SCÈNE QUATRIÈME.
LE CALIFE, PIROUZÉ, l'Esclave.
LE CALIFE. - J'espère, ma bonne dame, que les paroles de votre fils n'auront pas fait une fâcheuse impression sur vous, et que vous me regardez comme trop honnête homme, et de vos amis pour avoir cherché à vous nuire.
PIROUZÉ. - Vous avez certainement laissé la porte de la rue ouverte, seigneur Marchand ; mais si vous ne l'avez pas fait à mauvaise intention, je ne saurais vous en vouloir.
SCÈNE CINQUIÈME.
Les précédents, ABOU-HASSAN.
Il aperçoit le marchand de Moussoul et recule de frayeur.
ABOU-HASSAN. - Vous ici, seigneur, ne vous rappelez-vous donc plus nos conventions ?
LE CALIFE. - Mon cher hôte, je vous prie d'excuser la liberté que j'ai prise, mais ayant été retenu en cette ville par mes affaires, je n'ai pas pu résister au désir de vous revoir. Permettez-moi, s'il vous plaît, de vous embrasser.
ABOU-HASSAN, se détournant. - Je n'ai besoin ni de votre vue, ni de vos embrassades, et je vous abandonne mon logis si vous persistez à y demeurer.
LE CALIFE. - Quel malheur peut vous avoir donné cette aversion pour moi ? Vous devez vous souvenir cependant que je vous ai marqué ma reconnaissance par mes bons souhaits, et que même sur certaine chose qui vous tenait au cœur, je vous ai fait l'offre de mon crédit qui n'est pas à mépriser.
ABOU-HASSAN. - Vos souhaits et votre crédit ont abouti à me rendre fou. Au nom de Dieu, laissez-moi et ne me chagrinez pas davantage par votre air et vos paroles.
LE CALIFE. - Ah ! mon frère Abou-Hassan (il l'embrasse), je ne prétends pas me séparer de vous de cette manière, puisque ma bonne fortune a voulu que je vous revisse une seconde fois, vous me donnerez encore à souper.
ABOU-HASSAN. - Délogez vous dis-je. Vous m'avez causé assez de mal, je ne veux pas m'y exposer davantage.
LE CALIFE. - Eh quoi ! l'Iman n'a-t-il pas été puni, votre mère n'a-t-elle pas reçu de la part du Calife mille pièces d'or ?
ABOU-HASSAN. - Serait-ce vous qui auriez eu assez de crédit ? alors mon sommeil a fait le reste. Mais quel rêve ! Ce palais, ces émirs, ces officiers, ces femmes ; et mon grand vizir Giafar qui me parlait à genoux, et Mesrour le chef de mes esclaves ; j'ai vu tout cela.
PIROUZÉ, au Calife. - De grâce, Seigneur, cessez cet entretien, ou mon pauvre fils va encore perdre sa raison.
(Le Calife rit aux éclats.)
ABOU-HASSAN. - Vous moquez-vous de nous, seigneur Marchand ; cependant rien n'est moins drôle que la fin de tout cela et mon pauvre corps déchiré, meurtri, sous les coups de nerf de bœuf, vous ferait voir que la chose est moins plaisante par ses suites que vous ne le pensez.
LE CALIFE. - C'est une indignité dont nous tirerons vengeance.
ABOU-HASSAN. - Je ne veux plus qu'il en soit question. Pour ce soir, cependant, je consens encore à vous donnera souper et à coucher mais, pour l'amour de notre saint prophète, si vous êtes un magicien, ne trompez pas ma bonne foi, ne m'envoyez plus de rêves.
LE CALIFE. - Prenez confiance en moi, je ne veux que votre bonheur, et je vous le prouverai.
ABOU-HASSAN. - Je ne vous demande rien. Tout le mal qui m'est arrivé est dû à l'oubli que vous avez fait de fermer la porte ; promettez-moi d'agir avec plus de prudence, demain matin.
LE CALIFE. - Je n'y manquerai pas. À propos, depuis notre dernier souper, avez-vous pensé à vous marier ?
ABOU-HASSAN. - Mon temps s'est passé entre un rêve et la maison de fous ; mais, à vrai dire, je regrette encore la princesse Nouzahtoul-Aouadat, que je vis dans cette triste nuit, où je me croyais sultan et si je pouvais trouver non pas sur le trône, mais dans ma condition, une aussi aimable personne, qui sût conter des histoires, jouer des instruments, chanter et m'entretenir aussi agréablement ; qui ne s'étudiât qu'à me plaire et à me divertir comme le faisait dans mon rêve cette charmante personne, je changerais bientôt mon indifférence contre un parfait attachement à une telle femme ; mais où la trouver ? Il en existe peut-être de semblables dans le palais du commandeur des croyants, chez le grand vizir Giafar, ou chez d'autres grands seigneurs, qui les ont achetées à prix d'or ; mais je n'ai rien à offrir dans ma pauvre maison qui soit digne d'une personne aussi distinguée, je vivrai seul jusqu'à la fin de mes jours. Encore une fois, mon hôte, quittons ce sujet et venez partager mon souper.
(Ils sortent.)
La toile se baisse.
ACTE QUATRIÈME.
Le palais du Sultan. Abou-Hassan est endormi sur le trône, entouré comme la première fois. Nouzahtoul Aouadat est parmi les femmes du palais sous les vêtements de la princesse Zobéide. On entrevoit encore cette princesse et le Calife derrière la jalousie qui se referme au moment où Ahou-Hassan s'éveille.
SCÈNE PREMIÈRE.
MESROUR. ABOU-HASSAN. NOUZAHTOUL-AOUADAT.
MESROUR, près d'Abou-Hassan. - Commandeur des croyants, l'heure de la prière est passée ainsi que celle du conseil, quelle cause vous fait donc dormir aussi tard ? Vos fidèles serviteurs s'alarment de ce long sommeil.
ABOU-HASSAN, s'éveillant. - Hélas ! me voilà retombé dans le même songe, je retournerai certainement à l'hôpital des fous, si je cède à cette illusion. C'est ce malhonnête homme que je reçus chez moi hier au soir, qui est la cause de ce qui m'arrive. Le traître ! Le perfide ! Il m'avait si bien promis de fermer la porte ! voilà que le diable sera encore entré, et qu'il bouleverse ma cervelle par ce maudit rêve qui me fascine les yeux. Que Dieu te confonde, Satan, puisses-tu être accablé sous une montagne de pierres. Quand je devrais attendre jusqu'à midi, je ne bougerai pas d'ici avant que le démon ait cessé de me tenter.
NOUZAHTOUL-AOUADAT, à part. - Allons, ce sera moi qui le déciderai à remplir son rôle aujourd'hui. (Elle monte les marches du trône.) Commandeur des croyants, je supplie votre Majesté de me pardonner, si je prends la liberté de l'avertir de ne pas se rendormir mais l'inquiétude m'a fait sortir du harem, pour venir ici savoir de ses nouvelles, lorsque j'ai appris qu'elle dormait si longtemps.
ABOU-HASSAN, brusquement. - Retire toi, Satan. (s'adoucissant) Est-ce moi que vous appelez commandeur des croyants ma belle dame ?
NOUZAHTOUL-AOUADAT. - C'est à votre majesté que je parle, et à qui je donne le titre qui lui appartient comme au souverain de tous les musulmans du monde, moi, sa très humble épouse, qui serait au désespoir d'avoir encouru sa disgrâce ; mais votre majesté va dissiper nos craintes et chasser les nuages qui troublent son imagination, elle verra qu'elle est dans son palais, environnée de ses officiers et de ses esclaves, prêts à lui rendre leurs services ordinaires.
ABOU-HASSAN. - Que vous êtes fâcheuse et importune, Nouzahtoul-Aouadat ; vous seule pouviez me faire oublier la résolution de résister à cet enchantement ; vous serez cause de ma perte ; mais quoiqu'il puisse arriver, je ne sais pas résister à la douceur de vos invitations, me voilà donc encore sur le trône. Je n'en userai pas aujourd'hui avec la même modération que la première fois, et puisque je règne je veux en profiter pour le reste de mes jours. Approchez-vous, Giafar. (Le Grand Vizir vient au picd du trône.) Allez-vous en, tout de suite, porter deux mille pièces d'or, chez la bonne femme où je vous ai déjà envoyé, et afin qu'elle ne m'accuse plus de rêver, ramenez-la ici avec vous, après lui avoir laissé le temps de serrer son argent, et de faire une toilette convenable. Dites-lui de s'assurer si son fils Abou-Hassan dort dans sa chambre, et s'il n'y est pas, comme j'ai tout lieu de le supposer, faites bien attention à laisser la clé à la porte de la maison en la quittant, parce que je compte envoyer une autre personne pour la garder. (Le Grand Vizir s'incline et se retire.) À présent, puisque je ne puis plus échapper à mon rêve, je veux encore en tirer un autre parti. Approchez, Mesrour, prenez ma royale épouse, la charmante Nouzahtoul-Aouadat, et les esclaves qu'il lui plaira de choisir pour son service, emportez les meubles les plus riches, les vaisselles les plus précieuses, et tout ce qu'il faut pour habiller somptueusement un homme et sa femme, placés très-haut dans mon estime, puisez dans le trésor une dot de cent-mille pièces d'or, et que tout cela soit conduit dans la maison d'Abou-Hassan le débauché où je viens d'envoyer le vizir.
NOUZAHTOUL-AOUADAT. - Qu'est-ce cela, mon cher seigneur, prétendez-vous m'exiler de votre palais, me priver du titre de votre épouse ?
ABOU-HASSAN. - Au contraire, ma belle, je songe au lendemain, et vous en verrez des preuves. Il me souvient de ma dernière journée ici ; mes ordres au-dehors ont été exécutés, ma royauté s'est évanouie ; vous serez demain la femme d'un fort honnête homme très riche et qui vous rendra la vie heureuse.
NOUZAHTOUL-AOUADAT. - Seigneur, ne me faites pas quitter ce palais je vous en conjure avec larmes.
ABOU-HASSAN. - Où est donc votre obéissance, ma belle, et voilà comme vous me trompiez ; mais je ne vous écoute pas, mon parti étant pris vous irez dans la maison d'Abou-Hassan ; seulement, je vous permets d'attendre l'arrivée de la bonne femme que j'ai fait demander, afin que vous puissiez vous en retourner avec elle et que je vous recommande à ses soins.
SCÈNE DEUXIÈME.
Les Précédents, PIROUZÉ GIAFAR.
PIROUZÉ, à part. - Conduite ainsi devant le commandeur des croyants, j'en mourrai de peur !
ABOU-HASSAN. - Approchez, ma bonne femme, et ne craignez pas de lever les yeux vers moi dites-moi plutôt vous-même si vous me reconnaissez ?
PIROUZÉ. - Saint prophète ! Je ne me trompe pas vous êtes mon fils Abou-Hassan que je cherche depuis ce matin.
ABOU-HASSAN, à sa Cour. - Ne vous disais-je pas à tous que je n'étais pas le commandeur des croyants ; cependant, je ne dors pas, il y a quelque maléfice là-dessous.
(Abou-Hassan descend du trône.)
PIROUZÉ. - Mon fils, le marchand de Moussoul a encore laissé la porte ouverte.
ABOU-HASSAN. - Si quelqu'un pouvait me le retrouver. (Le Calife ouvre sa jalousie ; Abou-Hassan l'aperçoit.) Le voilà !
LE CALIFE. - Abou-Hassan, Abou-Hassan, tu as donc juré me faire mourir de rire !
ABOU-HASSAN. - Ah ! Ah ! Je comprends tout maintenant. Quoi vous vous plaignez que je vous fais mourir, vous qui êtes cause que j'ai battu ma mère, et que le gardien de l'hôpital me l'a cruellement rendu ; maintenant j'en prends à mon aise ici, puisque vous m'y avez placé vous avez probablement assez de crédit pour me faire pardonner mes sottises.
NOUZAHTOUL-AOUADAT, tout bas à Abou-Hassan. - Prenez garde, mon cher seigneur, c'est au Calife lui même que vous parlez.
ABOU-HASSAN. - Croyez-vous que je ne m'en doute pas ? (Au Calife retenu dans la salle.) Eh bien maintenant Seigneur marchand, vous m'avez mis dans un bel embarras, si le calife trouve mauvais que je lui enlève des richesses et une de ses esclaves, que lui répondrez-vous ?
LE CALIFE. - On n'a rien offert à Abou-Hassan dont il ne puisse s'emparer ; seulement, au lieu de lui permettre d'emmener chez lui la favorite de Zobéide, l'épouse du calife, il est convenu qu'Abou-IIassan et Nouzahtoul-Aouadat ne quitteront pas ce palais où leur logement est déjà préparé.
ABOU-HASSAN, se prosternant devant le Calife. - Que Dieu accorde une longue vie au véritable commandeur des croyants, qu'il confonde ses ennemis, et le comble de toutes les prospérités terrestres et célestes.
LE CALIFE. - Je te dois des consolations pour tes souffrances, de la reconnaissance pour ton hospitalité ; tu trouveras dans mon inépuisable protection, l'accomplissement de tous tes souhaits.
PIROUZÉ, à Nouzahtoul-Aouadat. - Comment tout cela s'est-il fait ?
NOUZAHTOUL-AOUADAT. - Nous vous le conterons ma bonne mère, mais je suis chargée de présenter mon nouvel époux à la princesse Zobéide, ma maîtresse ; le Calife me fait signe de le suivre, je vous quitte pour revenir bientôt.
La toile se baisse.
FIN