THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE  DORMEUR  ÉVEILLÉ

Bernard, Laure

http://urlz.fr/674m
1837

le dormeur éveillé, Bernard Laure, pièce de théâtre de marionnettes, free
PERSONNAGES.

ABOU-HASSAN, fils d'un marchand de Bagdad.
Le Calife HAROUN-ARRECHYD.
GIAFAR, Grand-Vizir.
MESROUR, chef des esclaves.

TAHEL, ami d'Abou-Hassan
BOUBEKYR, Ami d'Abou-Hassan.
La Princesse ZOBÉIDE, épouse du Sultan.
PIROUZÉ, mère d'Abou-Hassan.
NOUZAHTOUL-AOUADAT, favorite de Zobéide.
Des Esclaves du harem. Hommes et Femmes.
Des Huissiers.
Le Juge de police.
Des Danseuses, des Musiciennes.
Grands Seigneurs, Officiers Nègres, etc.


(La Scène se passe à Bagdad.)


 

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

Intérieur d'une maison orientale.

PIROUZÉ, ABOU-HASSAN.



PIROUZÉ. - Je vous en avertis, mon fils, vos divertissements ont épuisé le coffre où vous aviez mis l'or économisé par votre sage père. Aurez-vous le courage de rompre toutes les habitudes que vous avez prises et de prendre la vie sobre qui va convenir à votre fortune actuelle ?

ABOU-HASSAN. - Croyez-vous donc, ma bonne mère, que mes amis oublieront les plaisirs que je leur ai procurés ; je vais leur déclarer franchement que l'état de ma bourse ne me permet plus de tenir table ouverte, vous allez voir quelles seront leurs offres : ils voudront me prêter de l'argent ou me régaler si bien à leur tour que je me croirai plus riche qu'auparavant.

PIROUZÉ. - Pour votre bonheur il n'en sera point ainsi, Abou-Hassan, et vous deviendrez sage malgré vous. Il est d'ailleurs grand temps que vous songiez à vous établir, et telle est votre réputation que nulle fille bien élevée ne consentirait à venir demeurer ici.

ABOU-HASSAN. - Qu'ai-je donc fait pour m’attirer le blâme, ma mère ? L'argent que je dépense est bien à moi. Il a plu à mon père de me tenir si sévèrement dans ma jeunesse, que, pour réparer le temps perdu, j'ai pris sur son héritage une somme destinée à me faire mener joyeuse vie. Cette somme je l'ai honorablement dépensée avec de bons amis, sans causer le moindre dommage à personne, je n'ai point de dettes ; je laisse mon prochain en repos, et je voudrais bien savoir qui ose se mêler de médire de moi.

PIROUZÉ. - De respectables gens, mon fils. L'Iman de la Mosquée prêche continuellement contre les prodigues dans ses sermons, il dépeint le débauché sous des traits qui sont les vôtres, et tandis qu'il parle, votre nom circule dans tous les esprits ; aussi le quartier entier pense-t-il mal de vous, et comme cela arrive souvent, la médisance va fort au delà de la vérité.

ABOU-HASSAN. - Votre Iman est connu pour un hypocrite et un menteur. Pourquoi se plaint-il de moi ? c'est qu'il voulait que je lui donnasse mon bien au lieu de le dépenser. Et qu'en aurait-il fait lui-même, sinon l'employer à la bonne chère avec ses infâmes conseillers, quatre vieillards aussi misérables que lui ?

PIROUZÉ. - Ces gens-là, je l'avoue, ne méritent aucune considération pour leur conduite personnelle mais ils sont nommés par le Calife, et, à ce titre, nous leur devons du respect. D'ailleurs, ils peuvent faire beaucoup de mal, et il est prudent de les ménager.

ABOU-HASSAN. - Les ménager, c'est de la faiblesse ; que peuvent-ils ajouter contre moi, cet Iman et ces quatre vieillards, quand ils ont dit que je dépense mon argent avec mes amis ; je ne m'en cache pas non plus.

PIROUZÉ. - Aussi en parlent-ils à peine mais voici comment s'exprimait l'autre jour l'Iman, après vous avoir désigné à sa manière. « Si le débauché se bornait à retenir le bien des pauvres en dépensant follement son or, nous pourrions fermer les yeux sur ses fautes s'il s'abstenait de contribuer pour sa part à maintenir la splendeur de la mosquée, nous prendrions patience, car assez d'autres âmes pieuses y songent pour lui ; mais il offense Mahomet en buvant du vin et lorsque chaque soir il est dans l'ivresse, il maltraite sa respectable mère, une femme qui lui est si dévouée que, pour cacher ses souffrances, elle fait bonne mine à ceux qui la viennent voir, et parle toujours du respect que son fils a pour elle et du soin qu'il prend de sa vieillesse. »

ABOU-HASSAN. - Voilà qui est infâme : ces gens-là mériteraient la bastonnade, mais à qui se plaindre d'eux ? Oh ! si le Calife pouvait être informé de tout !

PIROUZÉ. - Mon fils, si un homme bien famé allait raconter les torts journaliers de l'Iman et de ses conseillers, on le croirait ; vous ne pouvez pas vous faire dénonciateur sans que l'on vienne s'enquérir de vos actions, et, franchement., votre vie dissipée ne donnerait pas un grand poids à vos paroles.

ABOU-HASSAN. - La sagesse était au fond de ma bourse ma chère mère, vous l'en avez fait sortir en tirant mes dernières pièces d'or de cette réserve ; vous allez voir comme je vais être sobre à présent, et, excepté les réjouissances que je me permettrai à mon tour chez mes amis, l'Iman, ni les gens du quartier n'auront plus rien à reprendre dans ma vie.

PIROUZÉ. - Votre père ne prêtait ni n'empruntait jamais ; il avait peu d'amis à la vérité, mais il les a conservés jusqu'à la fin de ses jours.

ABOU-HASSAN. - Au moins avons-nous un beau repas pour ce soir ?

PIROUZÉ. - Un des meilleurs que vous ayez encore donnés.

ABOU-HASSAN. - Eh bien ! ma bonne mère, faites les préparatifs dans la salle voisine, car j'ai résolu d'éprouver mes amis, avant même de me mettre à table.

PIROUZÉ. - Je vous laisse pour aller faire un tour à la cuisine.

(Elle sort.)


SCÈNE DEUXIÈME.

ABOU-HASSAN et deux Amis qui viennent successivement.


(On frappe en dehors.)


AB0U-HASSAN. - Ah ! j'entends quelqu'un à la porte, je vais ouvrir.

TAHEL. - Bonsoir, mon cher Ahou-Hassan ; il faut que votre compagnie me soit bien précieuse pour que vous me voyiez ce soir : j'étais convié à une noce ; mais je préfère à tout nos joyeuses soirées, votre aimable entretien, et je suis venu.

ABOU-HASSAN. - Vous avez fait un plus grand sacrifice que vous ne l'imaginiez, honnête Tahel car nous aurons un maigre souper aujourd'hui, et je me sens l'âme triste.

TAHEL. - Et par quelle aventure s'il vous plaît ?

ABOU-HASSAN. - Voilà près d'une année que je tiens table ouverte, et je ne m'en repens pas mais ma bourse est épuisée, et comme il ne me reste plus que le revenu de quelques biens-fonds, j'ai résolu de renoncer à recevoir ; mais en reconnaissance de ce que j'ai fait, je compte bien que mes amis vont s'entendre pour me donner à souper à leur tour.

TAHEL. - Votre exemple m'est un sage avertissement, mon cher Abou, et je veux, comme vous, me retirer du monde. Un riche marchand me proposait, hier, de quitter Bagdad, pour venir avec lui à Schiraz où nous pourrions gagner quelque argent. J'étais indécis pour accepter ; je vais partir, m'y voilà déterminé.

ABOU-HASSAN. - Au moins, mon cher ami vous me prêterez bien trente pièces d'or pour que je puisse encore donner quelques soupers.

TAHEL. - À mon retour, si mes affaires prospèrent, vous pouvez compter que je mettrai ma bourse à votre disposition ; mais pour voyager je n'ai que bien juste ce qu'il me faut et vous m'en voyez désolé.

ABOU-HASSAN. - Eh bien nous n'en souperons pas moins ensemble comme deux amis.

TAHEL. - Je le voudrais ; mais, à présent, je me rappelle que mon marchand m'attend chez moi ; recevez donc mes adieux.

ABOU-HASSAN, avec ironie. - Bon voyage, excellent Tahel.

TAHEL. - Vous allez vous ranger aussi, je vous en félicite car on parle beaucoup dans la ville de la folle dépense que vous faites.

ABOU-HASSAN, en le reconduisant. - Vos avis sont un peu tardifs sage Tahel. (Il revient seul.) Hum ! voilà qui commence mal, mais Tahel est un lâche sur lequel je ne faisais pas grand fonds. Voyons ce qu'il en sera des autres. (Un second ami.) Vous venez à propos mon digne Boubekyr, n'avez-vous pas rencontré Tahel dans la rue ?

BOUBEKYR. - Oui vraiment il a voulu me retenir pour me parler ; mais j'étais pressé de vous voir, et j'ai eu soin d'éviter sa rencontre en feignant de ne pas le reconnaître.

ABOU-HASSAN. - Tahel est un traître, un misérable ami qui vient de me refuser le premier service que je lui aie demandé.

BOUBEKYR. - Si je puis le remplacer en cela, mon cher Abou-Hassan, disposez de moi.

ABOU-HASSAN. - Ah, j'en étais sûr, et votre offre me fait d'autant plus de bien, que je commençais à craindre que ma mère eût raison lorsqu'elle me répète que les fous n'ont point d'amis dans l’adversité.

BOUBEKIR, effrayé. - Est-ce qu'il vous serait arrivé malheur dans votre fortune ? Alors vous voyez en moi le plus malheureux des hommes car je n'ai ni argent ni crédit.

ABOU-HASSAN. - On ne peut pas dire que je sois ruiné car tout ce que mon père m'a légué en mobilier, terres et maisons est intact mais j'ai prodigué l'argent comptant pour nos plaisirs, et me je me trouve forcé de devenir un homme raisonnable si mes amis ne s'arrangent pas pour me faire fête à leur tour.

BOUBEKVR. - Dans votre situation, mon cher, on trouve facilement de l'argent à emprunter ; allons, comptez encore sur l'avenir, et ne craignez pas de vous endetter pour continuer à vivre dans l'abondance. Je connais un riche négociant qui m'avancera les fonds. Vous me ferez un billet à moi, votre nom ne paraîtra en rien, et nous boirons encore aussi joyeusement que par le passé.

ABOU-HASSAN, en colère. - Auprès de toi, Tahel est un ami loyal, car il m'a confirmé dans mes plans de sagesse mais toi, Boubekyr tu me proposes des moyens de n'avoir plus que l'hôpital pour ressource, cela est infâme.

BOUBEKYR. - Quand votre emportement sera calmé, Abou-Hassan, et que vous aurez goûté de cette vie rangée dont vous parlez si l'aise, mes avis vous reviendront en mémoire ; comptez alors sur moi.

ABOU-HASSAN, le reconduit vers la porte. - Et c'était pour de semblables gens que je dépensais mon héritage ! Les ingrats ! je les méprise aujourd'hui, et ne veux plus les revoir chez moi. Voilà deux places vides à ma table. Mes autres convives demeurent à deux pas d'ici ; je vais aller moi même chez eux, afin qu'ils ne prennent pas la peine de venir si nous ne devons pas souper ensemble.


La toile se baisse.

SCÈNE TROISIÈME.


Encore l'intérieur de la maison d'Abou-Hassan.

LE CALIFE (déguisé en marchand), un Esclave, ABOU-HASSAN.



ABOU-HASSAN. - Par ici, seigneur Marchand. Tenez, voilà ma modeste demeure ; mais le hasard veut que j'aie un meilleur souper à vous offrir que vous ne pourriez vous en douter sur les apparences. J'attendais ce soir douze convives, ils se sont tous excusés sous différents prétextes, comme j'ai eu l'honneur de vous le raconter.

LE CALIFE. - On a quelque peine à comprendre que des amis aient eu la bassesse de se conduire aussi mal, et de renoncer à la société d'un homme aussi aimable que vous le paraissez. Pour moi j'aimerais, à ce qu'il me semble, passer ma vie auprès de vous.

ABOU-HASSAN. - Vous savez que je ne veux plus entendre de compliments, Seigneur, ils n'ont eu que trop d'influence sur mon faible esprit ; mais voilà qui est bien décidé : j'aurai tous les soirs un convive ; le hasard me l'offrira, et je ne reverrai de ma vie l'hôte auquel j'aurai donné le souper, le coucher une nuit chez moi.

LE CALIFE. - Il n'y a pas de meilleur moyen de ne pas faire d'ingrats ; mais vous congédierez souvent ainsi des gens qui pourraient vous être utiles, et moi, par exemple, quoique marchand, j'ai de très bonnes relations, assez d'argent et ce que vos amis vous ont refusé, je vous l'offrirais de bon cœur si vous vouliez l'accepter.

ABOU-HASSAN. - Pour rien au monde je ne prendrais une obole des mains de mon hôte, et le meilleur moyen de me fâcher serait de chercher à m'indemniser de quelque façon de mon hospitalité.

LE CALIFE. - Il y a mille manières de rendre service sans engager la reconnaissance de celui qui reçoit ; ainsi, par exemple, si je vous faisais obtenir un emploi sans qu'il m'en coûtât ni argent ni peine.

ABOU-HASSAN. - Je ne voudrais d'autre place que celle du calife pour vingt-quatre heures, et quelle que soit votre puissance Seigneur, il ne dépend pas de vous de me la donner.

LE CALIFE. - Qui sait ?

ABOU-HASSAN. - Allons Seigneur, je vois que vous êtes un hôte joyeux, et me voilà charmé de la bonne fortune qui m'a fait vous rencontrer. Eh bien puisque rien n'arrête votre pouvoir j'accepte donc pour prix de mon hospitalité, la place de calife pour vingt-quatre heures.

LE CALIFE. - Et vous l'aurez.

ABOU-HASSAN. - Si ma maison était douée de sentiment, elle marquerait la joie qu'elle a de posséder un hôte à qui tout est possible, et que rien n'arrête dans son obligeance sans bornes. Me voilà au comble de la joie d'avoir fait la rencontre d'un homme de votre mérite.

LE CALIFE. - Puisque vous acceptez la plaisanterie mon cher hôte, dites-moi maintenant pour quelle importante affaire vous souhaiteriez d'être calife.

 




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