THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 
LE DOCTEUR. - Aussi pourquoi te permets-tu de toucher à mes plats.

POLICHINELLE. - Oui, j‘ai eu tort ! Ah ! ça me brûle dans le ventre !

LE DOCTEUR. - Je crois bien ! il y avait dans le pâté de quoi empoisonner trente rats !

POLICHINELLE. - Trente rats !

LE DOCTEUR. - Et des gros ! Tu dois souffrir horriblement !

POLICHINELLE. - Ça se voit sur ma figure ?

LE DOCTEUR. - Tu es livide !

POLICHINELLE. - Sauvez-moi, docteur ! Sauvez-moi !

LE DOCTEUR. - Va rejoindre Pierrot, dans sa chambre. Je vais vous soigner tous les deux.

POLICHINELLE. - Ah ! mon Dieu ! Je sens que je tourne de l‘œil... Sauvez-moi ! (Il sort.)


SCÈNE XII


LE DOCTEUR


Et dire que voilà des maîtres fourbes que j‘ai amenés à avouer leurs fautes en leur suggérant des maux imaginaires ! Car ce pâté n‘a jamais été empoisonné, et je regrette vivement de n‘avoir pu en manger. Ce ne sont pas des magistrats qui devraient interroger les criminels, mais bien des docteurs comme moi, qui pratiquent l‘art de tirer les vers ducnez ! Avec tout cela, mon procédé pour dompter les valets ne me semble pas infaillible. Le pain sec et l‘eau n‘ont pas produit l‘effet que j‘en attendais ; il faudra trouver autre chose. En attendant, je vais aller voir ces empoisonnés imaginaires et leur administrer une petite purgation.


SCÈNE XIII


LE DOCTEUR, MALALATESTA


MALALATESTA. - Eh bien, mon cher confrère, êtes-vous prêt ? Je viens vous chercher.

LE DOCTEUR. - Je suis à vous dans un instant ; je vais donner quelques ordres. (Il sort.)

MALALATESTA. - Je viens de faire une petite provision de café en poudre pour mettre le soir dans ma tabatière ; j‘ai hâte de savoir ce qui en résultera. Évidemment le procédé de docteur est bon ; mais il se peut, par exemple, que mon valet s‘aperçoive que la poudre de ma tabatière est du café et qu‘il ne la vole pas ; cela ne prouvera pas absolument qu‘il volait le tabac. En tout cas si je l‘interroge, il peut nier. J‘en parlerai au Docteur.

LE DOCTEUR, rentrant. - Maintenant, je suis tout à vous, mon cher confrère ; mes gens sont indisposés, ils garderont la maison. Je leur ai dit que je dînais pas ici ; ils pourront donc se reposer. D'ordinaire, je ne les laisse jamais seulspendant longtemps, car je me méfie de ces drôles ; mais aujourd‘hui, je suis tranquille ; ils ne s‘absenteront pas !

MALALATESTA. - Eh bien, partons ! J‘ai abrégé votre déjeuner ; vous allez avoir bon appétit.

LE DOCTEUR. - Allons donc ! (à la porte.) Après vous, mon cher confrère.

MALALATESTA. - Du tout, je vous en prie.

LE DOCTEUR. - Je n‘en ferai rien ! C‘est à moi à vous faire les honneurs. (Ils sortent ensemble.)


SCÈNE XIV


PIERROT, POLICHINELLE


POLICHINELLE. - Ils sont partis !

PIERROT. - En es-tu sûr ?

POLICHINELLE, regardant à la fenêtre. - Ils viennent de tourner le coin de la rue.

PIERROT. - Nous sommes seuls dans la maison !

POLICHINELLE. - As-tu pris le remède du docteur ?

PIERROT. - Non, pas encore ! Et toi ?

POLICHINELLE. - Moi non plus ! Mais nous ne le prendrons pas.


PIERROT. - Pourquoi ?

POLICHINELLE. - Parce que nous n‘en avons pas besoin.

PIERROT. - Nous ne sommes donc pas empoisonnés ?

POLICHINELLE. - Eh non ! as-tu encore des coliques ?

PIERROT. - Non !

POLICHINELLE. - Ni moi non plus ! Nous n‘en avons même jamais eu ! C‘est le docteur qui nous a mis cela dans l‘idée ! Tout à l‘heure tu m‘as vu me tenir près de la porte : le docteur parlait tout seul et je l‘écoutais. Or, j‘ai entendu qu‘il nous appelait des empoisonnés imaginaires ! Tu comprends que cela n‘est pas tombé dans l‘oreille d‘un sourd.

PIERROT. - Ah ! c‘est comme ça ?

POLICHINELLE. - Oui ! aussi, comme il nous croit malades et qu‘il ne se doute plus de rien, sais-tu ce que nous allons faire ?

PIERROT. - Je ne sais pas !

POLICHINELLE. - Nous allons manger le poulet rôti.

PIERROT. - Mais il s‘en apercevra.

POLICHINELLE. - Sans doute ! Mais nous lui dirons que nous l‘avons jeté par prudence, et nous le persuaderons qu‘il nous avait dit qu‘il était aussi empoisonné.

PIERROT. - Avec tes idées, tu finiras par nous faire renvoyer.

POLICHINELLE. - Ne le crois pas ! Notre maître a dans l‘idée que tous les valets sont des voleurs, des gourmands et des menteurs. Il préférera nous garder que d‘en prendre d‘autres, qui ne vaudraient pas mieux que nous.

PIERROT. - Et nous, au moins, nous mangerons les pâtés et les poulets rôtis !

FIN
 
    L'idée de départ de la pièce est à rapprocher du pâté empoisonné :
 http://theatredemarionnettes.wifeo.com/le-pate-empoisonne.php

     La présente pièce a été écrite pour des marionnettes à tringles :
(http://theatredemarionnettes.wifeo.com/les-marionnettes-a-tringle.php)

     par Lemercier de Neuville :
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Lemercier_de_Neuville),

     en mettant en scène Pierrot et Polichinelle  :
(http://theatredemarionnettes.wifeo.com/polichinelle-et-compagnie.php).

     D'autres pièces pour marionnettes de cet auteur sont visibles à partir de :
http://theatredemarionnettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php

     Il faut préciser que L. Lemercier de Neuville a également écrit pour les ombres chinoises : http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php

 



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