THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

PARASOL. - Permettez... j'ai une petite observation à vous faire...


LE NOTAIRE. - Je ne permets pas ! Silence ! du sexe... du sexe... (Sa perruque tombe et lui bouche les yeux.) Ah ! mon Dieu ! je n'y vois plus ! Vous avez éteint le lustre !... je suis aveugle.


BALANDARD, lui remettant sa perruque. - Non, monsieur, c'est votre faux toupet.


LE NOTAIRE. - Merci, jeune homme, tu m'as sauvé la vue ! Quels sont les témoins ?


LA COMTESSE. - C'est madame de Saint-Rémy. (À part.) Mais où est-elle ? Que fait-elle ? Pourquoi n'est-elle pas ici ?


LE NOTAIRE, écrivant. - Assisté de madame de Saint-Rémy, également du sexe masculin.


LA COMTESSE. - Pardon, c'est une dame.


LE NOTAIRE. - Alors, jusqu'à preuve contraire ! l'autre témoin ? (Sa perruque tourne encore.) Ah ! encore Une Ophtalmie ! Je deviens décidément aveugle...


BALANDARD. - Non, c'est votre perruque. (Il la lui remet.)


LE NOTAIRE. - Merci, mon ami, l'autre témoin ?


SAUTELACOUPKOFF. - C'est moi, monsieur.


LE NOTAIRE. - Votre nom ?


SAUTELACOUPKOFF. - Babylas, prince de Sautelacoupkoff.


LE NOTAIRE. - L'autre témoin, Babylone de la Tour Malakoff, également du sexe féminin.


SAUTELACOUPKOFF. - Je réclame.


LE NOTAIRE. - Plus tard ! ne me troublez pas, je le suis déjà assez... Votre profession ?


SAUTELACOUPKOFF. - Prince, parbleu !


LE NOTAIRE, écrit. - Prince Parbleu... (À part.) Mon Dieu ! que j'ai mal à la tête !... (Haut.) Lesquels ont, par ces présentes, réglé les conditions civiles de leur mariage qu'ils entendent célébrer et achever à la mairie de leur paroisse en présence des témoins instrumentaires dont les noms figurent au bas dudit acte, dont acte.


LA COMTESSE. - Si vous faisiez signer tout de suite les futurs et les témoins, puisqu'ils sont tous là ?


LE NOTAIRE. - Au fait, ça m'éviterait la peine de revenir.


LA COMTESSE. - Mais je ne vois figurer sur ce contrat aucune clause d'apport de dot.


LE NOTAIRE. - C'est probablement un oubli... Je vais faire un renvoi à Parasolos... lequel reconnaît en dot à demoiselle Marguerite... la somme de...


LA COMTESSE. - Mettez cinq-cent-mille louis !


LE NOTAIRE écrit. - Voilà ! Maintenant, mademoiselle l'épouse, veuillez signer...


MARGUERITE. - Où ?


LE NOTAIRE. Ici ! et à ce renvoi important, là ! (Marguerite signe.)


LE NOTAIRE, tendant la plume à Parasol. - À vous, jeune hidalgo, veuillez signer.


PARASOL. - Je ne sais pas écrire.


LE NOTAIRE. - Ça ne fait rien, signez en espagnol.


PARASOL. - Qui ? quoi ? Permettez !


BALANDARD, bas, à Parasol. - Taisez-vous donc ! On joue une charade.


PARASOL. - Une charade ? Qu'est-ce que c'est que ça ?


LA COMTESSE, s'adressant à tous. - Permettez-moi, mes amis, de vous faire part de toute ma joie !


MACROPHYLLOS. - Madame, recevez mes compliments.


SAUTELACOUPKOFF. - Mademoiselle, mes félicitations sincères.


OLYMPIA. - Chère Marguerite, chère comtesse ! (Avec une révérence.) Monsieur le marquis !


PARASOL, à part. - Ils sont fous ! Et pas moyen de placer un mot.


(On sonne. Balandard va ouvrir et annonce madame de Saint-Rémy.)



SCÈNE XII

MADAME DE SAINT-RÉMY, LES PRÉCÉDENTS.



MADAME DE SAINT-RÉMY. - Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est vous, monsieur Balandard, qui ouvrez les partes et sous cette livrée ?...


BALANDARD. - Une fantaisie de la maîtresse de la maison.


LE NOTAIRE, à madame de Saint-Rémy. - Savez-vous signer ?


MADAME DE SAINT-RÉMY. - Certainement que je sais signer... Pourquoi faire ? Quelle vente faites-vous donc ?


LE NOTAIRE. - Mais pour le contrat de...


MADAME DE SAINT-RÉMY. - Le contrat de qui ?


LE NOTAIRE. - Mais celui de mademoiselle de Valtreuse et du marquis Bonifacio Parasolos.


MADAME DE SAINT-RÉMY. - Mais Boniface Parasol, et non Bonifacio, n'est pas marquis, mais simplement un domestique de place. Le jeune homme dont je vous avais parlé, c'est monsieur Arthur Balandard ; le voici ! (Mouvement de surprise parmi les assistants.)


LA COMTESSE, se laissant tomber sur un fauteuil. - Quel impair !


OLYMPIA. - Quelle dégringolade ! Et moi qui faisais des frais... pour... un frotteur !


LA COMTESSE. - Le contrat pourrait servir tout de même. Il n'y aurait que les noms à changer ? n'est-ce pas, notaire ?


LE NOTAIRE. - Si vous le désirez...


BALANDARD. - Vous plaisantez agréablement... mais, en bonne conscience, je ne peux pas épouser la fiancée de... monsieur Parasol.


PARASOL. - Cette demoiselle ne m'est de rien ! je suis marié depuis quatorze ans et j'ai sept enfants, je n'ai pas à me plaindre de ma'me Parasol.


LE NOTAIRE. - Que diable ! il fallait le dire plus tôt.


PARASOL. - Et le moyen ? C'est pas un notaire, c'est un chemin de fer.


LE NOTAIRE. - Alors il n'y a rien de fait. (Il déchire le contrat.)


MADAME DE SAINT-RÉMY, à part. - C'est une affaire manquée. (À Parasol.) Après un pareil esclandre, Parasol, je vous engage à vous retirer


PARASOL. - Avec plaisir, madame. (À Balandard.) Monsieur, je suis fâché de ce qui arrive, mais vous avez pu voir vous-même s'il y avait moyen de placer une observation,


BALANDARD. - Mon brave, je ne vous en veux pas, au contraire.


PARASOL. - Monsieur est bien bon !... Si monsieur voulait accepter quelque chose, sans façon, chez le mastroquet du coin.


BALANDARD, riant. - Une autre fols, je ne dis pas non ; mais ce soir, c'est moi qui vous invite à souper à mon hôtel.


PARASOL. - Je suis aux ordres de monsieur... Je vais chercher un fiacre...


BALANDARD. - C'est inutile... j'ai mon coupé.


PARASOL. - Je vais faire avancer. (Il sort.)


BALANDARD, ôtant sa livrée, à la comtesse. -Madame, je vous rends voire livrée et en vous remerciant de votre bonne soirée. (À part) Pourvu que je retrouve mon habit !... (Il sort.)


OLYMPIA. - Si je filais aussi ? (À Marguerite.) Bonne nuit, madame la marquise de Parasolos. (Elle sort.)


MARGUERITE. - Bonsoir, espèce de grue ! Ah ! j'étouffe, mon dîner ne passe pas. J'en ferai une maladie ! Ah ! maman, je meurs ! (Elle tombe, les jambes en l'ais sur le piano en gigotant sur le clavier qui joue un air. La comtesse, Sautelacoupkoff, Macrophyllos s'empressent autour de Marguerite.)


MACROPHYLLOS. - Elle fait la carpe, apportez un pot d'eau.


SAUTELACOUPKOFF. - Grattons-lui la plante des pieds. Ôtons-lui son corset.


LA COMTESSE. - Polisson ! Laissez-la tranquille.


 

MACROPIIYLLOS. - Alors, faisons encore un tour de roulette pour la remettre.


LA COMTESSE. - Mais il n'y a plus personne à rincer.


SAUTELACOUPKOFF. - Et le notaire qui dort là-bas ?


LA COMTESSE. - C'est une idée lumineuse. — Allons-y ! Qui est-ce qui vient encore ? (Elle va ouvrir.)



SCÈNE XIII


BAPTISTE, LES PRÉCÈDENTS.



LA COMTESSE. - Ah ! c'est vous, Baptiste, vous venez me faire des excuses ?


BAPTISTE. - Madame en aura. (Il va au fond et ouvre la porte.) Entrez, messieurs.



SCÈNE XIV


UN COMMISSAIHE, DEUX AGENTS DE POLICE

à chaque porte, LES PRÉCÉDENTS.


 

LE COMMISSAIRE. - Au nom de la loi ! que personne ne sorte !


LA COMTESSE. - Filons !...


LE COMMISSAIRE. - Les issues sont gardées... (À la comtesse.) Fille Tiroux, connue sous le faux nom de comtesse de Valtreuse, au nom de la loi, je vous arrête, vous et vos acolytes, comme tenant un tripot.


LE NOTAIRE, s'éveillant. - Qu'est-ce qu'il y a ?


LA COMTESSE. - Nous sommes pincés.


LE NOTAIRE. - Ah mais ! ça n'est pas drôle pour un notaire !


BAPTISTE. - C'est moi qui ai l'honneur de faire coffrer madame en prison.


LA COMTESSE. - Canaille ! tu m'y suivras. Monsieur le commissaire, cet homme est mon complice.


LE COMMISSAIRE, à Baptiste. - Au nom de la loi, je vous arrête aussi.


BAPTISTE. - Je ne m'attendais pas à celle-là ! Et ma candidature ?



Rideau.

 



Créer un site
Créer un site