THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

OLYMPIA. - Monsieur, j'accepte. (Musique ; ils se placent et dansent.)


BALANDARD, avec un plateau chargé de glaces, regardant danser Marguerite. - (À part.) Oh ! mais oui, je la reconnais, c'est bien elle, ma jolie soupeuse du Casino, aux bains de mer de Trouville, l'an passé ; mais alors elle n'avait pas de mère, Margot ! qui aimait bien les confitures et le vin de Champagne. Et moi aussi je l'ai fait danser. Et c'est elle qu'on me propose pour former des liens indissolubles. Toi héritière, toi noble ! jamais ! Tu es charmante, je l'avoue, mais... Je trouverais la plaisanterie mauvaise si elle n'était pas drôle. Et cette madame de Saint-Rémy qui m'emballe dans cette société-là ! Comme on peut facilement tromper un honnête homme ! Quelle chance d'avoir été pris pour un domestique ! Ah ! mais je commence à m'amuser beaucoup ici ! Et ce garçon qui la fait danser ? Il a l'air de lui plaire. Ce monsieur Parasol, quelle touche ! Drôle de monde ! (Haut.) Mesdames, messieurs, des glaces ! pistache, vanille, chocolat, framboise ! (À Parasol.) Un verre de punch ! (À Marguerite.) Prenez donc un panaché, ma petite demoiselle, ne vous gênez pas. Faites donc comme chez vous ! Vous n'en mangez peut-être pas tous les jours.


MARGUERITE, laissant tomber la glace sur sa robe en le reconnaissant. - Arthur ! (Haut, se remettant.) Maladroit, vous m'avez tout jeté sur ma robe.


BALANDARD. - Pardon, ce n'est pas moi... Et puis, ça ne se voit pas, c'est de la même couleur que votre robe.


MARGUERITE. - Vous êtes bon, vous ! (Elle rit et essuie sa jupe avec son mouchoir.)


BALANDARD. - Je suis excellent, je vous assure... (À Parasol.) Pardon, monsieur, tenez donc un peu ce plateau. (Il passe son plateau à Parasol.) Je vais vous aider. (Il essuie la robe avec sa serviette.)


PARASOL. - Donnez donc, vous n'entendez rien au service, mon ami. (À part.) Je vais enfin pouvoir travailler.


LA COMTESSE, au fond. - Faites vos jeux.


MACROPHYLLOS. - Je fais cinquante écus grecs sur la rouge.


SAUTELACOUPKOFF, à Parasol. - Faites-vous vingt-cinq louis sur la noire ?

PARASOL. - Vingt-cinq centimes ! 
(Il s'éloigne avec le plateau.)


LORD DUR. - Cent dollars sur la noire. (Il remonte.)


OLYMPIA. - Tenu ! (À Balandard.) Garçon, avancez-moi cinq louis pour entrer au jeu.


BALANDARD. - Vous plaisantez, belle dame ! je ne les ai jamais eus. (À part.) Ça sent le grec ici !... (À Marguerite.) Voilà, la robe est essuyée !...


LA COMTESSE, au fond. - Les jeux sont faits. Rien ne va plus !


MARGUERITE, bas. - Arthur !


BALANDARD, de même. - Margot !


MARGUERITE. - Es-tu vraiment domestique ?


BALANDARD. - Je fais l'intérim.


MARGUERITE. - Tu as mangé ta fortune ? tu es ruiné ?


BALANDARD. - Complètement.


MARGUERITE. - Et tu es entré à notre service ?


BALANDARD. - Oui, pour ce soir.


MARGUERITE. - Tu t'es souvenu de moi. C'est gentil ça, mon petit, mais c'est impossible. Je vais me marier, c'est sérieux, une grande fortune, un grand nom, et tu comprends que nous ne pouvons plus nous revoir.


BALANDARD. - Je le comprends.


MARGUERITE. - Je ne peux pourtant pas te sacrifier mon avenir. Songe donc, un homme qui m'apporte quatre-vingt-dix mille livres de rente l


BALANDARD. - Oh ! s'il est aussi riche que ça, n'hésite pas. Épouse-le, je lui cède ma place.


MARGUERITE. - Tais-toi, on vient. (Ils se séparent.)


OLYMPIA, à part. - Qu'est-ce qu'elle complote avec ce domestique ? L'hidalgo me plaît assez.


PARASOL, repassant avec son plateau. - Madame désire-t-elle une tasse de chocolat ?


OLYMPIA. - Comment, marquis, vous passez les rafraîchissements vous-même ? quelle idée ! quel rôle jouez-vous ?


PARASOL. - Madame, je ne m'appelle pas marquis, mais bien Parasol.


OLYMPIA. - Eh bien, monsieur de Parasol, je vous engage à avoir l'œil sur Marguerite. On vous mystifie, mon cher.


PARASOL. - Je ne sais pas si c'est moi ou d'autres ; mais pour sûr, il y a une balançoire ici.


OLYMPIA, montrant Balandard. - Vous ne voyez donc pas que cet homme-là est un faux domestique...


PARASOL. - Faut pas être bien malin pour s'apercevoir qu'il n'entend rien aux sorbets.


OLYMPIA. - Vous vous êtes fourvoyé... Marguerite n'a pas la fortune que vous croyez, elle n'est pas plus noble que moi et il y a peut-être beaucoup à dire sur son passé. Enfin, vous êtes averti.


PARASOL. - Oh ! je ne me suis engagé que pour la soirée...


OLYMPIA. - En ce cas, mon cher, veuillez vous souvenir plus tard que c'est moi qui vous aurai ouvert les yeux, Olympia Nantouillet, rue de Trévise, vingt-sept ; voici ma carte.


PARASOL. - Merci, madame, je ne la perdrai pas ; mais je dois prévenir madame que, excepté le soir, je ne suis pas libre.


OLYMPIA. - Et le matin ?


PARASOL. - Oh ! le matin, impossible, je suis à mon ministère.


OLYMPIA. - Vous êtes ministre ?


PARASOL. - Non, je suis frotteur.


OLYMPIA. - Mon Dieu ! que vous êtes drôle ! (Elle remonte.)


PARASOL. - Qu'est-ce qu'elle a encore celle loquace-là ?
(La comtesse, Barbillon, Sautelacoupkoff, Macrophyllos, au fond.)


BARBILLON. - Dites donc, général, chaque fois que la bille roule, vous donnez un coup sous la table. C'est pas de jeu.


SAUTELACOUPKOFF. - Bien ne va plus ! Double zéro pour le banquier.


BARBILLON. - Ah ! c'est trop souvent aussi...


SAUTELACOUPKOFF. - Que prétendez-vous insinuer ?


BARBILLON. - Vous connaissez la mécanique ! Je suis volé comme dans un bois.


SAUTELACOUPKOFF. - Monsieur !


BARBILLON. - Vous êtes un farceur !


MACROPHYLLOS. - Messieurs, messieurs ! pas d'esclandre, il y a des dames.


SAUTELACOUPKOFF. - C'est juste !... Faites les jeux.


BARBILLON. - Je ne fais plus rien du tout, je m'en vais. (Il sort.)


LA COMTESSE. - Monsieur Pitonnet ! Une polka !... (À part.) Il faut faire diversion.


BALANDARD, à Marguerite. - Un tour de polka ?


MARGUERITE. - Tu es fou ? (À parasol.) Mon ami... je suis à vous.


PARASOL, stupéfait. - Encore ?


MARGUERITE. - Oui, toute la vie...


BARBILLON, revenant, à Balandard. - Dites donc, garçon, j'avais un paletot tout neuf... je ne le retrouve plus.


BALANDARD. - Tout neuf ? On ne prend que ceux-là.


BARBILLON. - C'est donc une caverne ! (Il sort. On sonne.)


LA COMTESSE. - Cachez la roulette !


(Pendant que l'on range au fond, Balandart qui a été ouvrir annonce :)


BALANDARD. - C'est un notaire !


SAUTELACOUPKOFF, inquiet. - Un homme de loi ! Qu'est-ce qu'il veut ?


LA COMTESSE. - C'est monsieur Gratterole, mon notaire. Il est de très bon conseil et je veux le consulter à propos du mariage de Marguerite.


SAUTELACOUPKOFF. - Ah ! très bien ; ouf ! j'ai eu peur.



SCÈNE XI


LE NOTAIRE, LES PRÉCÉDENTS.



LE NOTAIRE, un peu gris, son portefeuille sous le bras. - Madame la comtesse, je vous demande pardon d'être un peu en retard ; mais un dîner de corps qui s'est un peu prolongé... Enfin vous m'excuserez.


LA COMTESSE. - Asseyez-vous, je vous prie.


LE NOTAIRE, s'asseyant. - Voyons, de quoi s'agit-il ?... Vos domestiques sont venus ce soir déposer chez moi une assignation contre vous.


LA COMTESSE. - Quelle plaisanterie ! mes gens sont fous ! arrangez l'affaire !


LE NOTAIRE. - D'autant plus que ce n'est pas de mon ressort. J'ai renvoyé la chose par devant qui de droit.


LA COMTESSE. - C'est bien, mais il s'agit de bien autre chose. Je vous ai fait prier de venir ce soir au sujet d'un mariage pour ma fille.


LE NOTAIRE. - Ah ! vous la mariez... fort bien ! Et contre qui ?


LA COMTESSE. - Contre ? avec un million ! Le voilà là-bas, près de Marguerite... Comme il a l'air distingué, n'est-ce pas ?


LE NOTAIRE. - J'ai la vue si basse... Mais allez au fait... Ce monsieur apporte un million et Marguerite ?... zéro.


LA COMTESSE. - À peu près... Vous comprenez donc qu'il s'agirait de dresser le contrat de telle sorte que l'avenir de ma fille fût assuré.


LE NOTAIRE. - Nous allons voir ça... J'ai toujours du papier timbré et tout ce qu'il faut pour écrire avec moi. (Il cherche dans sa serviette.) J'aurai bientôt bâclé un projet de contrat... il n'y aura que des blancs à remplir... Où me mettrai-je ?


LA COMTESSE, à Balandard. - Garçon ! approchez une table !


BALANDARD, apportant une table. - Voilà ! Monsieur ne désire rien autre ?


LE NOTAIRE. - Si fait, un verre de quelque chose... j'ai mangé poivré à ce diable de dîner, et j'ai une soif de Polichinelle.


BALANDARD, à part. - Il a l'air d'avoir pourtant assez bu. (Haut.) Monsieur désire un verre d'eau sucrée ?


LE NOTAIRE. - De l'eau ! c'est bien froid sur l'estomac.


BALANDARD. - Un verre de punch ?


LE NOTAIRE. - Oui ! (À part.) Ça me dissipera peut-être mon mal de tête. (Haut, cherchant dans tes papiers.) Aujourd'hui, etc., etc... À la requête de monsieur Baptiste Labranche et demoiselle Javotte... C'est votre assignation.


LA COMTESSE. - Faites-en des papillotes pour votre perruque.


LE NOTAIRE. - Ma perruque ? Est-ce que j'ai l'air d'en avoir une ?


LA COMTESSE. - Oh ! non.


BALANDARD, apportant un verre de punch. - Monsieur !...


LE NOTAIRE, avalant d'un trait le contenu de son verre. - Ah ! excellent punch !


BALANDARD. - Monsieur ne récidive pas ?


LE NOTAIRE. - Oui, tout à l'heure... (Il écrit.) Aujourd'hui... etc., par devant nous, maître Gratterole, notaire, demeurant à Paris, rue du Papier-Timbré, etc., etc. Ont comparu : Demoiselle Marguerite de Valtreuse, née à Paris (Seine), de madame sa mère et de monsieur son père inconnu, fille mineure...

LA COMTESSE. - Elle est majeure, mais vous pouvez laisser...


LE NOTAIRE. - Française, saine de corps et d'esprit, d'une part... et monsieur le... (À Parasol.) monsieur, là-bas, votre nom, s'il vous plait ?


PARASOL. - Boniface Parasol.


LA COMTESSE, au notaire. - Il est Espagnol et marquis.


LE NOTAIRE. - Je le veux bien !... Et le marquis Bonifacio Parasolos, d'autre part, célibataire, né en Espagne ou autres lieux. Êtes-vous parent du détroit de Bonifacio ?





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