THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

GUIGNOL. - Relève-toi, j'ai des oignons en enfilade... Papa, nous allons signer le contrat et boire une bouteille de vieux madère... Nous en faisons au Mornotopapa.

CASSANDRE. - Il paraît que c’est comme en France... Mais, sire, je n'ai point averti de notaire.


LÉON. - Nous avons ici nos imans, qui sont les notaires du Monomotapa. Ils ont dressé le contrat ; on peut le signer tout de fuite dans la pièce voisine.


GUIGNOL. - Signons, signons.


CASSANDRE. - Amanda, qu'en penses-tu ?


AMANDA. - Signons, mon père.


GUIGNOL. - Vous me convenez, papa Cassandre ; je vous emmène chez mes Mornototapains.


CASSANDRE. - Votre Altesse est bien bonne... Elle m'a déjà fait l'honneur de me nommer grand Crustacé.


GUIGNOL. - Oui, oui, Cruche cassée... vous en avez la capacité, papa.


CASSANDRE. - Il est charmant, le prince... il a le mot pour rire.


GUIGNOL, à Amanda. - Sublime colombe, veuillez accepter mon aile. (Il lui présente son bras.)

     (Ils passent dans la pièce voisine pour signer.)



GUIGNOL, dans la coulisse. - À vous, belle Amanda... À moi, à présent... Malek-Adei-Kara-Barafibu, prince du Mornotopapa... Je ne suis pas bien fort sur l'écriture.


CASSANDRE, de même- Comment, prince !...


GUIGNOL, de même. - Est-ce que je me suis amusé à ces puérilités ?... Pour aller plus vite, je m'en vais faire ma croix.


CASSANDRE, de même. - Vous la faites bien grande.


GUIGNOL, de même. - Les princes font tout en grand.


CASSANDRE, de même. - Et moi, voilà ma signature : Benoît Cassandre.

GUIGNOL, de même. - Ajoutez : Cruche cassée de la cour. (Ils rentrent.)

GUIGNOL. - Papa Cassandre, nous allons passer à présent dans la salle à manger, pour nous mettre quelque chose sous le nez... Il n'y a pas de bonne noce sans un fricot... Marchons, Messieurs les ambassadeurs !


LÉON. - Notre mission est finie... Vous êtes uni, grand prince, à la belle Amanda... Heureux époux, voguez à présent vers votre empire... Bon voyage ! (Léon et Jules s'éloignent.)


CASSANDRE, les retenant- Quel est ce langage ?


JULES. - Restez avec votre illustre gendre, Monsieur le grand Crustacé.

CASSANDRE. - Mon gendre ! mon gendre !


LÉON. - Il est digne de votre illustre famille... Voyez plutôt : Mademoiselle de Cassandre a épousé Guignol, le marchand d'aiguilles. (Il enlève la coiffure de Guignol.)


CASSANDRE. - Sac à papier ! ils se font encore moqués de moi.


AMANDA. - Je suis jouée. (Elle s'évanouit.)


GUIGNOL. - Ah ! nom d'un rat ! je me trouve mal aussi. (Il tombe sur la bande.) Donnez-moi un peu d'eau d’arquebuse.

AMANDA, se relevant. - Quel sort affreux ! Etre unie à un être pareil !

GUIGNOL, se relevant aussi. - Soyez tranquille, mam’zelle... Vous voyez bien que Guignol n’est pas un turc... Ces particuliers qui nous ont mariés sont des farceurs... Je vais mettre le contrat en morceaux, et j'en ferai des petits paquets pour plier mes aiguilles... Pourvu que je retrouve mon panier !...


CASSANDRE. - Tu es un bon garçon ; je ne veux pas que tu nous quittes... Je te garde pour concierge de ma maison de campagne. Tu vendras tout de même tes aiguilles.


AMANDA. - Quelle leçon !


CASSANDRE. - Pourvu quelle soit bonne !... Allons, demain je lui présenterai le fils de mon ami Fromageot.


GUIGNOL. - Un descendant de la famille de Mont-d'Or ou de Rougeret.



AU PUBLIC.


     Messieurs, ma boîte aux aiguilles est un peu désorganisée, mais je m'en vais la refaire... Et si vous avez trouvé mes aiguilles bien piquantes, si elles ont bien piqué la vanité, la sottise, la noblesse de contrebande, je vous en vendrai toujours à juste prix. Je serai payé par le plaisir de vous avoir réjouis.


RIDEAU

 



Créer un site
Créer un site