THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE V


MARGUERITE, LA COMTESSE.



MARGUERITE. - Eh bien, mère ! il n'est arrivé personne ?


LA COMTESSE. - Baptiste et les autres ont décampé sous prétexte de politique ; mais il s'agit d'autre chose... Un ami de madame de Saint-Rémy, un parti splendide se présente ce soir pour vous, le marquis de... de... j'ai oublié de lui demander son nom, le nom ne fait rien à l'affaire. Enfin c'est un noble, d'azur à boutons d'or ; ayez l'air de ne rien savoir. Cinquante-mille livres de rente, cheveux, chevaux, des dents, de l’œil, voiture, etc., un grand train. Il est fort bien, la fleur de l'âge, trente-quatre ans. Soyez aimable, prévenante même.


MARGUERITE. - Mère, je ferai de mon mieux.


LA COMTESSE. - Chère enfant ! que je t'embrasse ! Viens te donner un coup de peigne. (Elles sortent.)



SCÈNE VI

On entend sonner à la porte.

BALANDARD en habit noir, cravate blanche, puis
LA COMTESSE.



BALANDARD. - Puisque personne ne vient m'ouvrir et que la porte est entrebâillée, je me présente seul. Madame de Saint-Rémy n'en finit pas avec ses allées et venues. D'ailleurs elle m'a dit que j'étais annoncé et présenté d'avance. Bel appartement, du luxe. Il paraît que cette comtesse de Valtreuse est un peu originale. Nous allons voir ça. Il ne faut pas la brusquer, m'a dit la Saint-Rémy, ne la brusquons point. Mais me marier comme ça, tout de suite, c'est une affaire grave. On dit la jeune fille très bien élevée, très jolie, très riche, la vue n'en coûte rien. Ah ! voici la mère sans doute ? Madame. (Il salue.)


LA COMTESSE, entrant très préoccupée. - Ah ! vous êtes l'homme envoyé par madame de Saint-Rémy.


BALANDARD, à part. - L'homme ! (Haut.) Oui, madame la comtesse, je vous demande pardon si je me présente sans elle, mais elle m'a dit...


LA COMTESSE. - C'est bien, mon ami, vous n'avez pas besoin de présentation.

BALANDARD, 
à part. - Son ami, elle va vite en familiarité.


LA COMTESSE. - Vous savez ce que vous avez à faire en pareille circonstance.


BALANDARD. - Parfaitement. (Il rit.)


LA COMTESSE. - Qu'avez-vous à rire ? (À part.) Quel imbécile ! (Haut.) Allons, passez cette livrée, tenez-vous dans l'antichambre, ouvrez quand on sonnera, demandez les noms et annoncez... puis vous passerez les glaces, les rafraîchissements, le punch... faites vite ! (Elle sort.)


BALANDARD. - Est-ce qu'elle veut me faire jouer une charade ? Qu'est-ce que ça veut dire ? je ne comprends pas... C'est une toquée. Enfin, ça ne fait rien, je veux bien rire aussi. Passons la livrée. (Il endosse l'habit de livrée.) Elle me va ! (On sonne.) Voilà, monsieur, voilà ! (Il va ouvrir.)


SCÈNE VII

PARASOL, en habit bleu clair à boutons d'or, BALANDARD,
puis LA COMTESSE.



BALANDARD. - Qui dois-je annoncer ?


PARASOL. - C'est pas la peine, mon garçon, je suis Parasol.


BALANDARD, à part. - Un ami de la maison, probablement.


LA COMTESSE, au fond. - Habit bleu d'azur à boutons d'or... c'est lui ! qu'il est bien ! (À Balandard.) Laissez-nous et occupez-vous du service !


BALANDARD. - Bien, madame !... (Il sort.)



SCÈNE VIII


LA COMTESSE, PARASOL, puis MARGUERITE.



PARASOL. - Madame... c'est moi qui... que... madame de Saint-Rémy.


LA COMTESSE. - Je sais, je sais, monsieur... (Elle lui fait la révérence.) Enchantée... trop heureuse...


PARASOL, saluant. - Madame, c'est moi qui., que...


LA COMTESSE. - Remettez-vous, monsieur, je comprends votre émotion, elle est bien naturelle, une première démarche... mais vous me plaisez... vous avez l'air noble, vous l'êtes, ma fille l'est aussi et nous sommes flattés. Mon Dieu, vous m'excuserez ; madame de Saint-Rémy m'a bien dit votre nom, mais je l'ai oublié...


PARASOL. - Boniface Parasol. (À part) J'y comprends rien du tout. (Haut.) Mais enfin, madame, que faut-il faire ?


LA COMTESSE. - Soyez aimable, empressé, plaisez, mon cher, plaisez ! vous savez mieux que moi comment on s'y prend.


PARASOL. - Oh ! madame, je m'entends à tout.


LA COMTESSE. - Parfait ! Tenez, voici ma fille. (Bas, à Marguerite qui entre.) Le marquis de Parasol, ton futur. (À Parasol.) Je reviens, menez-moi ça rondement. (Elle sort.)


PARASOL, à part. - Que je mène sa fille rondement. Il paraît qu'elle a mauvaise tête. (Haut, à Marguerite qui entre.) Je demande pardon à mademoiselle si j'adresse la parole le premier à mademoiselle, mais la mère de mademoiselle me commande d'être empressé auprès de mademoiselle... Quels sont les ordres de mademoiselle ?


MARGUERITE. - Monsieur, je n'ai pas d'ordres à vous donner, c'est à moi d'en recevoir de vous.


PARASOL, à part. - Mais elle n'a pas l'air si terrible. (Haut.) Je vous demande pardon, je suis votre serviteur.


MARGUERITE. - Vous êtes trop aimable, monsieur, et je sens bien que je n'aurai pas de peine à obéir à ma mère.


LA COMTESSE, l'embrassant. - Chère enfant !


PARASOL. - Nous devons l'obéissance à nos parents, mais je voudrais bien savoir par où je dois commencer.


MARGUERITE, baissant les yeux. - Ce n'est pas à moi à vous l'apprendre, monsieur. 


PARASOL. - Oh ! j'en sais plus long que mademoiselle, c'est bien sûr ; mais quand on n'est pas au courant d'une maison. Si mademoiselle voulait me montrer le service...


MARGUERITE, à part. - Pauvre jeune homme ! comme il est embarrassé.(Haut.) Vous êtes musicien ? (Allant au piano.) Jouez-moi donc la symphonie en mi bémol de Mendelssohn.


PARASOL. - Vous m'excuserez, mais...


MARGUERITE. - Vous ne la savez pas par cœur, je comprends, c'est très difficile. Mais la valse de Faust. Oh ! j'adore la valse... je vous retiens pour la première, tout à l'heure.


PARASOL, à part. - Drôle d'idée !... (Haut.) Je suis aux ordres de mademoiselle. (On sonne.)


 


SCÈNE IX

BALANDARD, se précipitant au fond, OLYMPIA,
LES PRÉCÉDENTS.



BALANDARD. - Qui dois-je annoncer ?


OLYMPIA, à part. - Tiens ! un nouveau domestique ! (Haut.) Annoncez Olympia Nantouillet.


BALANDARD. - Olympia ? un nom aussi joli que la personne qui le porte.


OLYMPIA, à part. - Ce garçon connaît son monde. (Haut.) Prenez donc ma pelisse.


BALANDARD. - Tout ce qu'il vous plaira, madame ou mademoiselle ?


OLYMPIA. - Comme vous voudrez.


BALANDARD. - Ah ! très bien. (À part.) C'est-à-dire que je ne comprends pas. (Haut.) Et monsieur Nantouillet ?


OLYMPIA. - Merci, il est mort. (À part.) Est-il bête, ce domestique !


LA COMTESSE. - Oh ! venez vous asseoir, chère belle.


OLYMPIA. - Bonsoir, Marguerite.


MARGUERITE. - Bonsoir, Nantouillette. (Elles s'assoient. On sonne.)


LA COMTESSE, à Balandard. - Garçon, allez donc ouvrir et annoncer.


BALANDARD. - Oui, madame. (Il va au fond.)


PARASOL, à part. - Mais c'est mon service qu'il fait.


OLYMPIA, bas à la comtesse, montrant Parasol. - Quel est ce monsieur ?


LA COMTESSE, de même. - Ma chère, c'est le futur de Marguerite, un homme du monde, le marquis de Parasol, cinquante-mille livres de rente.


OLYMPIA. - Elle a de la chance... soignez-le et recevez mes félicitations.


LA COMTESSE. - Comment le trouvez-vous ?


OLYMPIA. - S'il n'avait pas cinquante-mille livres de rente, je ne le trouverais pas du tout.


LA COMTESSE. - Pas de bêtises, ma petite ! Il n'est pas pour vos beaux yeux.


OLYMPIA. - Oh ! si je voulais ?...


LA COMTESSE. - Vous êtes fat, ma chère. (On sonne.)


 

SCÈNE X

BALANDARD, annonçant successivement à chaque coup de son-
nette : monsieur PITONNET, artiste pianiste ; monsieur BARBILLON,
député ; LE GÉNÉRAL MACROPHILLOS, ambassadeur
grec à la Porte ; LE PRINCE SAUTELACOUPKOFF ;
LORD DUR DE BOSTON.

Les invités vont à tour de rôle saluer la comtesse et se groupent dans les deux salons.


LA COMTESSE, à Sautelacoupkoff. - Prince, je veux vous présenter à mon futur gendre, le marquis de Parasol.


SAUTELACOUPKOFF. - Ah ! vous en tenez un enfin ! et un marquis ?


LA COMTESSE présente Sautelacoupkoff à Parasol. - Le prince Sautelacoupkoff.


SAUTELACOUPKOFF. - Monsieur.


PARASOL. - Monsieur. (À part.) On est très poli dans cette maison.


LA COMTESSE, à Sautelacoupkoff. - Il a l'air distingué, n'est-ce pas ?


SAUTELACOUPKOFF. - Un ange !


LA COMTESSE. - Je pense que vous allez vous tenir un peu !


MARGUERITE. - Est-ce que l'on ne va pas danser ?


LA COMTESSE. - Si fait ! Voyons, une petite sauterie. Monsieur Pitonnet, jouez-nous quelque chose.


MARGUERITE. - Un quadrille ! (Piltonnet salue et va au piano. — Bas, à Parasol.) Invitez-moi donc.


PARASOL, à part. - C'est un drôle de service que j'ai à faire.


MACROPHYLLOS, à la comtesse. - Moi, la danse me laisse froid. Si on faisait quelques tours de roulette ?


LA COMTESSE. - Si fait ! Prince, êtes-vous en fonds ?


MACROPHYLLOS. - Tout en écus grecs.


LA COMTESSE, à Sautelacoupkoff. - Général ! apportez donc l'écumoire dans le petit salon du fond. (À ses invités.) Milord Dur, monsieur Barbillon, vous jouez, n'est-ce pas ?


BARBILLON. - Sans doute !


LA COMTESSE. - Je ferai la banque !


MACROPHYLLOS. - Honneur aux dames ; mais à chacun son tour !


SAUTELACOUPKOFF, apportant la roulette au fond. - Mesdames, messieurs, à vos ordres ! (Ils vont au fond.)


PITONNET prélude au piano. - En place !...


MARGUERITE. - Olympia, faites-nous vis-à-vis avec milord.


LORD DUR, à part. - Je ne suis pas venu pour danser. (Haut.) Madame, permettez-moi de vous offrir un cavalier.





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