THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

NARCISSE. - Laissez-moi tranquille, ou je le dis à papa.


ARTHÉMISE. - Poltron que vous êtes, allez donc lui dire à votre papa ! Ah je vais vous en faire une renommée dans le pays.


NARCISSE. - Voyons, Arthémise, soyez raisonnable.


ARTHÉMISE, s'élançant sur lui. - Taisez-vous ou je vous assomme. (Il se sauve en criant.) Comme on va se moquer de moi dans le village à présent, quand on pense que j'avais déjà fait faire mes habits de noce. Ah, si je pouvais trouver une bonne vengeance ! Il faut que je trouve une bonne vengeance. (Elle s'éloigne.)


LA ROCHE PHÉLÉE, il entre avec le Marquis de Ratiboisé. - Mon cher Marquis, je vous assure que c'est l'exacte vérité.


RATIBOISÉ. - Il faut avouer, Comte, que voilà de singulières idées. Comment vous, un des plus parfaits gentilshommes de la cour, vous parlez ainsi d'abandonner vos amis ! Ce n'est pas sérieux !


LA ROCHE PHÉLÉE. - Je vous le répète, mon cher Marquis, je ne suis pas fait pour cette vie de plaisir. J'aime le calme et la solitude, et je vais m'occuper de cette retraite à laquelle j'aspire depuis longtemps déjà.


RATIBOISÉ. - Allons, je vous laisse, et j'espère que bientôt vous changerez d'avis, adieu.


LA ROCHE PHÉLÉE. - Le bonheur ! Il me semble qu'il doit être ici, dans ces champs, devant cette nature souriante. Tiens une jeune fille qui pleure. (Arthémise entre en pleurant sans voir le Comte, elle essuie sa figure avec son tablier.) Il y a donc tout de même des malheureux ici ? Mais elle est charmante cette petite. (Il s'approche d'elle.) Qu'avez-vous donc, mon enfant ?


ARTHÉMISE, à part. - Tiens ce beau Monsieur ! (Haut.) Je suis désolée, Monsieur, je viens de recevoir un affront cruel !


LA ROCHE PHÉLÉE . - Allons donc, pas possible, confiez-moi donc ça.

ARTHÉMISE. - Je devais épouser mon cousin Narcisse, et il vient de m'apprendre qu'il ne voulait plus de moi ; parce que je ne suis qu'une simple paysanne.


LA ROCHE PHÉLÉE. - Oh, le monstre !


ARTHÉMISE. - Il faut que je me venge, comment, je n'en sais rien, mais je veux lui faire voir que je suis autant que lui.


LA ROCHE PHÉLÉE, à part. - Elle est adorable cette petite paysanne. (Haut.) Eh bien écoutez, j'ai un moyen de vengeance tout prêt à vous offrir, si vous voulez en profiter cella ne dépend que de vous.


ARTHÉMISE. - Mais je ne demande pas mieux. Que faut-il faire ?


LA ROCHE PHÉLÉE. - Une chose bien simple, m'épouser !


ARTHÉMISE. - Vous épouser, vous, un grande seigneur, moi qui ne suis qu'une simple petite paysanne. Ne vous moquez pas de moi. Monsieur, je ne le mérite pas.


LA ROCHE PHÉLÉE. - Du tout, chère petite, je vous parle sincèrement.


ARTHÉMISE. - Quoi, il se pourrait, à mon tour ! il me serait possible d'égaler ce vaniteux qui doit épouser une princesse.


LA ROCHE PHÉLÉE. - Il n'épousera rien du tout, ne comprenez-vous pas que le roi se moque de lui.


ARTHÉMISE. - Comme on veut le faire pour moi peut-être ?


LA ROCHE PHÉLÉE. - Mais non, je vous le jure. Tenez, je vais vous en donner la preuve, allons voir vos parents, s'ils acceptent ma proposition nous nous occuperons immédiatement de notre mariage.


ARTHÉMISE. - C'est donc sérieux ? Oh ! quel bonheur !


LA ROCHE PHÉLÉE . - Allons conduisez-moi chez eux. (Ils sortent doucement.)


NARCISSE. - Je viens de préparer mon paquet pour aller à Versailles, j'emporte deux blouses, onze mouchoirs et un peu de linge. Je suis sûr que cette pauvre Arthémise doit être Furieuse. Ben, que voulez-vous ? il fallait s'y attendre, je l'avais presque prévenue. Quand je serai à Versailles, j'aurai de beaux habits comme ces jeunes seigneurs, et quand je viendrai ici par hasard tout le monde s'inclinera devant ma dignité. Je m'y vois déjà au milieu de tous ces vulgaires paysans je me ferai construire un grand château, j'aurai des bois, des forêts, des lapins. Allons bon, voilà Arthémise !


ARTHÉMISE. - Tiens, vous partez, monsieur Narcisse.


NARCISSE. - Oui, ma toute belle, je vais t'a la cour du roi, où dans quelques jours j'épouserai la princesse de Trébizonde. (Arthémise éclate de rire à son nez.) D'abord vous n'avez pas besoin de rire comme ça, c'est très inconvenant.


ARTHÉMISE. - Alors vous êtes assez naïf pour croire qu'une grande princesse épousera un niais comme vous ?


NARCISSE. - Oui petite, et vous en aurez bientôt la preuve.


ARTHÉMISE. - Oui ! Eh ! bien ! je demande à la voir la preuve. Oh ce beau Monsieur ! (Elle éclate de rire et se sauve.)


NARCISSE. - Elle est jalouse, c'est évident, il y a de quoi, du reste, moi à sa place je n'en dormirais pas.


RATIBOISÉ. - Venez-vous, jeune homme, nous partons pour Versailles.


NARCISSE. - C'est bien, allez, dites à Louis de m'attendre, dans une minute je serai prêt.

(La toile tombe.)



ACTE II

La scène représente une partie du parc de Versailles.



NARCISSE. - Oh ! que c'est beau la Cour ! Voilà bien ce que j'avais rêvé. Monsieur le roi m'a dit qu'il allait me faire faire des vêtements par son tailleur. C'est un bon garçon, Louis, on voit qu'il a de l'amitié pour moi ; je lui plais assurément. C'est drôle tous ces gens de la Cour, ils me regardent drôlement, ils sont jaloux de mon intimité avec le roi, ça se voit tout de suite. Ils ont l'air de me regarder du haut de leur grandeur. Tiens, en voilà un, je ne l'aime pas celui-là, il est plus moqueur que les autres.


RATIBOISÉ. - Ah vous voilà, jeune homme !


NARCISSE. - Oui, Monsieur, me voilà jeune homme et puis après ?


RATIBOISÉ. - C'est tout, mon ami.


NARCISSE. - Je vous ferai observer d'abord que je ne suis pas votre ami, une vulgaire connaissance, et c'est tout ! (Ratiboisé pousse un éclat de rire et s'éloigne.) En voilà un malhonnête, heureusement que ça ne m'atteint pas.


ARTHÉMISE. - Tiens, Narcisse !


NARCISSE. - Ah ! Pardon, Arthémise, c'est très imprudent ce que vous faites-là. Comment vous avez l'audace de me suivre jusqu'ici, au risque de compromettre ma situation.


ARTHÉMISE. - Oh ! votre situation, vous me faites bien rire ! Permettez--moi de vous faire observer, monsieur le grand Seigneur, que je ne suis pas ici pour épier vos actes. J'accompagne mon père qui est venu pour des affaires très sérieuses. Il va parler au roi !


NARCISSE. - Pourquoi faire, pour lui vendre des fromages ?


ARTHÉMISE. - Ceci ne vous regarde pas, ne vous occupez pas plus de moi que je ne pense à vous.


NARCISSE. - C'est bien, mais en attendant, ne compromettez pas mon avenir. Éloignez-vous de moi, car si on me voyait causer à une paysanne, je serais déconsidéré considérablement.


ARTHÉMISE. - Oh ! comme vous parlez bien, on voit que vous n'êtes pas un homme ordinaire. Rassurez-vous, mon cher, je vous laisse tout à votre bonheur. Adieu et bonne chance dans vos entreprises. (Elle part en riant.)


NARCISSE. - Est-elle orgueilleuse cette petite, elle ne veut pas avouer son dépit. Voyons ne pensons plus à ça. Tiens, voilà la princesse ma future épouse. (Appelant.) Psitt !


LA PRINCESSE. - Eh bien monsieur Narcisse, comment trouvez-vous Versailles ?


NARCISSE. - Heu ! Heu !


LA PRINCESSE. - Comment dites-vous ?


NARCISSE. - Je dis, heu heu, c'est beau, il y a des arbres comme chez nous, seulement on les a plantés plus haut. Mais ce n'est pas pour ça que je suis venu ici. (Il cherche lui prendre la main, elle s'éloigne de lui.)


LA PRINCESSE. - Allons, monsieur Narcisse, soyez convenable.


NARCISSE. - Mais puisque je dois vous épouser.


LA PRINCESSE. - Ce n'est pas une raison !


NARCISSE. - Eh bien alors embrassez-moi et je respecterai les convenances.


LA PRINCESSE, avec effroi. - Jamais par exemple


NARCISSE. - Comment jamais ? Voulez-vous m'embrasser tout de suite. (Il la poursuit, elle passe plusieurs fois fuyant devant lui, jetant des cris perçants, puis ils disparaissent.)


LE ROI. - D'où partent ces cris, on dirait que quelqu'un se trouve mal.


NARCISSE, accourant tout essoufflé. - Ah je n'en peux plus, je n'ai ornais pu y arriver. Tiens, voilà monsieur le Roi.


LE ROI. - Qu'est-ce qu'il y a donc ?


NARCISSE. - Figurez-vous, monsieur le Roi, que je voulais embrasser la princesse et elle n'a jamais voulu y consentir.


LE ROI. - Naturellement, mon ami, ça ne se fait pas.


NARCISSE. - Comment ça ne se fait pas, mais puisque je dois l'épouser.


LE ROI. - Ce n'est pas une raison, c'est très inconvenant.


NARCISSE. - Ah ben, chez nous ça se fait.


LE ROI. - C'est possible, mais ici ce n'est pas la même chose, et vous risqueriez fort en agissant ainsi de perdre les bonnes grâces de la princesse.


NARCISSE. - Elle est fière la princesse, ce n'est pas comme vous, monsieur le Roi, vous êtes un brave homme. (Il rit bêtement et chatouille la roi sous le bras.)


LE ROI, se reculant et répétant plusieurs fois. - Allons voyons, finissez. finissez donc ! (Le roi se retire.)


NARCISSE. - Est-il chatouilleux, monsieur le Roi ! (Il sort.)


LA ROCHE PHÉLÉE, il entre avec Arthémise. - Ma chère Arthémise, j'ai une bonne nouvelle vous apprendre. Votre père vient d'être reçu par le roi, et Sa Majesté consent parfaitement à ce que je vous épouse.


ARTHÉMISE. - Vraiment ? Oh ! quel bonheur. Mais monsieur le Comte, c'est à n'y pas croire. Comment moi, une simple petite paysanne, je deviendrais votre femme ? Mais jamais je n'aurai assez de bonnes manières pour tenir le rang que vous me destinez.


LA ROCHE PHÉLÉE. - Il vous manque peu de choses, et avec quelques bonnes leçons vous serez parfaite, croyez-moi. Allons adieu, je vais retrouver votre père et préparer notre départ ; ce soir même nous quittons Versailles pour retourner chez vous.


ARTHÉMISE. - Vous êtes bon, Monseigneur, soyez persuadé que je ferai tout mon possible pour vous rendre heureux, comme vous le méritez si bien.


NARCISSE. - Peste ! Mademoiselle Arthémise, vous ne vous refusez plus rien, vous adressez la parole à des gentilshommes de la cour.


ARTHÉMISE. - N'est-ce pas, monsieur Narcisse, du reste, il n'y a là rien de surprenant, vous parlez bien à des princesses.


NARCISSE. - Moi c'est différent, mon rang m'y oblige, puisque je vais en épouser une.


ARTHÉMISE. - Et le mien aussi puisque j'épouse un Comte.


NARCISSE, éclatant de rire. - Vous ? Ah ! elle est bien bonne ! Il vous a dit qu'il vous épouserait ?


ARTHÉMISE. - Et il m'épousera !


NARCISSE. - Mais ma pauvre fille, il s'est moqué de vous ! Songez donc que vous n'êtes qu'une simple fille des champs. Écoutez-moi, Arthémise, suivez mon conseil partez ce soir même chez vous, c'est ce que vous avez de mieux à faire.


ARTHÉMISE. - Justement, c'est ce que je vais faire, et j'espère vous y revoir bientôt.


NARCISSE. - Certainement, j'irai. Allons adieu, Arthémise, je ne vous en veux pays. Au revoir, petite, au revoir ! (Arthémise s'éloigne en riant.) Je crains qu'elle ne soit pas convaincue, enin ça la regarde ! Ah ! voilà le roi. (Appelant.) Eh Louis ! Monsieur Louis !


LE ROI. - C'est moi que vous appelez !


NARCISSE. - Naturellement que c'est vous.


LE ROI, à part. - Décidément ce paysan devient encombrant. (Haut.) Eh, bien voyons mon garçon, sommes-nous plus sérieux ?


NARCISSE. - Mais oui, M'sieur le Roi ! Dites donc, je voulais vous demander si vous avez fixé le jour de mon mariage.





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