PITRICUS
Voici ce que je vous propose :
Je veux vous garder, et pour cause,
Très fidèlement le secret ;
Un tombeau n'est pas plus discret ;
Mais je saurai bien faire entendre
Que tout mon art ne peut vous rendre
La parole, si votre époux
Ne vous offre le cher bijou.
Dès qu'il aura promis la chose,
Sous votre fine langue rose
Je ferai semblant de trancher
Je ne sais quoi...
...Sans vous toucher ;
Et, point du tout endolorie,
Vous crierez, vous : « Je suis guérie ! »
Est-ce conclu ?
MADELON, après un moment de réflexion.
Faire avec vous
Pareille farce à mon époux,
Maître docteur, ne me plaît guère.
PITRICUS, avec bonhomie.
À la guerre comme à la guerre !
Vous le ferez bien rire, un jour,
En lui racontant ce bon tour.
Seule, vous dupez le cher homme :
Le faire avec moi, c'est tout comme !
Par mon aide, enfin, vous aurez
Le joyau que vous dédirez.
MADELON, après une nouvelle pause.
Que ferez-vous, si je refuse ?
PITRICUS.
Je dévoilerai votre ruse,
Et, trique en main, sans hésiter,
Guignol vous fera chanter.
MADELON, avec un geste de résignation.
Alors...
(Elle n'achève pas.)
PITRICUS, sans l'interrompre.
Vous voilà raisonnable.
(Il va vers la porte de droite, revient et reprend :)
Il vient. Tirez la langue.
SCÈNE III
GUIGNOL, MADELON, PITRICUS
PITRICUS, examinant Madelon.
Diable !
Je vois que sans ledit joyau
C'est chose impossible.
(Pitricus, pour le moment, tourne le dos à Guignol.)
GUIGNOL, inquiet.
Ho ! ho !
Que racontez-vous là, compère ?
PITRICUS, tout à son examen.
Nous réussirons, je l'espère ;
Oui ; mais j'aperçois là-dedans,
Par l'examen des grosses dents,
De la langue et de la luette,
Qu'elle sera toujours muette.
Et que mon art restera vain,
Si vous ne lui donnez enfin
Le médaillon.
(En disant la fin de sa phrase, il se tourne vers Guignol.)
GUIGNOL
Mais c'est indigne !
PITRICUS, regardant la langue de Madelon.
Je vois un infaillible signe
Que vous devez faire ce don
Pour, qu'elle guérisse.
(Il se tourne vers Guignol et s'approche de lui.)
GUIGNOL.
Pardon !
J'ai promis dix écus : rien d'autre
PITRICUS, s'approchant de Guignol.
Fi ! quelle avarice est la vôtre !
Lésiner dans un cas pareil !
GUIGNOL.
Mais enfin...
PITRICUS, l'interrompant
Suivez mon conseil :
Promettez l'objet qui la tente ;
Et son âme reconnaissante
Va s'épanouir en doux sons,
Rires clairs et belles chansons !
GUIGNOL.
Dix écus ! Un médaillon ! Diantre l
Il faudra m'attacher le ventre
Un jour par semaine.
PITRICUS.
Oh ! que non !
GUIGNOL.
Dix écus !
PITRICUS.
Et le médaillon.
GUIGNOL, cédant avec douleur.
Ah ! par le vin blanc de la messe !
Vous m'égorgez.
PITRICUS.
Votre promesse
Est donnée ?
GUIGNOL, après un silence, et non sans effort.
Oui.
PITRICUS.
C'est fort heureux.
GUIGNOL, à part.
Mais promettre et tenir sont deux.
PITRICUS.
Compère, passez-moi ma trousse.
(Jeu pour suggérer que Guignol passe la trousse à Pitricus, qui l'ouvre et y prend un bistouri. Le médecin dit en faisant deux pas vers Madelon.)
Petite langue aimable et douce,
Ne craignez pas le bistouri.
Désoslabos ! Ifarrikari !
Hoch, Belzébulh ! Quand tu te mouches,
Tu fais le bruit des grosses mouches
Qui bomkinant in vacuo !
Les dix écus et le joyau,
Par magie et sorcellerie !
Bim ! Boum ! Amen.
(Il s'approche de Madelon, accomplit arec son bistouri une opération imaginaire, puis s'écarte. Madelon regarde à droite et à gauche puis pousse l'exclamation qui suit :)
MADELON.
Je suis guérie !
GUIGNOL.
Est-il possible ?
PITRICUS, désignant Madelon.
Écoutez-la.
GUIGNOL, avec une conviction profonde.
C'est beau, la science.
PITRICUS, avec une simplicité majestueuse.
Voilà !
GUIGNOL, faisant deux ou trois pas vers sa femme.
Chère Madelon, parle encore.
MADELON.
Quand ce médaillon, que décore
Un rubis, sera-t-il à moi ?
GUIGNOL, gêné.
Un peu plus tard.
MADELON.
Non, par ma foi !
Je yeux que vous alliez sur l'heure
Me l'acheter. Sinon, je pleure.
(Les dernière mots sont dits en larmoyant.)
GUIGNOL, avec plus d'assurance.
Pardieu, nous avons bien le temps l
MADELON.
Je le veux tout de suite.
GUIGNOL.
Attends
La fin du mois. Dans les affaires...
MADELON, interrompant, indignée.
La fin du mois !
GUIGNOL.
Si tu préfères,
Ce sera pour demain.
MADELON.
Demain !
Cruel tyran ! Monstre inhumain !
Mais demain je peux être morte,
Époux sans cœur !
PITRICUS, à part, assez vite.
Gagnons la porte.
Pour l'instant, obtenir mon dû
Serait passablement ardu.
(Il gagne la porte de droite sur la pointe des pied et disparaît sans que sa sortie soit remarquée, ni que le dialogue soit interrompu.)
SCÈNE IV
GUIGNOL, MADELON
(Guignol s'approche de Madelon ; puis, tout en parlant, il étend sa main droite comme pour la lui poser sur l'épaule.)
GUIGNOL.
Voyons, Madelon, ma chérie...
MADELON, reculant avec horreur.
Ne me touchez pas, je vous prie !
GUIGNOL, paternel.
Que feras-tu de ce bijou,
Qui coûte vraiment un prix fou ?
Y renoncer serait plus sage.
La moindre fleur à ton corsage
Ferait bien plus...
MADELON, interrompant avec violence.
Comment ! c'est vous,
Quoi ! c'est mon légitime époux
Qui me tient un pareil langage !
Et la parole qui l'engage,
Il la foule aux pieds sans pudeur !
GUIGNOL.
Laisse à quelque moine grondeur
Les sermons sur la foi jurée.
À quoi bon tant de simagrées ?
J'ai promis pour ta guérison
Tout ce qu'on voulait : j'eus raison.
Maintenant permets-moi d'en rire
Tu parles : ça doit le suffire.
MADELON, avec une fureur toujours croissante.
Ah ! traître, vous vous figurez
Qu'avec mes droits les plus sacrés
Vous allez jongler à votre aise !
Non, monsieur ; non. Sur votre chaise,
Dans votre lit, en vous levant,
En vous couchant, mangeant, buvant,
Dans la rue, à votre boutique,
Oui, devant toutes vos pratiques
Qui vous fuiront pleines d'horreur,
Avec angoisse, avec terreur
Vous m'entendrez sans fin ni cesse
Vous reprocher votre bassesse,
Vos détestables sentiments,
Votre mépris de vos serments.
Votre honteuse ladrerie !
GUIGNOL, accablé.
De grâce...