ARLEQUIN. — Allons ! ne vous fâchez pas, je vous aiderai !
(Polichinelle et Pierrot entrent, apportant un matelas.)
POLICHINELLE. — Allons ! Pierrot, la laine se vend bien !
PIERROT. — Il y en a encore ! (Il sort.)
POLICHINELLE. — Le bon fils ! On est fier d'avoir un tel élève. Il ira loin, l'enfant ! (Pierrot rapporte un matelas.) Attends, je vais continuer. (Il sort.)
PIERROT. — Le calcul est une belle science, décidément, et profitable surtout ! (Il sort. Polichinelle entre avec la malle.)
POLICHINELLE. — Il va tout dévaliser, le petit gueux ! (Il sort. Pierrot entre avec la marmite.)
PIERROT. — Eh ! en voilà pour quelque argent ! (Entre le Gendarme.)
GENDARME. — Scélérat ! tu voles, tu pilles, tu agrippes ! Je t'empoigne itérativement !
PIERROT. — Mais, Monsieur, je fais ce que m'apprend mon précepteur.
GENDARME. — Ton précepteur m'est insouciant, nonobstant ; suis-moi superlativement !
PIERROT. — Où donc ?
GENDARME. — En prison !
PIERROT. — Qu'est-ce que c'est que ça, la prison ? Mon précepteur ne m'en a jamais parlé.
GENDARME. — Il a eu tort, différemment ! La prison est la bonne amie des voleurs, substantivement parlant ! Allons, viens !
PIERROT. — Va te promener ! (Il lui donne un coup de tête.)
GENDARME (revenant.) — Ah ! coquin !
GENDARME (revenant.) — Cette fois, je te tiens, pertinemment !
POLICHINELLE (entrant.) — Oh ! oh ! on veut emprisonner mon élève ! Laissons-le aller jusqu'au bout de la corde, il n'en saura que plus long ! (Il sort.)
GENDARME. — Puisque tu ne veux pas venir à la prison, la prison viendra à toi, subséquemment ! — Monsieur l'aubergiste, apportez la prison, s'il vous plaît, pendant que je garde le coupable, indiciblement ! (À Pierrot.) Ne bouge pas ! Ah ! eh bien ! Veux-tu rester là !...
PIERROT. — Monsieur le Gendarme, laissez-moi m'en aller !
GENDARME. — Jamais ! Carrément !
PIERROT. — Je vous donnerai tout ce que vous voudrez !
GENDARME. — Tais-toi, scélérat ! Incompétemment !
PIERROT. — Je vous en supplie !
ARLEQUIN (entrant.) — Voici la prison !
GENDARME. — Allons, jeune homme ! un peu de bonne volonté !
PIERROT. — Ô mon précepteur ! mon précepteur !
GENDARME. — Allons ! la caboche là-dedans, gentiment ! Là, je te mets à l'intérieur !
PIERROT. - Je ne le ferai plus !
GENDARME. — Il est trop tard ! impérieusement ! (Il le met dans la prison.)
PIERROT. — Oh ! oh ! oh ! Oh !...
ARLEQUIN. — Une autre fois, Pierrot, tu paieras tes dettes ! (Arlequin et le Gendarme sortent.)
CASSANDRE (entrant.) — Oh ! oh ! mon fils ! ! il est en prison ! Ô père infortuné ! quel précepteur lui as-tu donné ? Ah ! mon pauvre Pierrot ! je vais te venger sur ce misérable ! (Polichinelle entre.) Il faut que j'aie une explication avec vous !
POLICHINELLE. — Expliquez-vous !
CASSANDRE. — Vos abominables enseignements ont conduit mon fils là-dedans !
POLICHINELLE. — Là ou ailleurs, qu'est-ce que ça fait ?
CASSANDRE. — Mais il est en prison
POLICHINELLE. — Il est si bête !
CASSANDRE. — Vous êtes un misérable !
POLICHINELLE. — Non !
CASSANDRE. — Qui êtes-vous donc, alors ?
POLICHINELLE. — Je suis Polichinelle !
CASSANDRE. — Vous êtes le terrible Polichinelle ! C'est Polichinelle à qui j'ai confié l'éducation de mon fils !... Oh ! j'ai récolté ce que j'ai semé !... Mais toi, gredin ! tu ne le porteras pas en paradis ! (Il prend un bâton.)
POLICHINELLE. — Je vous conseille de rester tranquille ! Ne m'échauffez pas la bile !
CASSANDRE. — Si ! (Même jeu.)
POLICHINELLE (le désarmant.) — Eh bien ! tiens ! (Il le bat.) Tiens !
CASSANDRE. — Je suis mort ! (Il s'allonge sur la tablette.)
POLICHINELLE. — Toute la famille ! Le fils en prison, le père assommé ! Qui va me payer pour mon travail, maintenant ? (Arlequin entre.)
ARLEQUIN. — Ah ! monsieur le Gendarme, voilà l'autre voleur !
GENDARME. — Oh ! oh ! Polichinelle est en colère, décampons !
POLICHINELLE (le retenant.) — Halte-là, gaillard ! C'est toi qui as emprisonné Pierrot ?
GENDARME. — Non, non ! Considérablement !
POLICHINELLE. — Va-t'en faire des adverbes avec eux ! (Il le frappe.)
GENDARME. — Holà ! je suis mort, intérieurement ! (Il se couche sur la tablette.)
POLICHINELLE. — Tra deri dera ! Je vais recommencer une autre éducation.
LE DIABLE. — Non ! brrr ! ! (Bataille. — le Diable emporte Polichinelle.) Ne confiez jamais vos enfants à ce drôle ! brrr !
FIN
On peut rapprocher cette pièce de L'éducation de Pierrot de Lemercier de Neuville :
http://theatredemarionnettes.wifeo.com/leducation-de-pierrot.php