THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE XII

BALANDARD, HENRIETTE, LES PRÉCÉDENTS,
puis LES GENDARMES et LE CONDUCTEUR.



BALANDARD. - Voilà un retard des plus ennuyeux. (Au chef de gare.) 
Quand y aura-t-il moyen de repartir pour Paris ?

LE CHEF DE GARE, d'un ton brusque. - Pas avant huit jours ! Est-ce que c'est ma faute ?

BALANDARD, à Henriette. - Qu'est-ce qu'il a ce monsieur ? Je ne lui ai rien fait et il a l'air furieux contre moi.

HENRIETTE. - On dirait que les voyageurs sont leurs ennemis. Tiens ! voilà ma noce ! (À part.) Il est bien temps !

MADAME CRÉTINET. - Henriette ! ma fille ! tu as déraillé ?

HENRIETTE, baissant la tête. - Complètement !


MADAME CRÉTINET. - Comment te sens-tu ?

HENRIETTE, relevant ta tête. - Très bien, maman. Rien de grave !

MADAME CRÉTINET. - Mais qu'est-ce tu allais faire à Paris, toute seule ? Quelle imprudence !

HENRIETTE, présentant Balandard. - Oh ! j'ai rencontré monsieur, qui a été bien aimable pour moi.

ISIDORE. - On se passera bien de son amabilité. Ça ne me convient pas, à moi, que vous vous promeniez ainsi avec le premier venu.

HENRIETTE. - C'est bien malheureux que cela ne vous plaise pas !... Pourquoi me laissez-vous en plan ?

ISIDORE. - J'ai été arrêté comme déserteur. Bonsoir de bonsoir ! je ne suis pas un déserteur de l'armée ; mais pour un peu, je déserterais bien le mariage !

MADAME CRÉTINET. - Voyons, Isidore, voyons, du calme ! il ne faut pas de colère !

ISIDORE. - Je ne suis pas en colère, je suis embêté ; et ce monsieur-là ! (Allant à Balandard.) je lui défends !...

BALANDARD, menaçant. - Qu'est-ce que tu me défends, toi ? Fais attention à ce que tu vas répondre. Je te préviens que je suis très fort, pas endurant du tout, et que pour commencer je vais te casser en deux !

ISIDORE, se reculant. - Cassez rien, encore...

HENRIETTE, à Isidore. - Taisez-vous donc, c'est le nouveau sous-préfet.

BALANDARD, à part, riant. - Elle est pleine d'esprit...

ISIDORE. - Le... sous-préfet ? (saluant.) Monsieur le sous-préfet... excusez-moi... 

 

MADAME CRÉTINET, à Henriette. - Tu connais le sous-préfet ?

HENRIETTE. - Oui, maman, et il veut être mon garçon d'honneur.

MADAME CRÉTINET. - Quel honneur ! (À Crétinet.) Salue donc, toi, vieille bête ?

CRÉTINET. - Qui ?... Je ne comprends pas..

MADAME CRÉTINET, à part. - Je comprends bien, moi... (Haut.) Demande-lui donc un bureau de tabac...

LE GENDARME, s'approchant d'Isidore. - Dites donc, jeune homme... Vous m'avez faussé compagnie ; mais je ne vous lâche pas.

ISIDORE. - Qu'est-ce que vous voulez encore, vous ?

LE GENDARME. - Vous êtes réserviste et voilà huit jours que vous devriez être au corps. Vous allez me suivre.

CRÉTINET. - Qu'est-ce qu'il dit ?

MADAME CRÉTINET. - On arrête notre gendre.

CRÉTINET. - Encore ? Je trouve qu'il a trop souvent affaire avec la gendarmerie.

MADAME CRÉTINET, à Balandard. - Monsieur le sous-préfet, je demande votre protection...

LE GENDARME. - Il y a un sous-préfet ici, et on ne me le dit pas ! (Levant
son bicorne.) 
Monsieur le sous-préfet, qu'y-a-t-il de vos ordres ?

ISIDORE. - Monsieur le sous-préfet. Vous savez que je vais me marier... ma future a dû vous mettre au courant... puisque vous me faites celui d'être mon garçon d'honneur... trop d'honneur !... accordez-moi un délai ; je ferai mes vingt-huit jours l'année prochaine.

BALANDARD. - Impossible ! La loi est formelle !

LE GENDARME. - Jeune récidiviste, vous avez entendu la loi sortir de la bouche du gouvernement. (Il salue.) Il ne peut obtempérer à votre demande.

MADAME CRÉTINET. - Va, mon garçon, va ! Henriette patientera bien vingt-huit jours !

HENRIETTE. - Oh ! moi, je lui donne le mois tout entier.

ISIDORE. - C'est comme qui dirait mon congé.

HENRIETTE. - Prenez-le comme vous voudrez !

ISIDORE, dignement. - Bonsoir. (Il sort avec le gendarme.)

HENRIETTE, de même. - Bonjour ! (On entend les grelots de l'omnibus.)

LE CONDUCTEUR. - Les voyageurs pour Viremollet, en voiture !

HENRIETTE. - Ah ! et mon panier ?

MADAME CRÉTINET. - Ah ! Il est joli, tu l'as écrasé en déraillant.

HENRIETTE. - En ce cas !... (À Balandard.) Mon sous-préfet, ton bras !

BALANDARD, bas à Henriette, en lui offrant le bras. - Il n'y a pas de sous-préfectures. Où allons-nous ?

HENRIETTE. - À la maison, pardi ! en attendant la mairie.


Rideau.

 



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