THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

ÉGLANTINE. - (bas à sa nourrice qui se tient auprès d'elle) Si mon chat était ici, nous ne lui verrions pas faire le gros dos.

?
LE ROI. - Que dites-vous, ma fille ?

ÉGLANTINE, d'un air embarrassé. - Mon père !

LE ROI. - Nourrice, que vous disait la princesse ?

LA NOURRICE. - Votre majesté saura d'abord que ma fille aime beaucoup les animaux, et que, pour flatter ce goût, le chevalier Belle-Épine votre futur gendre, lui a fait trois présents qui semblent sortir de la main des fées.

LE ROI. - Vous ne nous aviez pas dit cela, chevalier.

LE CHEVALIER BELLE-ÉPINE. - C'est, qu'en vérité, il n'y a pas de quoi en parler.

LE ROI. - Continuez, nourrice, que nous sachions de quoi il s'agit.

LA NOURRICE. - Ma chère Églantine a maintenant en son pouvoir un serin qui parle, une souris qui pénètre partout et un chat qui fait le gros dos quand il entend des paroles menteuses.

LES GENS DE LA COUR (entre eux avec inquiétude.) C'est une trahison. Il faudra tuer cette vilaine bête ! Et nous venger du chevalier. Le mariage ne doit pas s'accomplir. Un homme qui fait de tels présents est trop dangereux à la cour.

LE ROI, au chevalier. - Comment avez-vous pu acquérir ces merveilles ?

LE CHEVALIER. - Pour plaire à la princesse, il ne m'est rien d'impossible. Je savais que son altesse royale aimait beaucoup les animaux et je me suis mis à la recherche de ce qu'on pouvait trouver de plus rare en ce genre.

L'OFFICIER. - Dois-je porter une réponse au prince Papillon ?

LE ROI. - Dites-lui que nous le recevrons avec plaisir.
(Le Prince Papillon entre ; il est précédé d'une troupe de Danseurs ailés, et lui-même a de belles ailes de papillon et un costume à la fois riche et léger.)

LA COUR. - Quel charmant prince ! Il va faire les délices de la cour.

LE ROI. - Quelle heureuse circonstance vous amène ici, prince ?

LE PRINCE. - Je reviens avec mon armée de livrer une bataille à la reine Abeille. Nous rentrons vaincus dans nos États, et pour éviter de tomber au pouvoir de nos ennemis je suis venu, grand roi, implorer votre protection, et une escorte convenable pour la route qui me reste à faire.

LE ROI à part. - La reine Abeille et le prince Papillon ! ces souverains-là me sont tout à fait inconnus. (au Prince.) Quelle cause a pu désunir deux puissances aussi renommées que le prince Papillon et la reine Abeille ?

LE PRINCE. - Sire, je vais vous raconter toutes mes infortunes.

LE ROI. - Veuillez d'abord prendre place auprès de moi.

LE PRINCE. - Je ne me pose presque jamais cause de mes ailes.


LA PRINCESSE ÉGLANTINE (au chevalier Belle-Épine.) On n'a jamais rien vu de plus ridicule.


LE CHEVALIER. - Je pensais que vous alliez le trouver charmant.


LE PRINCE PAPILLON. - Sachez donc, grand roi, que, dans mes États l'unique affaire est de s'amuser. Mes sujets naissent tous avec des ailes. Mon territoire ne produit que des fleurs et des gazons. Nous vivons sous des bosquets odoriférants. La danse, la musique, sont notre unique affaire, et les seuls états permis parmi les gens du peuple, sont ceux de pâtissier et de confiseur. Quelques femmes travaillent à des imitations de fleurs et à tisser des étoffes brillantes mais nous ne souffrons pas de métiers bruyants, malpropres ou fatigants comme on en voit dans d'autres royaumes mal administrés.

LE ROI. - Comment !


LE PRINCE, se reprenant. - Je veux dire moins favorisés par les fées. Notre prospérité fait envie à nos voisins, et nous avons pour ennemis une reine fort pédante, appelée la reine Abeille. Pour celle-là, son unique affaire est le travail. Elle oblige ses sujets à se bâtir des maisons, à avoir des bestiaux, à cultiver les terres. On n'entend que forge et marteaux dans ses villes ; les jours de fêtes sa comptent parmi les plus rares, et rien ne fait pitié comme de voir le malheureux peuple de la reine Abeille.


LE ROI. - Comment se fait-il prince que vous puissiez vivre, vous et vos sujets, sans le labeur ?


LE PRINCE. - C'est là le mesquin sujet de nos querelles avec la reine Abeille. Des voisins aimables comme nous méritaient quelques égards. Nous avons voulu faire un traité par lequel nous nous chargerions de réjouir, fêter, égayer le royaume des Abeilles, à charge à eux de nous nourrir. La reine s'y est refusée avec hauteur. J'ai persisté dans mes prétentions ; la guerre s'en est suivie. Le sort m'a trahi, et d'ailleurs on n'a jamais vu faire la guerre d'une façon aussi ridicule que la reine Abeille. Ses soldats sont armés d'instruments tranchants, affreux à voir. Eh ! le croiriez-vous, grand roi, de l'armée que j'avais conduite avec moi, il n'est plus resté que cette troupe et ma royale personne qui aient échappé au plus humiliant traitement. Elle a fait couper les ailes à tous les prisonniers, et ces malheureux êtres disgraciés n'osent plus rentrer dans mon brillant royaume. Vivre sans ailes, vous concevez que c'est êtres réduit à une condition avilissante.


LE ROI. - Mais, prince, songez donc que vous êtes ici au milieu d'une cour privée de cet avantage.


LE PRINCE PAPILLON. - Je suis un étourdi, en vérité. La reine Abeille me le disait toujours, quand j'allais la voir comme ami. Il faut même avouer qu'elle prenait un air de minauderie tout-à-fait aimable sur sa longue figure pincée, pour m'adresser ce reproche, et si j'avais été vain j'aurais pu croire que ma personne ne lui déplaisait pas. Mais le prince Papillon ne pouvait pas épouser cette pédante, et nous nous sommes brouillés.


LE ROI. - En vérité prince, votre grâce me subjugue je vous prie de passer quelques jours parmi nous et après cela je rassemblerai tous les baladins de mon royaume, pour vous remettre sur le trône, qui vous convient si bien. Ma fille, la princesse Églantine, va se marier au chevalier Belle-Épine que je vous présente. Nous comptons sur vous pour ordonner les fêtes, et y prendre part.

LE PRINCE PAPILLON (bas au roi). - Qu'est-ce que ce chevalier ? Comment Sire, vous ne prenez pas un prince pour gendre !

LE ROI. - Des prodiges de valeur ont mérité au chevalier cette haute fortune. Il m'a sauvé la vie.

LE PRINCE PAPILLON (haut). - Chevalier, je me déclare votre rival ; tous mes soins vont être employés à plaire à la princesse et je demande au roi de ne pas tenir compte de la promesse qu'il vous a faite, si, dans trois jours, la belle Églantine m'accorde. la préférence sur vous.

LE ROI (d'un ton plaisant). - J'y consens de tout mon cœur. Chevalier, je vous plains.

LE CHEVALIER. - Sire, daignez ne pas badiner ainsi ; je me trouve déjà trop peu digne de l'affection de la princesse, pour ne pas trembler devant les menaces d'un homme qui s'est fait aimer de la reine Abeille.


ÉGLANTINE (au prince). - Prince, ne perdez-vous jamais vos ailes ?


LE PRINCE. - Malicieuse princesse vous me forcez à vous avouer ici la plus cruelle de mes infortunes : il n'est que trop vrai que deux fois dans l'année je suis obligé de m'enfermer dans une chambre obscure, où je passe de la physionomie que vous me voyez au déplorable état d'homme ordinaire. Si je ne parvenais pas à me vaincre dans ces jours-là, malgré moi, je me livrerais au travail je me sens une inquiétude de corps et d'esprit une envie d'agir, d'étudier ; mais je sais dompter ces goûts vulgaires, et le temps de ma métamorphose expiré, de nouvelles ailes pointillent sur mes épaules, elles s'étendent à vue d’œil, et je reparais plus gai, plus léger, plus brillant que jamais.

ÉGLANTINE. - Voilà un aveu qui vous fait un honneur infini dans mon esprit.


LE PRINCE. - Moi, d'abord, je suis la franchise même. Tout ce qui me concerne, moi et les autres, tout ce qui me passe par la tête, je ne saurais le garder. Souffrez, princesse, que pour jouir de tous mes avantages, je danse devant vous avec ma troupe. (Au Chevalier.) Vous le voyez, Chevalier, je ne vous prends pas en traître.

(On exécute un ballet où figure le prince.)


LE ROI (à sa fille). - Que pensez-vous de ce roi des danseurs, ma fille ?


ÉGLANTINE. - Il est fort amusant.


LE ROI. - À travers toutes ses folies, il a fait une réflexion qui m'a frappé.


ÉGLANTINE. - Laquelle, mon père ?
 

LE ROI. - Votre futur est un simple chevalier. Toutes les têtes couronnées vont s'indigner contre moi.


ÉGLANTINE. - Sans le chevalier, mon père où serions-nous aujourd'hui ?


LE ROI. - C'est vrai, mais je n'en souffre pas moins dans mon orgueil.


ÉGLANTINE. - Aimeriez-vous mieux m'unir au prince Papillon ?


LE ROI. - Ma fille, il porte diadème.


ÉGLANTINE. - Sire, je ne peux pas croire que vous parliez sérieusement et si vous me permettez de continuer à plaisanter, je vous demanderai l'autorisation de vous présenter mon chat, mon serin et ma souris.


LE ROI. - Ce n'est point une réception qu'on puisse rendre publique. Mais, d'après ce que vous m'avez dit de votre chat, j'aurai soin de le mettre en secret, ce conseiller d'un nouveau genre, dans mon cabinet ; il sera sous ma table et je ferai passer devant lui ceux qui se disent ici mes amis les plus dévoués.

(Un Courtisan, qui a prêté l'oreille à cette conversation répand la nouvelle dans le salon.)


UN MINISTRE. - Nous sommes compromis.


UN GÉNÉRAL. - Cela est dégradant éprouver notre fidélité avec un chat


UN COURTISAN. - Le chevalier Belle-Épine l'a donné au roi ; c'est lui qui nous perd, du moins je ne crains rien pour moi ; mais afin de n'être pas témoin des disgrâces qui vont suivre, je demanderai un congé.


UN SEIGNEUR. - Moi aussi !


D'AUTRES PERSONNES. - Je suis votre exemple.


ÉGLANTINE (au roi). - Grâce à mon chat, vous n'aurez plus de peine à vous entourer de serviteurs dévoués.


LE ROI. - N'allez pas croire que je renverrai ceux qui me trompent. Les connaître, c'est déjà beaucoup mais ne se défait pas de ses ennemis qui veut.


ÉGLANTINE. - Vous paraissez fatigué, mon père ; je voudrais que vous missiez fin à cette soirée.


LE ROI. - Bonsoir, ma fille. (Au prince Papillon.) Prince, on va vous conduire dans un appartement bien indigne de vous, sans doute ; mais, malgré vos habitudes natales, il ne vous serait pas possible de dormir pendant nos nuits froides, sous des voûtes de verdure.


LE PRINCE. - Si nous avions des palais, Sire, nous nous y réfugierions aussi ; quelquefois la difficulté est de les bâtir.


La toile se baisse.


SCÈNE TROISIÈME.

La chambre de la Princesse.

La Nourrice les Officiers, LE ROI,

un Courtisan, le Chevalier BELLE-ÉPINE.


LA NOURRICE (seule). - En vérité, cette absence commence à m'inquiéter. Je quitte un instant la princesse elle était prête à se mettre au lit et elle a disparu. (La nourrice appelle.) Princesse ! Princesse ! ma chère Églantine ! Rien. Je dois décidément éveiller les gens du palais. Holà ! gardes, officiers, accourez ici. (Plusieurs hommes se montrent.) Avez-vous vu passer la fille du roi ?


LES OFFICIERS. - Non a-t-elle disparu ?


LA NOURRICE. - N'allez pas croire qu'on l'ait enlevée.


LES OFFICIERS. - Une princesse royale. Jamais !


LA NOURRICE. - Et, qui plus est, une fille élevée par moi.


UN OFFICIER. - Mais où est-elle ?


LA NOURRICE. - Juste ciel ! la fenêtre est ouverte. Courez voir en bas ; passez aussi chez le roi on va m'accuser de négligence ; n'importe, il faut que la princesse se retrouve. (Les officiers sortent.) Ce petit serin qui parle pourra sans doute me dire s'il a vu quelque chose. (Elle va vers la cage.) Seigneur Bibi n'est plus là. Je me rappelle qu'Églantine le tenait sur son doigt ; la souris et le chat étaient sur ses genoux ils sont partis tous trois. (Elle retourne vers la fenêtre.) Est- elle en bas ?


UNE VOIX (d'en bas). - Il n'y a rien.


LA NOURRICE. - Oh malheur ! malheur sur ma pauvre enfant ! la calomnie va l'accabler. Mais où est-elle ? Quel motif aurait pu l'engager à partir ? Tout lui souriait ici. Elle allait épouser le chevalier Belle-Épine, du consentement de son père. C'est inexplicable à moins que quelque fée s'en soit mêlée. Il y a cependant cent ans qu'on ne parle plus de ces dames dans le royaume. Eh ! j'y pense, ce chat, cette souris, le serin, ce n'étaient pas des bêtes ordinaires. Voici le roi.


LE ROI. - Nourrice, qu'avez-vous fait d'Églantine ?


LA NOURRICE. - Sire, croyez bien que je suis innocente, et mes larmes peuvent vous prouver mon désespoir.


LE ROI. - Toute la Cour accuse le prince Belle-Épine. L'auriez-vous admis ici ?


LA NOURRICE. - Votre Majesté me croirait-elle capable d'un pareil forfait ?

LE ROI. - Ma fille a disparu ; vous ne pouvez pas être innocente à mes yeux.


LA NOURRICE. - Sire, je dois vous dire que le chat, la souris et le serin sont également partis.


UN COURTISAN. - Il est évident que le prince Belle-Épine a employé quelque magie pour s'emparer de notre chère princesse.

 

LE ROI. - Faites-le arrêter, et qu'on l'amène ici. (Le courtisan sort. Un garde entre.)


LE GARDE. - Votre Majesté doit savoir que le prince Papillon vient de disparaître, et les soldats préposés à sa garde l'ont entendu crier : « Ah ! mes ailes, mes ailes ! » comme s'il se plaignait qu'on les lui gâtât ; et lorsqu'ils sont entrés, la fenêtre était ouverte et la chambre vide.


LE ROI. - Mon palais est-il devenu la proie des fées ou des génies ? Ma puissance ne saurait me garantir de leur colère ; mais, du moins, qu'ils se montrent et posent des conditions de paix. Pour ravoir ma fille, je puis donner la moitié de ma couronne.

(On amène le chevalier Belle-Épine enchaîné.)


LE CHEVALIER. - Il est donc vrai, Sire, que notre chère princesse est perdue ?


LE ROI. - Si vous n'êtes pas coupable, dites-le, et vos liens tomberont ; mais le bruit général vous accusait.


LE CHEVALIER. - Ah ! je ne songeais plus à moi, en entrant ici. Votre Majesté a-t-elle pu croire que la réputation de la princesse ne m'était pas plus précieuse que la vie ?


LE ROI. - On nous apprend que le prince Papillon a été enlevé de la même manière ; je commence à soupçonner que les fées s'en mêlent.


LE CHEVALIER. - Dieu soit loué Sire, laissez-moi partir, et dans peu vous entendrez parler de la princesse.


LA NOURRICE. - J'étais sûre que le chevalier avait des amis par là.





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