de la reine de France.


LE ROI LEAR. - Je ne veux plus être roi que pour récompenser ceux qui m'ont suivi dans l'exil.


CORDÉLIA. - Pour ceux-là ils peuvent compter sur notre tendresse et nous serons heureux de joindre notre reconnaissance à la vôtre.


LE ROI LEAR, à son fou. - Que souhaites-tu toi, mon vieil ami ?


LE FOU. - Rien à présent, noncle, que de rester longtemps votre fou.


LE ROI LEAR. - Ah ! j'avais oublié ton ancien langage.


LE FOU. - Je ne serai pas le seul qui vous parlera désormais comme à son maître.


LE DUC D'ALBANIE. - Puis-je espérer d'obtenir le pardon de mon père ?


LE ROI LEAR. - Ceux qui sont rentrés en grâce auprès de ma fille n'ont rien à craindre de moi.


LE COMTE DE GLOCESTER, à son fils. - J'espère qu'aucun événement ne me séparera plus de toi, mon fils aimé, unique soutien de ma vieillesse ; moi aussi, j'aurai à te demander d'oublier ma facilité à croire aux accusations qui se sont élevées contre toi.


EDGARD. - Tant d'apparences me condamnaient, que vous ne pouviez pas faire autrement ; mais avec quelle tendresse vous m'avez rappelé pour me rendre mes droits.


La toile se baisse.


 

FIN




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