THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE ROI. - Ah ! non, je vais en parlera la princesse, elle indiquera elle-même l'époque qui lui conviendra.


NARCISSE. - Ah, merci, vous êtes bien bon. (Même scène que précédemment, il chatouille plusieurs fois le roi qui se retire en criant.) La voilà, justement la princesse. Je vais lui demander moi-même si elle veut fixer le jour de la cérémonie, puisque Louis dit que ça ne dépend que d'elle je vais être renseigné. (Appelant.) Madame la Princesse, ohé psitt !


LA PRINCESSE, à part. - Voilà une imprudence que je regrette. Quelle fâcheuse idée j'ai eue là, lorsque j'ai soumis cette plaisanterie à Sa Majesté.

NARCISSE. - Madame la Princesse je viens de voir Louis. 
(Il rit bêtement, la princesse ne peut s'empêcher de rire également, ce qui excite l'hilarité grossière de Narcisse en provoquant de plus en plus celle de la princesse.) Alors, m'sieur le Roi m'a dit qu'il ne dépendait que de vous de fixer le jour de notre union.


LA PRINCESSE. - Ah oui, c'est vrai je n'y pensais plus.


NARCISSE. - Oh c'est mal, moi qui ne pense qu'à ça.


LA PRINCESSE. - Je verrai, je réfléchirai.


NARCISSE. - Ah ben non, vous savez, c'est trop long. Si vous ne voulez pas, faut le dire tout de suite. Je chercherai une autre princesse, il n'en manque pas !


LA PRINCESSE. - Comment, vous me feriez un pareil affront ?


NARCISSE. - Certainement si vous m'y obligez.


LA PRINCESSE. - C'est mal, monsieur Narcisse, c'est très mal, je ne vous aurais pas cru capable de ça.


NARCISSE. - Non, allez Rassurez-vous je ne veux pas vous
mettre dans l'embarras.


LA PRINCESSE. - C'est gentil ce que vous faites là !


NARCISSE. - Je sais que vous ne pourriez pas survivre à une pareille douleur.


LA PRINCESSE. - Oh si !


NARCISSE. - Oh ! non je ne crois pas ! (Il s'approche d'elle et la princesse se sauve en riant.) C'est drôle, je la fais toujours rire. Enfin pourvu qu'elle se décide le plus tôt possible, c'est tout ce que je demande. (Il s'éloigne.)


LE ROI, il entre avec la princesse. - Ma foi, Princesse, je crois que vous avez raison, la plaisanterie a trop duré.


LA PRINCESSE. - Je vous assure, Sire, que la position n'est plus tenable, ce paysan est tellement bête qu'il n'inspire aucune pitié. Il devient par trop familier et je crains toujours quelques nouvelles sottises de sa part.


LE ROI. - Rassurez-vous, je vais donner l'ordre de le faire reconduire dans son village. La punition qu'il trouvera là-bas est assez sévère, pour que nous ne prolongions pas plus longtemps la comédie qu'il nous donne ici, et qui vraiment devient désagréable.


LA PRINCESSE. - Vous avez raison, Sire, quant à moi, je me cache pour ne plus être exposée à le rencontrer. (Elle s'éloigne.)


LE ROI, appelant. - Marquis ! Écoutez donc, un mot, je vous prie !


RATIBOISÉ. - Qu'y a-t-il, Sire ?


LE ROI. - Marquis, faites-moi donc le plaisir de nous débarrasser de ce paysan.


RATIBOISÉ. - Je ne demande pas mieux, Sire, car il devient vraiment désagréable.


LE ROI. - Justement, vous allez lui faire prendre un petit verre de cette fameuse liqueur qui endort si bien et ce soir même vous le ferez reconduire à la porte de son village.


RATIBOISÉ. - Parfaitement, Sire, je vais exécuter vos ordres. (Il sort.)


LE ROI. - Voilà un châtiment terrible, mais ma foi bien mérité. Si je pouvais punir ainsi tous ceux de cette espèce je serais trop heureux. (Il sort.)


NARCISSE, parlant à la cantonade. - Laissez-moi tranquille, je le dirai à Louis ! (Au public.) En voilà des manières, ils m'appellent paysan. Je le suis peut-être plus qu'eux paysan.


RATIBOISÉ, il entre avec une bouteille et un petit verre. - Tiens, ce cher ami, enchanté de vous voir. Vous allez profiter d'une bonne occasion. Je vais vous faire goûter il la liqueur favorite du roi, c'est délicieux, c'est fait avec du sirop d'escargot et des pépins de betteraves, dégustez-moi et donnez-moi votre opinion là-dessus. (Il lui en verse un petit verre.)


NARCISSE, il boit. - Oh ! que c'est bon ! On dirait du jus de pruneaux.


RATIBOISÉ. - N'est-ce pas ? On n'en boit pas comme ça à Croutopo-les-babas.


NARCISSE. - Bien sûr que non ! Merci, monsieur le Marquis.


RATIBOISÉ. - À votre service, mon garçon, maintenant que vous en connaissez le goût, quand vous en désirerez vous viendrez me trouver. (Il sort.)


NARCISSE. - Délicieux, c'est succulent ! Jamais je n'ai bu quelque chose d'aussi bon. Ça m'en donne des éblouissements, je vois trouble. C'est drôle, on dirait que je vais me trouver mal, moi qui suis si bien ! Bien, voyons. (Il trébuche.) Mais je vais tomber. Au secours, à moi ! Louis. Louis ! (Il tombe sur la tablette. Après un moment de silence, deux hommes paraissant et le prennent pour l'emporter.)



ACTE III

La scène représente une forêt.



     Au lever du rideau, les deux mêmes hommes apportent Narcisse qu'ils déposent sur la tablette. Il ronfle d'une façon épouvantable. Il se remue et se retourne plusieurs fois sans cesser de ronfler.


FILOCHARD, il entre sans voir Narcisse, et cherche d'où provient le tapage que celui-ci fait en ronflant. - En v'là un vent ! Pour sûr nous allons avoir de la tempête ! Jamais je n'ai entendu un ouragan pareil. Oh, mais ce n'est pas naturel. (Apercevant Narcisse.) Tiens, un paquet, qu'est-ce que c'est que ça ? On dirait un homme. Mais oui. Ah ! c'est Narcisse ! (L'appelant.) Narcisse. Narcisse. Voyons Narcisse, qu'est-ce que vous faites là ? (Il le secoue très fortement.)


NARCISSE, se remuant à peine. - On ne dort pas bien à Versailles. (Il cogne plusieurs fois sa tête sur la tablette, restant toujours étendu.) Ils m'ont donné un oreiller dur comme du bois, faudra que je me plaigne à Louis.


FILOCHARD. - Ah ! ça, qu'est-ce qu'il fait là ? Ben, par exemple, en voilà une affaire, depuis trois jours on le cherche partout. (Il le pousse.) Hé ! Narcisse. Narcisse. (Narcisse ne répond que par de formidables ronflements.) En voilà un sommeil. Je ne peux pourtant pas le laisser là. (Il le pousse très fort, Narcisse se décide à bouger, il se réveille lentement et regarde autour de lui.)


NARCISSE. - Ben, où donc que je suis ? Tiens, mais qu'est-ce que c'est que ça ? On dirait que je suis à Croutopoles-babas. Dites-donc, Filochard, donnez-moi donc un coup de poing dans l'œil pour voir si je dors.


 

FILOCHARD. - Mais non vous ne dormez pas ! Ah ! Ça ! Voyons, Narcisse, qu'est-ce que vous faites ? Voilà trois jours que tout le monde vous cherche, vous pouvez vous vanter d'en donner des émotions votre famille.


NARCISSE. - D'abord, je vous dis que je suis à Versailles chez mon ami Louis XIV.


FILOCHARD. - Mais il a perdu complètement la tête, ce pauvre garçon.


NARCISSE. - Vous n'avez pas vu ma fiancée ?


FILOCHARD. - Votre fiancée Arthémise ?


NARCISSE. - Mais, non, la princesse de Trébizonde.


FILOCHARD. - Il est complètement fou !


NARCISSE. - Voyons Filochard, dites-moi la vérité, il ne s'est rien passé de surnaturel dans le pays depuis quelques jours ?


FILOCHARD. - Oh ! si, le château de La Roche Phélée est habité !


NARCISSE. - Comment ça, habité, par qui donc ?


FILOCHARD. - Par un jeune seigneur qui l'a acheté avec toutes ses dépendances, et qui a l'intention de vivre ici avec sa jeune femme, car il parait que ce sont deux jeunes mariés !


NARCISSE. - Oh mais c'est épouvantable ce que vous m'apprenez là !


FILOCHARD. - Pourquoi ça ? Je ne trouve pas moi, au contraire, ça va donner un peu d'animation au pays, on dit même que monsieur le Comte va donner une grande fête à tous les habitants. Ça doit vous aller, ça, au contraire, vous n'êtes pas ennemi de la gaieté, vous, monsieur Narcisse.


NARCISSE. - La gaieté, ah ben oui, parlons-en de la gaieté. (Il se met à pleurer bêtement.)


FILOCHARD. - Allons, mon brave Narcisse, je crois que vous venez de faire un fameux sommeil, et que vous rêvez encore. Réveillez-vous bien vite, et venez rassurer votre famille, qui est très inquiète sur votre sort. (Il s'éloigne.)


NARCISSE. - Hélas non, je ne rêve pas, du moins je ne rêve plus. Cependant je n'ai pas la berlue, j'ai bien suivi le roi à la cour de Versailles mais comment suis-je ici ? Je ne me souviens pas du tout par quel moyen de transport j'ai pu faire un si grande trajet, surtout sans m'en apercevoir ! Et encore tout cela ne serait rien sans cette terrible nouvelle que vient de m'annoncer Filochard. Le château de La Roche Phélée serait habité ? Mais alors nous sommes ruinés, perdus. Le roi a voulu se moquer de moi probablement, ainsi que cette princesse. C'est donc ça, que tous ces gens-là riaient tant quand je leur parlais. Comme un naïf que je suis, je prenais tout ça au sérieux ! Fallait-il que je sois bête ! Enfin, tâchons de sortir de la s'il y a moyen. La première chose à faire c'est d'aller trouver cette pauvre Arthémise, et de lui demander pardon, car vraiment j'ai agi envers elle comme un misérable. Comme elle va être heureuse, cette pauvre fille, lorsqu'elle me reverra, l'émotion est capable de la tuer !


UN DOMESTIQUE. - Ah le voilà, c'est pas malheureux !Dites donc, jeune homme, c'est bien vous qui vous nommez Narcisse Pampelune ?


NARCISSE. - Sans doute, et puis après ?


UN DOMESTIQUE. - Monsieur le Comte de La Roche Phélée, mon maître, a besoin de vous parler le plus tôt possible.


NARCISSE. - Ah, ça ! domestique, votre maître pourrait, ce me semble, venir me trouver, pourquoi ne vient-il pas me voir ?


UN DOMESTIQUE. - Il ne connaît peut-être pas vos jours de réception, ou il craint de vous déranger !


NARCISSE. - Enfin c'est bon, j'irai quand j'aurai un moment !


UN DOMESTIQUE. - Tâchez d'en trouver un d'ici une petite heure, sans ça on emploiera un moyen plus énergique pour accompagner votre illustre personne.


NARCISSE. - C'est bon, c'est bon, domestique, allez, allez !


UN DOMESTIQUE. - En voilà un paysan qui s'en donne de l'importance. (Il s'éloigne.)


NARCISSE. - C'est à moi que vous parlez ? Il fait bien de s'en aller, j'allais lui donner une leçon ! Il me fait demander, monsieur le Comte, parbleu je sais bien ce qu'il va me dire ! Oh c'est épouvantable une situation pareille ! Enfin, ne nous décourageons pas d'avance, je vais toujours aller chez monsieur le Comte, et après j'irai voir ma pauvre Arthémise ! Oh ! que je suis malheureux, que je suis malheureux ! (Il sort en pleurant et la toile tombe.)



QUATRIÈME TABLEAU



     La scène représente un salon chez le comte de La Roche Phélée.


UN DOMESTIQUE. - Voilà une situation à laquelle je ne m'attendais certainement pas. Lorsque j'ai été demandé ici, je m'attendais à trouver en arrivant un vieux château avec des maîtres aussi antiques que les murs de leur demeure, et pas du tout, je suis installé au contraire dans un superbe domaine, et j'ai à servir tout simplement Monsieur le Comte et Madame la Comtesse, jeunes tous deux et remplis de grâce et de gentillesse. C'est pour moi, je crois, le bonheur parfait sur la terre. Que je passe seulement dix années ici, avec mes appointements, la gratte et les tours de bâton, j'aurai du gruau pour mes vieux jours dans une bonne chaumière à la campagne. (On entend sonner.) Qu'est-ce que c'est que ça ? ça doit être ce jeune paysan qui est si bête et si fier. (Il va ouvrir et revient aussitôt avec Narcisse.)


NARCISSE. - Domestique, allez annoncer monsieur Narcisse à votre maître, et dites-lui que...


UN DOMESTIQUE. - C'est bon, c'est bon ! attendez la et taisez-vous ! (Il s'éloigne.)


NARCISSE. - Comment ça que je me taise ! Il a dit que je me taise, en voilà un maroufle. Je vais lui dire à monsieur le Comte que je n'ai pas l'habitude d'être traité comme ça ! Je suis passé devant la maison d'Arthémise, et j'ai remarqué que toutes les fenêtres étaient fermées, c'est qu'elle est aux champs avec ses parents peut-être. Aussitôt que je sortirai d'ici j'irai la chercher, et j'espère qu'elle me pardonnera, elle est si bonne et si intelligente, c'est bien la fille la plus gentille et la plus adorable de tout le village. Oh j'entends quelqu'un, c'est monsieur le Comte sans doute.


LE COMTE DE LA ROCHE PHÉLÉE. - Vous voilà, jeune homme ?


NARCISSE. - Oui monsieur le Comte, je m'v'là !


LE COMTE DE LA ROCHE PHÉLÉE. - J'en suis bien aise, car j'ai quelque chose de très sérieux, de très grave à vous dire.


NARCISSE, à part. - Aïe ! Aïe ! Aïe! ça y est !


LE COMTE DE LA ROCHE PHÉLÉE . - Vous n'ignorez pas sans doute que je viens d'acheter le domaine de la Roche Phélée ?





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