THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

JULES. - Monsieur Cassandre plaisante, et il a raison... Mon père était papetier.

AMANDA. - Papetier ! Quelle ignominie !

JULES. - Je ne croyais pas, Mademoiselle, que votre famille...


AMANDA, vivement. - Notre famille a eu un emploi à la Cour.


CASSANDRE, à demi-voix. - Poêlier du roi !


JULES. - Je vois, Mademoiselle, que je n'ai plus rien à faire ici... Le fils d'un papetier ne peut aspirer à la main d'une personne d'une aussi haute extraction. Un poêlier de la Cour pour aïeul !... Quelle noblesse !... Adieu, Monsieur de Cassandre. Je vous conseille de faire placer vos armes sur la porte de votre château : un bâton de réglisse et un bâton de cannelle en sautoir, avec un poêle enflammé brochant sur le tout... Mademoiselle, je suis votre très humble serviteur. (Il sort.)


CASSANDRE. - Encore un de congédié !... et il se moque de moi, par-dessus le marché !... Voilà ce que tu me vaux avec tes manies !


AMANDA. - Oh ! mon père, vous me rendrez tout à fait malade. J'ai les nerfs dans un état épouvantable !... Mais aussi, à quoi pensez-vous de me présenter un monsieur Durantin ? (Elle sort.)


SCÈNE V.

CASSANDRE, puis LÉON.


CASSANDRE, seul. - Jules s’est retiré trop tôt... Les jeunes gens d'aujourd'hui n'ont point de persévérance... Quand j'ai épousé Madame Cassandre, elle m'avait refusé quatre fois. À la cinquième, j'ai triomphé. Les grandes passions triomphent toujours... Aujourd'hui, tout dégénère. (Coup de sonnette.) On sonne encore ! Un autre jeune homme !


LÉON. - Monsieur Cassandre, je suis bien votre serviteur.


CASSANDRE. - Monsieur...


LÉON. - Vous ne me reconnaissez pas ?

CASSANDRE. - Non, Monsieur, je l'avoue... cependant...


LÉON. - Léon... Léon Lenoir le fils de votre ancien voisin de la rue Saint-Georges.


CASSANDRE. - Oh ! dans mes bras, mon garçon, dans mes bras ! (Ils s'embrassent.) Ton père était marchand de charbon... un de mes plus vieux amis ; je l'ai bien regretté.


LÉON. - Vous m'avez fait danser sur vos genoux.


CASSANDRE. - Oui, oui. M'en as-tu mangé de ma mélasse ?


LÉON. - Je crois la manger encore.


CASSANDRE. - Et mes pruneaux !... Tu as bien changé... tu as des moustaches... ton père n'en portait pas.


LÉON, - Vous, vous êtes toujours le même : pas un cheveu blanc.


CASSANDRE, embarrassé. - Oui, oui.


LÉON. - Mais il me semble que vos cheveux étaient blonds.


CASSANDRE. - Oui, oui... on voit des gens dont les cheveux ont blanchi en une nuit.


LÉON. - Les vôtres sont devenus noirs.


CASSANDRE. - Ne parlons plus de cela... Et il me paraît que tu as réussi...

LÉON. - Oui, monsieur Cassandre... Vous vous souvenez peut-être de mon départ pour les Grandes-Indes avec mon oncle... J'y ai fait le commerce sous sa direction, je lui ai succédé, et j'ai maintenant une fortune assez ronde.

CASSANDRE. -  part.) Voilà encore un gendre qui me conviendrait bien. (Haut.) Et reviens-tu faire maintenant au milieu de nous ?


LÉON. - Oui, Monsieur. J'ai assez des Indiens, des éléphants et des tigres du Bengale. Je viens manger en France les revenus de mes quatre millions.

CASSANDRE, à part. - Il a quatre millions !


LÉON. - De plus, je veux me marier...


CASSANDRE. - Est-ce que je connais la personne que tu veux épouser ? Désires-tu que j'aille parler de toi à ses parents ?


LÉON. - Mon bonheur dépend de vous.


CASSANDRE. - Comment l'entends-tu ?


LÉON. - Les anciennes relations de nos deux familles m'ont enhardi à venir vous demander la main de mademoiselle Amanda dont j'ai entendu vanter partout la beauté, l'esprit et le caractère.


CASSANDRE. - Comment ! c’est ma fille que tu veux épouser et tu as mis tant de façons à me le dire !... Mon garçon, je ne vais pas par quatre chemins. Tu. me conviens et j'ai aimé ton père comme mon propre frère. Je vais te présenter à ma fille. Si tu lui plais, si elle t'agrée, c’est une affaire conclue... Mais, je t'en préviens, elle est difficile... elle a des idées saugrenues de noblesse, de titres... Sois aimable, le sort de ta demande est entre tes mains.


LÉON. - Ma foi, Monsieur, vous le savez, je ne suis pas plus noble que vous.


CASSANDRE. - Nous l'éblouirons en lui parlant des Grandes-Indes. Sois aimable seulement.


LÉON. - La vivacité du désir que j'ai de devenir votre gendre m’inspirera mieux que mon mérite.


CASSANDRE. - La voici ! De l'aplomb et de l'amabilité !



SCÈNE VI.


CASSANDRE, LÉON, AMANDA. 


AMANDA, entrant. - Mon père !... Ah !...


CASSANDRE. - Ma fille, je te présente mon ami Léon qui revient des Grandes-Indes... le pays des diamants, des châles de cachemire, des dents d'éléphant et des tigres du Bengale.

LÉON, saluant. - Mademoiselle...


CASSANDRE. - Mon cher Léon, je te présente la plus belle fleur de mon jardin.


AMANDA, à part- Papa se répète un peu... Mais ceci m'annonce un nouveau prétendant... Si c’est encore un roturier, je le traite de la belle façon...


CASSANDRE. - Léon, qui nous connaît depuis longtemps, a passé les mers exprès pour venir me demander ta main. (Bas, à sa fille.Il a quatre millions.

LÉON. - Mademoiselle, tout ce que j'ai appris de vous m'avait déjà déterminé à faire cette demande. Aujourd'hui que je vous ai vue, je serais au désespoir, si elle était repoussée.


CASSANDRE, bas, à Léon. - Pas mal... Continue.


LÉON. - Monsieur votre père a bien voulu me permettre de lui en parler. J'attends de vous la même grâce.


CASSANDRE, de même. - Bien, mais pas assez de feu.


AMANDA. - Votre famille, Monsieur, est sans doute encore aux Grandes-Indes ?


LÉON. - Non, Mademoiselle, je suis français... ma famille habitait cette ville.

AMANDA. - Quelle était sa condition ?


CASSANDRE, vivement. - Son père avait une mine.


AMANDA. - Une mine de diamants ?


LÉON, riant. - Non, non ; une mine de charbon.


AMANDA. - Ah !... Mon père ne m'a pas encore dit votre nom, monsieur.

LÉON. - Léon Lenoir.


AMANDA. - Comte ?... marquis ?... duc ?...


LÉON. - Je voudrais être roi, Mademoiselle, pour mettre à vos pieds ma couronne... mais je ne suis rien que le fils d'un riche marchand, qui ai augmenté mon bien par mon travail.


AMANDA. - Monsieur, je suis désolée que mon père vous ait fait faire une démarche inconsidérée Je ne m'appellerai jamais madame Lenoir, et je ne compterai pas un marchand de charbons parmi mes aïeux.


LÉON. - Mademoiselle, si mon père vendait du charbon, monsieur Cassandre vendait des coffrets.... des picarlats comme nous disions en bon lyonnais ; et ce sont là deux genres de noblesse qui se ressemblent.


AMANDA. - Mon père, ces scènes-là me font très pénibles, et je vous ai prié de me les épargner, (Avec affectation.) Ah ! Ah ! Ah ! Madame Lenoir ! Quel beau nom pour être annoncée dans un salon ! (Avec colère.) Quand on s'appelle Lenoir et qu'on a vendu du charbon, avoir l'audace de demander ma main ! Vraiment, j'en suis suffoquée !


CASSANDRE. - Amanda, modère-toi.


AMANDA. - Ah ! Ah ! Ah ! je me trouve mal... Mon père, emmenez-moi, je vous prie.


CASSANDRE. - Allons, bon ! en voilà d'un autre. (À Léon.) Léon, ne te décourage pas ; reviens un autre jour, nous réussirons.


LÉON, en colère. - Vous voulez rire, monsieur Cassandre ; cette réception me suffit... Votre fille est une trop grande dame pour moi... Quant à vous, vous êtes un vieux crustacé.


CASSANDRE. - Un crustacé ! Qu'est-ce que c’est que ça ?


LÉON. - C’est un titre de noblesse aux Grandes-Indes.


AMANDA. Mon père, emmenez-moi, emmenez-moi !... Ah ! ah ! ah ! (Ils sortent). 
 


SCÈNE VII.

LEON, puis JULES.


LÉON, seul. Quel aimable caractère ! et que j'aurais de plaisir à donner une leçon à cette petite pimbêche !


JULES, arrivant. - Comment ! Léon ici !... Tu as la mine bien longue, mon cher. (Riant.) Ah ! Ah ! Ah ! je vois ce qui t'arrive. Jeune papillon, tu es venu brûler tes ailes au feu des yeux de la belle et fière Amanda... Tu n'es pas duc, tu as été éconduit.

LÉON. - Tu connais bien le pays, mon cher... Aurais-tu subi même infortune ?


JULES. - Oui, oui... comme toi refusé, et moqué !


LÉON. - Et bafoué !


JULES. - Et vilipendé !


LÉON. - Par la fille d'un marchand de chandelles !


JULES. - La petite-fille d'un fumiste l


LÉON. - Première noblesse de la grande rue Saint-Georges !


JULES. - Noblesse gagnée au feu !


LÉON. - Et il n'y a pas de feu sans fumiste !


TOUS DEUX, riant : - Ah ! Ah ! Ah !


LÉON. - Eh bien ! tu ne te décourages pas, puisque tu reviens.


JULES. - J'ai à parler au père Cassandre d'une tout autre affaire... Puis je suis bien aise de lui dire encore une fois ce que je pense de sa fille.


LÉON. - Moi, je suis furieux ; et si je pouvais me venger de l'impertinence de cette péronnelle...


On entend GUIGNOL crier : - Marchand d'aiguilles l Marchand d'aiguilles !


JULES. - Tais-toi ; je crois que je tiens notre vengeance.


LÉON. - Comment cela ?


JULES. - Laisse-moi faire et dis comme moi.

     (Ils se retirent au fond du théâtre et causent à voix basse.)



SCÈNE VIII.

GUIGNOL, JULES, LÉON. 

 

GUIGNOL. - La vieille m'a gardé plus de deux heures. Elle m'a fait défaire tous mes paquets... et puis elle m'a acheté pour six centimes... Ah ! c’est pas un état, ça ! (Criant :Marchand d'aiguilles ! Que qui veut des aiguilles par ici ?...


JULES, s'avançant. - Je ne me trompe pas, c’est bien lui. (Il salue.)

LÉON, de même. - C’est lui, à n'en pas douter !... Quelle ressemblance ! (Il salue.)





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