THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE JAM - E - JAM NUMAI

OU


LE MIROIR MAGIQUE.
http://urlz.fr/674m

 

Théâtre de marionnettes : ouvrage pour la jeunesse

par Mme Laure Bernard
 

Domaine public.

PIÈCE FÉERIQUE.

PERSONNAGES.

LE ROI.
Le Prince PAPILLON.
Le Chevalier BELLE-ÉPINE.
Le Génie.
La Fée ÉCREVISSE.
La Princesse ÉGLANTINE, Fille du Roi.
DRAGONNE, Fille du Génie.
La Reine ABEILLE.
La Nourrice d'Églantine.
La Brebis, Nourrice de Dragonne.
La Chèvre, sa Gouvernante.
Courtisans. Danseurs.
Le Chat, la Souris, et le Serin de la Princesse.



ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

 

     (Une forêt et une grotte. Des animaux sauvages. Dragonne arrive sur un char traîné par des lions, descend et s'assied sur un tertre de gazon.)


DRAGONNE, LE GÉNIE.


DRAGONNE, seule. - Décidément, je m'ennuie ici toute seule, et il faut que mon père m'amène quelqu'un pour me tenir compagnie. La chasse me fatigue ; les rugissements des lions, les cris de tous les animaux sauvages ne sauraient me distraire. Mon père n'est jamais près de moi. Il m'a promis de me marier bientôt ; je vais le prier de s'en occuper au plus vite, car cette solitude m'est insupportable. (Elle appelle.) Zabular ! Zabular ! (Un corbeau descend des arbres.) Va-t-en, à tire d'aile, appeler le Génie ton maître. Dis-lui que je suis malade de tristesse et que, s'il ne me rapporte pas quelque présent nouveau capable de m'intéresser, je serai morte avant trois jours ! (Le corbeau croasse et s'envole.) Puisqu'on m'assure qu'il y a des êtres semblables à moi, je veux en voir quelques-uns dans mes forêts, au milieu des lions et des tigres : cela m'amusera, surtout s'ils ont peur. (Le corbeau revient.) Déjà, Zabular Est-ce que tu as rencontré mon père ? (Le corbeau croasse.) Ah, je le vois dans les nuages, son char s'abaisse ; comment vais-je le recevoir ? Ce sera selon ce qu'il me rapportera et la bonne volonté qu'il va mettre à me sortir d'ici. (Le char du Génie, s'abaisse ; il est tiré par deux aigles.)


LE GÉNIE. - Bonjour ma fille. Le chagrin que tu avais commence-t-il à se calmer ? Es-tu contente des modes que je t'ai envoyées de Chine afin que tu puisses t'habiller comme les princesses de ce pays ?


DRAGONNE. - Vous voyez bien que j'ai préféré ma couronne de plumes et mes vêtements de peaux à ces sottes parures. D'abord je ne savais comment m'y prendre pour les mettre sur moi et d'impatience j'ai déchiré en pièces les robes d'étoffe brochées d'or, les tissus à fleurs.


LE GÉNIE. - Tu es toujours aussi emportée ; mais il n'y a pas grand mal à cela. Cependant tu sauras que tu as détruit en un instant l'ouvrage que cent ouvriers avaient mis plus d'un an à faire. C'étaient les présents que l'empereur comptait offrir à l'impératrice de Chine pour son couronnement. Je les ai vus exposés dans une salle du palais et aussitôt je m'en suis emparé pour toi. La consternation qui a régné à la cour après la disparition de ces objets, ne saurait se rendre. Les soupçons tombaient sur tout le inonde et après avoir fait battre tous les serviteurs, jusqu'à ce que plusieurs en restassent morts sur place, ce moyen n'ayant amené aucune découverte, les grands officiers leurs femmes, ont presque tous été disgraciés, et le mariage est remis jusqu'au temps où ce malheur sera réparé.


DRAGONNE, riant. - Voilà qui est très-singulier en effet ; mon désir de voir ces gens-là en est augmenté : il faut mon père, que vous me conduisiez en Chine.


LE GÉNIE. - Demande-moi de t'apporter le monde entier ici ma chère Dragonne ; mais jamais je ne saurais l'exposer aux risques que tu cours en quittant tes forêts.


DRAGONNE. - Mes forêts ! j'en suis lasse il me faut des êtres humains auxquels je puisse parler. Vous vous absentez toujours, et je m'ennuie.


LE GÉNIE. - Fille ingrate, que puis-je donc faire pour te persuader de conserver tes jours ? Je te l'ai sans cesse répété, la fée Écrevisse est notre ennemie ; son naturel emporté la rend très dangereuse ; et du moment où tu verras une rivière, un lac ou un ruisseau tu tomberas en la puissance de cette femme. Ici, rien ne saurait te nuire. Je t'ai soumis les animaux les plus féroces, tu possèdes une forêt de sept lieues d'étendue ; ta grotte peut devenir un palais si tu le souhaites ; tu chasses, tu te promènes dans ton char, à ton moindre commandement tu es obéie ; que te faut-il de plus ?


DRAGONNE. - Je suis sûre que les filles de mon âge jouissent dans le monde de mille plaisirs que j'ignore ; et quand même je devrais mourir après, mon parti en est pris, je sortirai d'ici. La chasse m'est devenue insupportable, les sots animaux qui m'environnent me lassent par leur docilité. Je veux commander à mes pareils, voilà ce qu'il me faut..


LE GÉNIE. - Ma fille, j'avais prévu ce malheureux jour, et ma tendresse inquiète a tout fait pour écarter de toi une si funeste résolution. Aujourd'hui encore, je reviens ici, chargé du plus précieux trésor que jamais roi, princesse, fée ou génie, aient possédé c'est le Jam-e-Jam Numai, ou le miroir de l'univers. Un devin en fit autrefois présent au grand Cyrus, et ce miroir servait au roi à pénétrer tous les secrets de ses ennemis aussi bien que ceux de ses sujets car la glace fidèle lui représentait tour-à-tour tout ce qu'il souhaitait de voir sur la terre entière, en quelque endroit que ce fût.

DRAGONNE. - Donnez donc vite votre miroir, mon père. Ah ! je vais peut-être m'amuser.


LE GÉNIE. - Il m'a fallu dix années de travail pour la recherche de cet incomparable talisman puisse-t-il servir à ton bonheur !


DRAGONNE. - Sans doute je vais être heureuse ; mais que je voie tout de suite le Jam-e-Jam Numai.


LE GÉNIE. - Crois-tu que je l'aie apporté à travers les airs ? Si quelque fée ou génie m'avait rencontré, il m'aurait fallu livrer un combat pour la défense du miroir objet des recherches de toute la féerie.


DRAGONNE. - Quand donc l'aurai-je ?


LE GÉNIE. - Tu vas le trouver dans ta grotte, car c'est là que j'ai ordonné à des taupes de le conduire par-dessous terre depuis la Tartarie.


DRAGONNE. - Des taupes n'arriveront jamais, je vais mourir d'impatience. Quoi ! vous n'auriez pas pu, par affection ou par pitié pour moi risquer une lutte avec quelque chétive puissance des airs ?


LE GÉNIE. - Ma fille, prends garde que ma tendresse se lasse !


DRAGONNE. - Voulez-vous me menacer de m'abandonner ? Allez, je ne manque pas de courage et si vous n'aviez pas fermé votre forêt comme vous l'avez fait, il y a longtemps que je ne serais plus ici.


LE GÉNIE. - Moi qui peux faire trembler les rois de la terre, qui domine une foule de génies je viens ici pour me soumettre aux caprices d'un enfant !


DRAGONNE. - Est-il possible de me faire des reproches, à moi, déjà si malheureuse


LE GÉNIE. - Ma chère Dragonne, deviens raisonnable, je t'en conjure ! Tu crois que tu dois attendre longtemps le miroir de l'Univers tu te trompes, ma fille ; j'ai calculé le jour de l'arrivée de mes messagères, et je suis venu en même temps qu'elles.


DRAGONNE. - Oh ! donnez-moi donc bien vite ce trésor.


LE GÉNIE. - Tu vas voir de combien de maux sont mêlées les jouissances des habitants de la terre et tes observations te rendront peut-être ta solitude plus supportable. D'ailleurs, ce que tu souhaiterais de posséder ici je te le procurerai sans difficulté.

DRAGONNE. - Quand même ce seraient des personnes ?


LE GÉNIE. - Oui, sans doute ; il ne me reste plus qu'une recommandation à te faire : garde-toi d'évoquer la fée Écrevisse dans la glace, car aussitôt elle serait ici, et tu tomberais sous sa domination.

DRAGONNE. - Ne craignez rien. Je n'ai nulle envie de la voir. Mon père, je vous aime de toute mon âme. (Elle court vers sa grotte.)


LE GÉNIE, seul. - Je n'ai pas voulu faire de réserve, lui donner à entendre que mon pouvoir était limité en cela ; car alors elle n'aurait pas manqué de chercher à mettre ma bonne volonté en défaut.


DRAGONNE revient avec le miroir entre ses mains. - Je n'y vois rien ; vous m'avez trompée.

LE GÉNIE. - Toujours la même impétuosité.


DRAGONNE. - Je vais briser cette glace.


LE GÉNIE. - Gardez-vous en bien, ma fille, et souhaitez plutôt d'y faire passer quelqu'un ; alors le miroir deviendra docile à votre désir.


DRAGONNE. - Vous vous moquez de moi ; je ne puis demander des gens que je ne connais pas.


LE GÉNIE. - Veux-tu voir un combat ?


DRAGONNE. - Oui oui, cela doit être bien beau.


LE GÉNIE. - Regarde.


DRAGONNE. - Quelle multitude d'hommes ! Comment, il y a tant de monde sur la terre, et je vis seule ? Où sont les princes, parmi cette troupe, que je me choisisse un mari ?


LE GÉNIE. - C'est à quoi je te prie de ne pas penser. (La toile du fond se lève et, pendant que Dragonne parle on voit la scène qu'elle décrit se passer derrière une gaze.)


DRAGONNE. - Comme ils se battent avec fureur. Voilà un jeune guerrier qui sauve la vie du roi. Ah ! il est blessé ; on le fait prisonnier ; mon père, sauvez-le. Qu'il est brave ; le voilà dégagé de ceux qui l'environnaient. Il en a renversé quatre ; les autres se dispersent. La victoire est pour lui. Il se jette aux pieds du roi qui le relève et l'embrasse.

LE GÉNIE. - Assez de cela, ma fille ; il vaudrait mieux changer de pays et voir quelque belle fête.


DRAGONNE, continuant. - Il semble très heureux des promesses que le roi vient de lui faire. Mon père je veux me marier avec ce guerrier.


LE GÉNIE (fort). - Quelle fatalité !
 

DRAGONNE. - Employez tout votre pouvoir à le faire venir ici ; c'est là le mari que je choisis.


LE GÉNIE. - Vois encore ma fille cherche bien avant de te décider.


DRAGONNE. - C'est mon dernier mot.


LE GÉNIE. - Tu as du malheur ; car, hors ce jeune homme, je pouvais te faire épouser qui tu voudrais. Mais celui-ci est protégé par la fée Écrevisse, et le roi, désirant récompenser la valeur qu'il vient de montrer, lui promet sa propre fille en mariage.


DRAGONNE. - Vous avez toujours voulu me persuader que j'étais la plus heureuse créature de la terre, et, au contraire, il n'en est pas de plus misérable. Vous vous vantez d'être un génie tout puissant, et une fée vous intimide. Allez, je n'ai pas besoin de votre secours.


LE GÉNIE. - Ingrate, au moment où je mets en ta possession un talisman inutilement recherché par tous mes pareils, tu me parles ainsi.


DRAGONNE.. - Vous m'avez promis de ne jamais me contrarier et la première chose importante que je vous demande, vous me la refusez.


LE GÉNIE. - Je t'en accorde une qui est mille fois au-dessus, mais au lieu de te fâcher, continue à regarder dans le miroir de l'univers.


DRAGONNE. - Et vous rassemblerez autour de moi ceux que je souhaiterai d'y faire venir ?


LE GÉNIE. - Pourvu que nous les surprenions isolés, je t'en donne ma parole.


DRAGONNE. - Toujours des conditions.


LE GÉNIE. - Mais ma fille, ma puissance est bornée. D'ailleurs, si des témoins voyaient s'élever dans les airs ceux dont nous nous emparons pour accomplir nos desseins, on saurait déjà qu'une fée ou un génie dispose de leur sort, et comme les fées et les génies ne sont pas rares de notre temps, on trouverait à se faire protéger par quelqu'un parmi eux. La discrétion nous est aussi nécessaire qu'aux faibles mortels, elle assure notre repos. (Pendant que le Génie parle, on voit encore derrière la gaze la princesse Églantine et sa nourrice ; elle joue avec un serin, un chat et une souris.)


DRAGONNE. - Voilà une princesse que vous ne me refuserez pas pour prisonnière, et je saurai guetter le moment favorable pour l'enlever.
 

La toile se baisse.



SCÈNE DEUXIÈME.

Un Officier, LE ROI, ÉGLANTINE,

la Nourrice, le Chevalier BELLE-ÉPINE,

la Cour, le Prince PAPILLON,

Troupe de Danseurs ailés.



     (Le Roi est sur son trône, entouré d'Officiers de Dames du palais. La princesse Églantine est auprès de son père, le chevalier Belle-Épine est à la gauche du trône. Un Officier entre.)


UN OFFICIER. - Sire, un jeune prince, accompagné de la plus brillante escorte, demande à être admis en la présence de votre majesté.


LE ROI. - De quel pays vient-il ?


L'OFFICIER.- Du royaume des Papillons dont il est le maître.


LE ROI. - Ah ! (à sa fille) Vous, Églantine, qui êtes savante, pourriez -vous m'apprendre où sont situés au juste les états de ce prince ?


ÉGLANTINE. - Près du royaume des Fleurs.


TOUTE LA COUR. - Quel savoir prodigieux ! cela fait pâlir tous les savants ! c'est un puits de science.




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