THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MONSIEUR BÉBÉ

COMÉDIE EN TROIS ACTES


Le Guignol des salons, par L. Darthenay

1888

domaine public


PERSONNAGES

LENGLUMÉ, rentier.
ERNEST, son fils.
LE COMMANDANT.
BOULANDAU, professeur.
DUFLANC, cuisinier.
KRACHMANN, usurier.
FILOCHARD, usurier.
BENJAMIN, petit gamin.
LE COMMISSAIRE DE POLICE.
MADAME LENGLUMÉ.
MADAME DE LAOUSSE PIGNOL, belle-mère d'Ernest.
MADAME OCTAVIE, femme d'Ernest.
MADAME MARGUERITE, domestique.
MADAME LA PROPRIÉTAIRE.
MADAME LA CONCIERGE.



ACTE PREMIER

La scène représente un salon.


ERNEST, en collégien. - Ah! par exemple, c'est trop fort ! Papa a la prétention de vouloir me faire travailler pendant les vacances, comme si je ne travaillais pas assez pendant toute l'année au collège. Aussi, je me révolte. Je ne veux pas travailler, et je ne travaillerai pas ! (Il se sauve en voyant son père.)

MONSIEUR LENGLUMÉ. - Ah çà ! dites donc, monsieur Ernest, qu'est-ce que c'est que ces manières-là ? Je suis désolé, profondément désolé ; mon fils ne veut absolument rien faire. Je sais bien qu'il est en vacances, il peut s'amuser tant qu'il le veut ; mais ce n'est pas une raison pour passer toutes ses journées dans l'oisiveté comme il le fait. Sa mère, pauvre femme trop bonne, fait sa perte sans s'en apercevoir ; elle lui donne toujours raison ; elle passe sur tous ses caprices. Enfin, heureusement que je suis là pour veiller sur lui, il y a dans la maison un ancien professeur retraité ; je viens de faire prier ce monsieur de vouloir bien venir ici pour donner quelques leçons à Ernest ; et si cette mesure ne suffit pas, j'en emploierai une autre bien plus rigoureuse. (Il sort.)


MADAME LENGLUMÉ, accourant. - Mais, mon ami, c'est ridicule... C'est ridicule, je ne cesserai de le répéter ; mon mari exige que mon fils travaille pendant les vacances ! Je vous demande un peu, ce pauvre chéri, il n'a que cette époque de l'année pour s'amuser, et il faudrait encore la lui abréger ! Pauvre trésor ! Ah, s'il ne m'avait pas, je me demande vraiment ce qu'il deviendrait ! (Elle sort.)

BOULANDAU, un parapluie sous le bras. - Annoncez monsieur Boulandau !... Monsieur Boulandau, c'est moi, ancien professeur au lycée de Carcassonne. Monsieur Lenglumé vient de me faire demander, probablement, je crois, pour me faire donner quelques leçons à son fils. J'ai entendu dire que ce petit jeune homme était très léger, très dissipé ; enfin, nous allons voir, et s'il n'y a pas moyen d'obtenir un bon résultat, j'y renonce tout de suite ; j'ai eu assez de peine dans mon existence avec ces enfants étourdis pour troubler mon repos...

LENGLUMÉ, parlant à la cantonade ; il cogne fortement monsieur Boulandau. - Parfaitement, madame, c'est entendu !... Oh ! pardon, monsieur, je ne vous voyais pas. (Monsieur Boulandau et lui se frottent la tête.) Ah ! monsieur Boulandau, je crois ?

BOULANDAU. - Parfaitement, oui, monsieur.

LENGLUMÉ. - Dites-moi, monsieur Boulandau, je vous ai fait demander pour vous prier de vouloir bien donner tous les jours, pendant deux heures, quelques leçons à mon fils.

BOULANDAU. (Il dépose son parapluie sur la tablette.) - Parfaitement, monsieur.

LENGLUMÉ. - Comme je vous l'ai fait dire, mon fils est très léger ; mais enfin le fond n'est pas mauvais. Cependant, si vous avez quelques observations à me faire, ne craignez jamais de me les adresser, vous serez toujours parfaitement reçu. .

BOULANDAU. - Très bien, monsieur ; voulez-vous avoir la bonté de m'envoyer monsieur, votre fils ?

LENGLUMÉ. - Parfaitement, monsieur ; une petite minute, je vous prie. (Il sort.)

BOULANDAU. - Nous allons voir ce que c'est que cette petite nature, et, comme je le disais tout à l'heure avec tant de distinction, s'il n'y a pas moyen d'obtenir un bon résultat, j'y renonce tout de suite.

ERNEST, ne voyant pas monsieur Boulandau ; il arrive en dansant et en chantant. - Tra-la-larla, tra-la-la-la !... Oh ! pardon, m'sieur ! Bonjour, monsieur.

BOULANDAU. - Bonjour, mon enfant. Dites-moi, mon ami, monsieur votre père m'a chargé de vous donner tous les jours, pendant deux heures, quelques leçons. (Ernest le chatouille doucement sous l'oreille, le professeur se gratte et regarde du côté opposé. Ce jeu de scène se renouvelle plusieurs fois pendant ce dialogue.)  Je vous préviens, mon ami, que je n'ai nullement l'intention d'en abuser ; nous pourrons, si vous le voulez bien, passer ces deux heures le plus agréablement possible.

ERNEST. - Je veux bien, m'sieur !

BOULANDAU. - Eh bien ! voilà une bonne parole. Tenez, mon ami, puisque vous êtes si bien disposé, nous commencerons aujourd'hui ; voulez-vous ?

ERNEST. - Je veux bien, m'sieur.

BOULANDAU. - Voulez-vous commencer tout de suite ?

ERNEST. - Si vous voulez, m'sieur...

BOULANDAU. - Attendez-moi un peu, n'est-ce pas ? Je vais, vous chercher quelques devoirs que je vous ai préparés ; je reviens tout de suite.

ERNEST. - Bien, m'sieur. (Pendant que Boulandau va pour sortir, Ernest imite différents petits cris et prend aussitôt une pose sérieuse. Boulandau cherche de tous côtés d'où ils proviennent.)

BOULANDAU. - C'est vous qui faites ces cris ?

ERNEST. - Non, m'sieur ! (Il reprend sa pose bien immobile, et au moment où Boulandau va disparaître, il lui fait :)  Proutt ! ... Proutt !... Proutt !...

BOULANDAU, revenant stupéfait. - C'est vous qui avez fait : Poutt !... poutt !... poutt ?...

ERNEST. - Non, m'sieur !

BOULANDAU. - C'est pas vous qui avez fait poutt !... poutt !... poutt ?...

ERNEST. - Je vous assure que non, m'sieur !

BOULANDAU. - Il me semblait pourtant bien que c'était vous qui aviez fait poutt !.... poutt !... poutt !... (Il sort.)

ERNEST. - Ce pauvre monsieur, il se figurde qu'il va me donner des leçons. Je ne lui donne même pas trois minutes pour y renoncer. (Sans apercevoir Boulandau qui revient avec un livre, il se met à danser et à chanter, s'arrêtant stupéfait lorsqu'il le' voit à côté de lui. Monsieur Boulandau tourne les pages ; pendant ce temps, Ernest exécute différentes cabrioles, réprimées par le geste autoritaire du professeur. Ernest reprend chaque fois une pose sérieuse. Il attrape des mouches, etc. Mettant sa tête sur la tablette et levant les bras en l'air, il met sa main dans l'œil de monsieur Boulandau.)

BOULANDAU, se frottant l'œil. - Mais voyons, mon enfant, c'est stupide, ce que vous faites là ! Voyons, venez ici, lisez-moi ça ; tenez, là. (Ernest sort furtivement.) Allez, commencez !... plus haut !... plus haut ! (Il se retourne et s'aperçoit qu'Ernest a disparu. Il court après lui. Ils traversent plusieurs fois la scène, se poursuivant.)

ERNEST, revenant. - Ah ! je suis tout essoufflé !

BOULANDAU, accourant. - Voyons, mon enfant, ce n'est pas sérieux. Voulez-vous me lire ça, oui ou non ?

ERNEST. - Certainement, m'sieur. Où ça, là ? L-u-s Lus, t-u tu, c-r-u cru, Lustucru !

BOULANDAU. - Mais, mon enfant, il n'y a pas ça.

ERNEST. - Je vais vous dire, monsieur, c'est qu'aujourd'hui je n'ai pas le temps de travailler, parce que j'ai des amis qui m'attendent dans le jardin pour faire une partie de billes. (Il essaye de se sauver. Boulandau le retient.)

BOULANDAU. - Voulez-vous rester là, s'il vous plaît ?

ERNEST, essayant encore de se sauver. - Mais, m'sieur, puisque je vous dis que je remonte !

BOULANDAU, le rattrapant encore. - Voulez-vous venir ici, tout de suite ?

ERNEST. - Je vous assure, monsieur, que je ne serai pas longtemps. (Il se sauve.)

BOULANDAU, fermant son livre. - Non, décidément c'est impossible, j'y renonce. J'aime mieux prévenir ses parents. (Il sort.)

ERNEST. - Ce pauvre monsieur, je savais bien qu'il y renoncerait. Tiens, il a oublié son parapluie. (Il fait le moulinet avec le parapluie ; Boulandau rentrant à ce moment reçoit un coup sur la tête. Il tombe, se relève et court après Ernest. Cette scène peut se renouveler plusieurs fois de suite, sans en abuser.)

BOULANDAU. - Jamais je n'ai vu un enfant pareil. J'en ai la tête comme une tomate.

MADAME LENGLUMÉ. - Mais qu'est ce qu'il y a donc, monsieur ?

BOULANDAU. - Il y a, madame, qu'il m'est impossible de continuer à donner des leçons à monsieur votre fils.

MADAME LENGLUMÉ. - Mais pourquoi donc ça, monsieur ?

BOULANDAU. - Parce que, madame, votre fils est trop mal élevé !

MADAME LENGLUMÉ. - Permettez, monsieur, je n'ai pas l'habitude d'entendre parler ainsi de mon fils.

BOULANDAU. - Eh bien ! madame, je crois que vous ferez bien d'en prendre l'habitude, car, je vous le répète, il est bien mal dirigé.

MADAME LENGLUMÉ. - Monsieur, vous l'avez déjà dit une fois, c'est inutile de le répéter. Vous pouvez sortir, monsieur, je ne vous retiens pas.

BOULANDAU. - C'est bien, madame, je sors ; mais souvenez-vous de mes paroles : votre fils ne fera jamais qu'un petit mauvais sujet.

MADAME LENGLUMÉ. - C'est bien, monsieur, sortez ! (Elle bondit sur lui, il n'a que le temps de se sauver.) A-t-on jamais vu une affaire pareille ? Je ne comprends pas vraiment cet acharnement que tout le monde met après mon fils. Un enfant si bon, si aimable, si studieux, si instruit ! Ils sont tous après lui, avec une méchanceté incroyable...

LA PORTIÈRE. (Elle entre affolée.) - Madame !!! madame !!!

MADAME LENGLUMÉ - Qu'est-ce qu'il y a, madame la concierge ?

LA PORTIÈRE, sanglotant. - Il y a, madame, que monsieur votre fils vient, d'attacher une casserole à la queue de mon chat ! (Madame Lenglumé pousse un formidable éclat de rire.) Permettez, madame, je ne veux pas qu'on lui fasse-de mal, à c'te pauvr' bête, et je vous préviens que si monsieur votre fils recommence, je lui casserai mon manche à balai sur le dos !

MADAME LENGLUMÉ, cessant seulement de rire. - Madame la portière, qui est-ce qui vous a permis de monter ici ?

LA PORTIÈRE. - Mais, madame...

MADAME LENGLUMÉ. - Voulez-vous sortir, je vous prie ?... Voulez-vous sortir ? (Avec un vigoureux coup de tête, elle la lance au dehors.) Croyez-vous, cette concierge, elle a l'audace de dire qu'elle frappera mon enfant ! Mais qu'elle y touche donc, à mon fils ; je lui arracherais les deux yeux, à cette misérable !

LA PORTIÈRE, rentrant tout doucement. - Je savais bien qu'en m'adressant à madame Lenglumé je n'obtiendrais rien du tout... rrrrrien du tout, rrrrrien du tout. Elle donne toujours raison à son fils. Aussi je vais attendre le retour de monsieur Lenglumé. (Ernest arrive derrière elle avec un bâton et l'écoute.) Il est beaucoup plus sévère, lui, beaucoup plus... (Ernest lui donne un grand coup de bâton ; elle se sauve en criant.)

ERNEST. - Allez donc lui dire ça, à papa ! Est-elle mauvaise, cette portière ! Elle veut me faire fâcher avec papa ; comme si j'avais besoin d'elle pour ça ! (Il regarde à la fenêtre.) Allons, bon, voilà qu'elle raconte ça à la propriétaire ; ça va encore en faire, des histoires ! Voilà cette dame qui monte, sauvons-nous. (Il sort.)

LA PROPRIÉTAIRE, parlant à la cantonade. - Ne pleurez pas, pauvre femme, je vais arranger ça. Je n'ai jamais vu une chose pareille : ma pauvre concierge a failli être assommée par cet enfant insupportable. (Ernest entre furtivement, la tire par les cheveux et se sauve.) Et vous croyez que c'est agréable pour une propriétaire ? (Même scène.) Je vais aller trouver madame Lenglumé et lui dire tout simplement ceci : Madame...

ERNEST, passant sa tête. - ...monte à sa tour, mironton mironton mirontaine...

LA PROPRIÉTAIRE se retourne et cherche de tous côtés. - Je ferai mieux peut-être d'aller trouver monsieur Lenglumé et de lui dire carrément : Monsieur...

ERNEST, même jeu. - ...Malbrough est mort en guerre... mironton... mironton... mirontaine.

LA PROPRIÉTAIRE. - Non, décidément, je ne veux pas garder plus longtemps ces gens dans ma propriété ; ma maison a toujours été bien habitée...

ERNEST, même jeu. - Ter-té-té-té-té...

LA PROPRIÉTAIRE. - ...Et je ne veux pas, par rapport à ces gens, avoir tant de désagréments..

ERNEST, même jeu. - Ran-tan-plan !

LA PROPRIÉTAIRE. - C'est par trop d'insolence ! Je vais leur donner congé immédiatement.

MADAME LENGLUMÉ. - Qu'est-ce qu'il y a donc, madame ?

 




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