POLICHINELLE. — Puisque tu sais la géographie, je vais renseigner le calcul, maintenant !
PIERROT. — Avec ou sans coups de bâton ?
POLICHINELLE. — Cela dépendra de ton application. Voyons, écoute !... Si tu prends vingt sous à ton père...
PIERROT. — Bon !
POLICHINELLE. — Et trente sous à ton oncle...
PIERROT. — Bon !
POLICHINELLE. — Combien ça fait-il ?
PIERROT. — Ça fait deux personnes volées.
POLICHINELLE. — Ça fait de quoi acheter du vin, des pâtés, des pétards !
PIERROT. — Ah ! mais oui... je n'y pensais pas !
POLICHINELLE. — Cela réunit l'addition et la soustraction. Je vais l'apprendre d'un seul coup la multiplication, la division et la règle de trois !
PIERROT. — La règle de trois ! ! !
POLICHINELLE. — Tu prends de l'argent dans le secrétaire de ton père...
PIERROT. — Oui.
POLICHINELLE. — Tu enlèves un panier de vin de la cave de ta tante...
PIERROT. — Oui.
POLICHINELLE. — Et tu décroches la montre de ton cousin... Voilà trois opérations. Nous faisons trois parts du tout et j'en prends deux !
PIERROT. — Non, une et demie !
POLICHINELLE. — Ah ! coquin, tu te moquais de moi ! tu savais l'arithmétique en sortant de nourrice. Allons ! ton éducation se complète. (Il lui donne un coup de bâton.)
PIERROT. — Eh ! pourquoi me bats-tu, alors ?
POLICHINELLE. — C'est pour t'encourager. Maintenant, passons à la morale. Tu écoutes ? (Il lui donne un coup de bâton.)
PIERROT. — Oui, oui !
POLICHINELLE. — La morale, la voici : Quand on ne te voit pas, vole tout ce que tu peux ! Quand tu manges, donne-toi une indigestion... Ne prête jamais ton argent... Ne te laisse jamais pendre. Quand tu es le plus fort, sois brave... Quand tu n'es pas le plus fort, sauve-toi !...
PIERROT. — À la bonne heure ! Hi, hi, hi !
POLICHINELLE. — Je savais bien que tu mordrais à l'étude ! Ton père disait que tu avais la tête dure... (Il le caresse avec le bâton.) Maintenant, tu peux te lancer dans le monde ! (Il le tape.) Va !
PIERROT. — Aïe ! j'y vais !
POLICHINELLE. — Attends, attends ! il te manque encore une science !
PIERROT. — Tu crois ?
POLICHINELLE. — L'escrime ! L'homme qui ne sait pas donner les coups de bâton n'est pas un homme. Je vais le donner cette dernière et indispensable leçon. Regarde bien ! On fait le moulinet... une, deux, trois ! et voilà ! (Il le tape.)
PIERROT. — Aïe !
POLICHINELLE. (Il le tape à chaque mot.) — À droite.
PIERROT. — Aïe !
POLICHINELLE. — À gauche.
PIERROT. — Aïe !
POLICHINELLE. — Devant — derrière — le coup de pointe — la scie — le tour et le retour. Allons, essaye !
PIERROT. — Oh ! j'en ai assez ! (Il prend le bâton.)
POLICHINELLE. — Allons donc ! (Pierrot le manque.) Recommence ! (Pierrot le manque.) Pas de chance ! (Prenant le bâton.) Voyons, regarde le jeu du dormeur ! Dodo, dodo ! (Tapant.) Attrape !
PIERROT. — Holà !
POLICHINELLE. — Tiens, sur le dos ! Approche, n'aie pas peur... Dodo. (Tapant.) Attrape !
PIERROT. — Holà !
POLICHINELLE. — Crois-tu que ton père va être enchanté ? Il ne te reste plus qu'à joindre la pratique à la théorie.
PIERROT. — J'aime mieux ça. (Entre Cassandre.)
CASSANDRE. — Eh bien ! mon fils fait-il quelques progrès ?
POLICHINELLE. — C'est un petit prodige !
PIERROT. — J'ai appris l'escrime ! (Il tape Cassandre.)
CASSANDRE. — Oh !
PIERROT (tapant à chaque mot.) — À droite, à gauche, derrière, le coup de pointe, partout !
POLICHINELLE. — Le trouvez-vous dégourdi ?
CASSANDRE. — Monsieur le précepteur, je vous en fais mon compliment... Ce coquin m'a défoncé les côtes !
POLICHINELLE. — Oh ! il ira bien, le petit !
CASSANDRE. — Monsieur le précepteur, ne lui donnez pas d'enseignement trop au-dessus de son âge !
POLICHINELLE. — Ne craignez rien : Rousseau, Jacotot, et Pestalozzi ne sont rien auprès de moi.
PIERROT. — Tenez, papa ! (Il manque Cassandre et tape Polichinelle.)
POLICHINELLE. — Eh ! eh ! mon ami, du respect pour ton précepteur !
PIERROT. — Allons au cabaret !
CASSANDRE. — Comment ! au cabaret ?
PIERROT. — Pour faire de la géographie. (Il le pousse.)
POLICHINELLE, (le repoussant.) — Pour faire de la géographie !
CASSANDRE. — Comment ?... mais... mais, monsieur le précepteur !
PIERROT. — De la géographie. (Il bat Cassandre.)
CASSANDRE. — Grands dieux !... vous me trompez. Montrez, mais montrez-moi donc votre diplôme, vous !
POLICHINELLE (le tapant.) — Le voilà !
CASSANDRE. — Oh ! c'est une horrible perfidie !
PIERROT. — Géographie ! (D'un coup de tête, il le renvoie.)
POLICHINELLE. — C'est bien, mon ami ! (Pierrot frappe à une maison.) Eh bien ! que fais-tu là ?
PIERROT. — Je vais au cabaret !
POLICHINELLE. — C'est donc là ?
PIERROT. — Mais oui. (Il frappe.)
POLICHINELLE. — Allons ! voilà l'esprit qui lui vient !
PIERROT. — J'ai soif ! Hé ! tavernier du diable !
POLICHINELLE. — Quel petit Buridan !
ARLEQUIN (sort et heurte Pierrot ; tous deux : Oh !) — Qu'y a-l-il pour votre service ?
POLICHINELLE. — Donne-nous à boire !
PIERROT (prenant la bouteille.) — Oh ! oh ! oh ! oh !
POLICHINELLE. — Hé ! petit, quand tu auras de la barbe, tu boiras le premier !
PIERROT. — Ah ! tu ne m'as pas appris ça !
POLICHINELLE. — C'est bien... En faveur de tes progrès, je ne te ferai pas de reproches ! (Il boit.)
ARLEQUIN. — Messieurs, vous avez bu, veuillez bien me payer.
POLICHINELLE. — Quoi ?
ARLEQUIN. — Payez !
POLICHINELLE. — Pierrot, paye-le !
PIERROT. — Je n'ai pas d'argent !
POLICHINELLE. — Paye-le avec ta philosophie !
ARLEQUIN. — Eh bien ! Messieurs, cet argent ?
POLICHINELLE. — Quel argent ?
ARLEQUIN. — Dépêchez-vous, morbleu ! Je ne suis pas patient ! (Il va de l'un à l'autre.)
POLICHINELLE. — Allons ! Pierrot, paye-le donc !
ARLEQUIN. — Je vais vous faire arrêter !
PIERROT. — Combien est-ce ?
ARLEQUIN. — Trente euros.
PIERROT (le battant.) — Tiens ! (Polichinelle rit.)
ARLEQUIN. — Oh ! scélérat ! (Il prend un bâton. — Bataille. Il rosse Pierrot.) Qu'en dis -tu, voleur ?
POLICHINELLE. — Il faut que je protège mes élèves ! (Il bat et chasse Arlequin.)
PIERROT. — Oh ! je suis moulu !
POLICHINELLE. — Ah ! la pratique n'est pas toujours sans inconvénients... Il faut se former. Écoute ! ce diable de tavernier, bien que nous ne l'ayons pas payé, a mis notre bourse à sec. La règle de trois serait bonne à appliquer en ce moment !
PIERROT. — Attendez, attendez ! je vais voir chez mon père s'il n'y a rien à prendre. (Il sort.)
POLICHINELLE. — Quel charmant jeune homme ! Il promet trop vraiment ! Voyons, que j'aille l'aider ! (Il sort. — Arlequin et le Gendarme entrent.)
ARLEQUIN. — Monsieur le Gendarme, c'est là que sont les voleurs qui m'ont battu sans me payer ! Attendez-les là, vous les pincerez.
ARLEQUIN. — Deux !
GENDARME. — Deux ? Alors je vais me cacher !
ARLEQUIN. — Mais ce n'est pas le moyen de les arrêter ?
GENDARME. — Non ! mais je les regarderai. Cela me suffit !
ARLEQUIN. — Pourtant, il faut que la justice protège le commerce !
GENDARME. — Eh bien ! ne raisonne pas, ou je t'empoigne !