THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MADELONl'interrompant. 
Comme une furie,
Je veux m'attacher à vos pas.
Jusqu'à la mort, vous n'aurez pas
Un jour de paix et d'allégresse.
J'aurai le cœur d'une tigresse.
Insensible à vos repentirs,
Je ferai de vous un martyr
À votre tour, une victime
De ma rancune légitime,
En vous sonnant ce carillon :
« Le médaillon ! Le médaillon ! »

(Sur ces mots, Madelon poursuit Guignol qu'elle frappe avec son balai. Madelon sort en criant.)



SCÈNE V


GUIGNOL, seul.


GUIGNOL.
Il eût mieux valu, sans nul doute,
Qu'elle restât muette. 

(Nouveau silence. Guignol se dirige vers le côté où est sortie Madelon et dit d'une voix suppliante :)

Écoute,
Ma petite femme. On pourrait...

     (Toinon reparaît arec une physionomie si accablée, si lugubre, que Guignol, s'interrompant. recule d'un pas, tout saisi.)

 


SCÈNE VI


GUIGNOL, MADELON



MADELON, d'une voix éteinte. 
Vous dites, monsieur ?

GUIGNOL, 
très troublé. 
Je suis prêt
À te faire plaisir, en somme,
Étant d'un naturel conforme.
Mais compte sur tes jolis doigts :
Avec dix écus que je dois
Au docteur pour l'avoir guérie,
Cela ferait...

(Il compte un moment sur ses doigts ; puis, rassemblant tout son courage :)

Non, ma chérie,
Point de ces fastueux désirs !
Nous chercherons, bien à loisir,
Quelque autre aimable fantaisie,
Avec le meilleur goût choisie,
Mais moins coûteuse, et qui...


MADELON, l'interrompant. 
Monsieur,
Ma pauvre mère est dans les cieux,
Et vraiment j'en suis bien heureuse ;
Car sa douleur serait affreuse
En me voyant traitée ainsi.
Bientôt je serai morte aussi ;
Ne me dites pas le contraire.
Sur mon monument funéraire
Peut-être viendrez-vous alors,
Brisé par le poids du remords
Et d'une tristesse mortelle,
Déposer cette bagatelle
Que vous arrachez de mes mains.
C'est pourquoi, monsieur, je vous plains ;
Et, dans le sein de la Madone
Versant mes pleurs, je vous pardonne.

     (Sur ces mots, dits avec tout ce que l'abnégation chrétienne a de plus sublime, elle se dirige lentement vers la sortie de gauche et disparaît. Guignol, qui l'a regardée partir, lève ses bras au ciel, et les laisse retomber avec désespoir.)


SCÈNE VII


GUIGNOL, seul.


GUIGNOL, après un long silence. 
Mieux valait l'entendre crier,
Me maudire, m'injurier,
Proférer d'horribles menaces...
Dieu ! que les femmes sont tenaces !
Qu'est-ce que je vais devenir ?
Je céderais pour en finir ;
Mais faire deux grosses dépenses
Le même jour, ah ! non !... Je pense
Que dans un instant Pitricus
Viendra chercher ses dix écus.
Hélas ! cracher pareille somme
Est cruel ; mais il n'est pas homme
À lâcher le morceau...

      (Il prend une attitude méditative. Madelon, entre, s'approche de lui sur la pointe des pieds, sans être vue ni entendue. Arrivée près de Guignol, elle le tape doucement sur l'épaule. Il tressaille et se retourne.)

 


SCÈNE VIII


GUIGNOL, MADELON


MADELONavec un sourire.
C'est moi.

GUIGNOL.
Tu m'as fait peur.


MADELON.
Voyons : pourquoi
Nous disputer ? On peut s'entendre.
Vous êtes un mari fort tendre ;
Je suis soumise et douce... 

(Elle s'interrompt.) 

GUIGNOL.
Eh bien ?


MADELON.
J'ai découvert un bon moyen
D'arranger tout.

GUIGNOL.
Lequel, ma mie ?


MADELON.
Si vous faites l'économie
Des écus promis au savant,
En ne le payant que de vent,
M'offrirez-vous celte parure ?

GUIGNOL,
 prévoyant de grosses difficultés. 
Je le veux bien ; mais...


MADELON.
Je vous jure
Que nous pouvons nous en tirer.
Vous vous êtes laissé leurrer :
Si je fus quelques jours muette,
C'était pour en faire à ma tête...

GUIGNOL, 
avec plus d'admiration que de rancune. 
Oh ! la mâtine !


MADELON.
...Et le docteur
N'est qu'un ridicule imposteur,
Dont la vaine sorcellerie
M'a trop facilement guérie.

GUIGNOL, 
avec colère, en se levant. 
Ah ! le gredin !


MADELON.
Dites-lui donc
Que cent clochettes et bourdons
Font moins de bruit que votre femme,
Et que vous allez rendre l'âme,
S'il ne me fait pas de nouveau
Plus muette que le tombeau.
Comme rien n'est plus impossible,
Vous, le prenant alors pour cible
Des quolibets les plus mordants.
Vous lui direz... 


GUIGNOL, l'interrompant. 
Chut ! Je l'entends.

(Une courte pause. Tous deux écoutent. Le dialogue qui suit doit être mené très vivement.)


MADELON.
Alors il faut que je vous laisse.
Daubez-le bien ; point de faiblesse ;
Puis, quand vous croirez qu'il est temps
De le confondre...

GUIGNOL,
 interrompant. 
Oui, mais va-t-en !


MADELON. 
Il faut bien que je vous explique...

GUIGNOL, 
de même. 
Je lui donnerai la réplique,
N'en doute pas, et comme il faut.


MADELON.
Laissez-moi pourtant...

GUIGNOL, 
de même. 
Suis-je un sot ? 


MADELONavec le plus aimable sourire. 
Non. J'aurai cette babiole ?

GUIGNOL.
Oui, femme ; et, de plus, une fiole
De ce délicieux muscat,
Tu sais, doré comme un ducat,
Pour fêter la paix du ménage. 

(De la main, Toinon sort. Pitricus entre par l'autre côté.)

 

SCÈNE IX


GUIGNOL, PITRICUS


PITRICUS.
Bonjour, voisin. Je suis en nage.
Avec tous les clients que j'ai...
Mais quoi ! vous êtes là, plongé
Dans une sombre rêverie ?
Votre épouse, que j'ai guérie,
Devrait égayer la maison.

GUIGNOL.
Ce propos n'est point de saison.
Ma femme, par ses cris, me tue,
De sorte que je l'ai battue,
Puis enfermée à triple tour.

PITRICUS, 
troublé, mais n'en voulant rien laisser voir. 
On trouve du contre et du pour
Dans toutes choses sur la terre.

GUIGNOL, 
suppliant. 
Ah ! cher docteur, faites-la taire !
Rendez-la muette à jamais !
En retour, moi, je vous promets,
Non pas dix écus, mais vingt !

PITRICUS, 
de plus en plus troublé.
Certes,
Ce changement me déconcerte.
Malgré moi vous avez voulu...

GUIGNOL,
 interrompant. 
J'étais fou ; je ne le suis plus.

PITRICUS.
N'ayant rien fait que pour vous plaire,
Je viens réclamer mon salaire.

GUIGNOL.
Vous l'aurez, vous dis-je, et deux fois ;
Mais que ma femme soit sans voix !

PITRICUS.
À vos malheurs je suis sensible ;
Mais vous demandez l'impossible.

GUIGNOL.
Vingt écus valent un effort.

PITRICUS, 
à part, assez vite. 
Oh ! quelle idée ! Il n'est pas fort ;
La fine mouche est enfermée,
Et lui, n'y verra que fumée :
Essayons-en ! 

(à Guignol.)
Mon cher voisin,
Le Diable, fût-il médecin,
Ne ferait pas taire une femme ;
Mais, ne pouvant rien sur Madame,
Je peux beaucoup sur son époux.
Je peux vous rendre sourd.

GUIGNOL, 
troublé. 
Moi ?

PITRICUS.
Vous.
Pour n'entendre plus votre épouse,
Ce moyen unique en vaut douze.


 




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