THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

UN CAPRICE DU ROI

COMÉDIE EN 4 ACTES.


 

Darthenay,

1890

domaine public



PERSONNAGES
LOUIS XIV.
NARCISSE.
LE COMTE DE LAROCHEPHÉLÉE.
LE MARQUIS DE RATIBOISÉ.
LE PÈRE PAMPELUNE.
UN DOMESTIQUE.
MOUTONNET, garde champêtre.
FILOCHARD.
LA PRINCESSE DE TRÉBIZONDE.
ARTHÉMISE.

Paysans, domestiques.



ACTE PREMIER

La scène représente une place de village.



PAMPELUNE. - Mon fils n'est vraiment pas raisonnable. Voilà un garçon, qui pourrait trouver un parti superbe, et il n'en manque pas dans le pays. Eh bien non, il persiste à vouloir épouser sa cousine Arthémise. Je sais que c'est une bonne fille, honnête, laborieuse, rangée, mais c'est tout, ça n'a pas le sou ! C'est bien la peine d'être le fils du premier habitant de Croutopo-les-babas. (Il s'éloigne.)


NARCISSE. - Je crois tout de même que papa a raison Je ne suis pas fait pour épouser une simple petite paysanne. Ce qu'il me faut à moi, c'est je ne sais pas au juste ; mais il me semble lire dans ma destinée que j'aurai un jour une position supérieure à celles de tous ces paysans qui me cassent la tête, et que j'ai honte de fréquenter. Je sais bien qu'Arthémise est une bonne fille, mais ça ne suffit pas. Un garçon comme moi, doué d'une intelligence supérieure, ne doit songer qu'à épouser une grande dame, et je vais m'en occuper tout de suite.


ARTHÉMISE. - Dites donc, Narcisse Je ne suis pas fâchée de vous rencontrer, mon cousin, pour vous dire que votre conduite est vraiment étrange, car vous manquez à toutes les convenances envers moi.


NARCISSE. - Vous trouvez Arthémise ?


ARTHÉMISE. - Oui, Monsieur Tout le monde sait dans le village que je dois vous épouser, et chaque fois que vous m'apercevez vous vous cachez, on dirait que vous avez honte de me parler.


NARCISSE. - Moi, Arthémise, non ! Je sais bien que la distance qui nous sépare est énorme.


ARTHÉMISE. - Bah ! voyez-vous ça ! Il ne s'agit que de celle d'une simple paysanne à un vulgaire campagnard.


NARCISSE. - Vous ne savez pas m'apprécier, Arthémise.


ARTHÉMISE. - Oh ! que si, je sais parfaitement ce que vous êtes, un vaniteux, un orgueilleux et un sot, et que cette gloriole pourrait bien vous jouer un mauvais tour, c'est moi qui vous le prédis.


NARCISSE. - Allons donc, tenez vous me faites rire !


ARTHÉMISE. - En attendant, je veux savoir le jour au juste où vous m'épouserez, et dans une heure il faut que je sois fixée, tâchez de réfléchir d'ici-là, je viendrai moi-même prendre la réponse. (Elle s'éloigne.)


NARCISSE. - Une heure, c'est bien peu, il faut que j'aille parler de ça à papa. (Il s'éloigne.)


MOUTONNET. - En voilà un évènement ! Où donc est monsieur Pampelune ? Je croyais l'avoir aperçu par ici tout à l'heure. Ah ! le voilà. (Appelant.) Monsieur Pampelune, ohé ! Pssitt !


PAMPELUNE. - Qu'est-ce qu'il y a, Moutonnet ?


MOUTONNET. - Oh ! une grande nouvelle, monsieur le Maire, on vous fait savoir que Sa Majesté le roi Louis XIV, qui est dans les environs, va venir visiter Croutopo-les-babas !


PAMPELUNE. - Louis XIV ici, quel bonheur et surtout quel bonheur pour moi, qui dois le recevoir en ma qualité de Maire. Allons vite, Moutonnet, allez prévenir les habitants, prenez votre tambour, et annoncez cette grande nouvelle dites surtout qu'il faut pavoiser toutes les maisons et illuminer immédiatement.


MOUTONNET. - Mais il n'est que midi, et le soleil se couche à huit heures.


PAMPELUNE. - Ça ne fait rien, on verra plus clair, allez donc, Moutonnet, allez donc !


MOUTONNET. - J'y cours, monsieur le Maire ! (Il se sauve).


PAMPELUNE. - Voilà certainement un beau jour pour moi. Je vais aller au-devant de Sa Majesté et lui faire un petit discours. Je vais lui dire ceci... Hum... qu'est-ce qu'il faut lui dire ? Ah ! oui ! Non, je ferai peut-être mieux de lui dire autre chose. Oui, c'est ça ! Je vais lui dire : « Sire, je suis convaincu que vous ne pouvez pas vous figurer comme je suis heureux de vous voir. Et chez vous comment que ça va ? » C'est tout et puis ce n'est pas long, au moins comme ça, je suis sûr de ne pas l'ennuyer. (Il s'en va.)


NARCISSE. - Oh ! que c'est beau tous ces gens-là ! En ont-ils des beaux attifiaux dorés, c'est moi qui voudrais bien être habillé comme ça. Pourquoi pas, au fait ? Il y a des princes et des princesses ! Si je pouvais avoir seulement le bonheur de m'en approcher, de me faire admirer par ces grandes dames, et d'en épouser une. Oh ! mon rêve ! mon rêve ! Tiens, en voilà une qui vient par ici, je crois qu'elle m'a vu !


LA PRINCESSE. - C'est charmant, ma foi, ce petit pays. Les habitants ont l'air un peu bête, mais il y a des bestiaux superbes.


NARCISSE, toussant. - Hum ! Hum !


LA PRINCESSE. - Tiens, voilà un échantillon du pays. Vous êtes d'ici mon ami ?


NARCISSE. - Mon Dieu oui, mame la Princesse, c'est mon pays natif, c'est d'ici que je suis natal.


LA PRINCESSE, riant très fort. - Ah très bien ! (Elle continue à rire.)


NARCISSE. - Je la fais rire, je suis sûr que je vais la subjuguer !


LA PRINCESSE. - Vous plaisez-vous dans ce village, mon ami ?


NARCISSE. - Oh ! que non, mame la Princesse, je donnerais bien quelque chose pour le quitter et ne jamais y reparaître.


LA PRINCESSE. - Allons donc, c'est pourtant très joli ici !


NARCISSE. - C'est beau, si on veut, mais ce n'est pas là ce que j'ai rêvé. Voyez-vous, mame la Princesse, moi j'étais fait pour être à la Cour.


LA PRINCESSE. - Quelle cour ?


NARCISSE. - Celle du roi, et j'ai toujours dans mon idée que j'y arriverai.


LA PRINCESSE, riant toujours. - C'est bien possible.


NARCISSE, à part. - Elle n'est pas fière du tout, cette madame la Princesse. Je vais confier mes petites ambitions. (Haut.) Ah oui, allez mame la Princesse, il faudrait bien peu de chose pour faire mon bonheur.


LA PRINCESSE. - Vraiment ?


NARCISSE. - Si j'avais seulement le bonheur d'épouser une princesse comme vous, je serais le plus heureux des hommes.


LA PRINCESSE. - Il ne s'agit que de ça ? Mais rien n'est plus facile !


NARCISSE. - Vous croyez ?


LA PRINCESSE. - Étant beau garçon comme vous l'êtes, avec un air si intelligent, une tournure si gracieuse vous pouvez facilement trouver à satisfaire votre ambition. (Elle se retourne pour rire.)


NARCISSE. - Ben, n'est-ce pas. C'est ce que je leur dis à tous ici, ils ne veulent pas me croire.


LA PRINCESSE. - Oh c'est par jalousie !


NARCISSE. - C'est évident ! Ben une supposition que je m'adresserais à vous, madame la Princesse, pour vous demander, si vous voudriez bien m'épouser, pensez-vous que j'aurais quelques chances de voir mes espérances se réaliser ?


LA PRINCESSE. - Peut-être, mais pour cela, il faut vous adresser au roi et lui demander l'autorisation.


NARCISSE. - Oh ça, c'est pas une affaire. Je vais lui faire dire de venir à la maison pour boire un pichet de cidre et je lui parlerai de la chose.


LA PRINCESSE. - Eh bien ! c'est ça ! Je vous laisse. (Elle sort.)


NARCISSE. - Elle n'a pas dit non, ça veut presque dire oui. Je suis sûr que mon projet va réussir. C'est mon étoile qui m'a envoyé ces gens-là par ici pour faire mon bonheur. (Il sort.)


LE ROI, la princesse. - Ainsi princesse, ce paysan a eu l'audace de vous
demander en mariage.


LA PRINCESSE. - Tout simplement, sans hésiter.


LE ROI. - L'aventure est plaisante et vient ma foi fort à propos.


LA PRINCESSE. - Que voulez-vous dire ?


LE ROI. - Que ceci va nous offrir une agréable distraction. Ce paysan mérite une leçon, il faut la lui donner. Nous allons lui laisser croire à la possibilité de cette chose.


LA PRINCESSE. - Oh, l'idée est superbe ! Je vais vous l'envoyer afin que vous puissiez juger par vous-même de sa naïveté.


LE ROI. - C'est ça ! (La princesse s'éloigne.) Il ne doute de rien ce petit bonhomme. J'avais besoin de ça pour me distraire. Je crois que le voici.


NARCISSE, à part. - Je crois que le voilà, monsieur le Roi, je n'oserai jamais lui parler !


LE ROI. - Ah ! c'est vous, jeune homme ?


NARCISSE. - Mais oui, monsieur le Roi !


LE ROI. - Mon ami, on ne m'appelle pas monsieur le Roi, on m'appelle Sire tout simplement.


NARCISSE. - Ah ! bon ! M'sieur Sire tout simplement !


LE ROI. - Mais non, Sire, tout court.


NARCISSE. - Ah, ça m'est égal, M'sieur Sire tout court.


LE ROI, à part. - Jamais je ne parviendrai à me faire comprendre. (Haut.) Voyons, mon ami, expliquons-nous. Vous avez, paraît-il, l'intention d'épouser la princesse de Trébizonde.


NARCISSE. - Bé oui, si y a moyen.


LE ROI. - Pourquoi pas ? La princesse vous trouve fort bien, c'est du reste mon avis, vous avez l'air excessivement distingué.


NARCISSE. - Ça c'est naturel chez moi !


LE ROI. - Par conséquent, je ne vois rien qui s'y oppose.


NARCISSE. - Oh, M'sieur le roi tout court, vous ne pouvez pas vous figurer comme vous me rendez heureux.


LE ROI. - Eh bien, mon ami, c'est entendu, vous allez venir avec nous à Versailles, et là nous nous occuperons de terminer cette affaire.


NARCISSE. - C'est ça, monsieur le Roi, je vais aller mettre une blouse neuve, et quand vous serez pour partir vous viendrez me chercher.


LE ROI. - Parfaitement, c'est entendu. À tout à l'heure.


NARCISSE. - En v'là un brave homme, monsieur le Roi, il n'est pas plus fier que not' garde champêtre. C'est ça qui va en faire des jaloux Et Arthémise, quand elle va savoir ça, elle est dans le cas d'en faire une maladie. Enfin, je tâcherai de lui faire entendre raison, je lui expliquerai qu'une alliance entre elle et moi n'était pas possible, et je suis convaincu
qu'elle finira par le comprendre.


ARTHÉMISE. - Monsieur Narcisse, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je viens vous demander si vous voulez vous décider à prendre une détermination.

NARCISSE. - Mais certainement, Arthémise, j'en ai une.


ARTHÉMISE. - Ah ! c'est bien heureux, car sans ça j'allais vous arranger.


NARCISSE. - Après avoir bien réfléchi, ma chère Arthémise, je me vois forcé de vous déclarer qu'une alliance entre nous est devenue complètement impossible.


ARTHÉMISE. - Ainsi voyez donc Et vous avez trouvé mieux sans doute.


NARCISSE. - Beaucoup mieux Je dois épouser une princesse.


ARTHÉMISE. - Misérable je vais vous étrangler. (Elle s'élance sur lui.)





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