THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 
EUSTACHE. - Oui, c'est bien par ici que je suis passé tout à l'heure. Ah ! mon Dieu, quel malheur ! Je viens de voir le médecin. Il m'a dit : « Mon ami, comptez sur moi. Je pars d'ici dans une demi-heure ; je serai chez vous dans cinq minutes. » Puis il a ajouté, pour me rassurer sans doute : « Si dans huit jours votre soeur est encore en vie, il est probable qu'elle ne sera pas morte. » Une si bonne sœur, une créature si douce ! Comme moi, du reste ; c'est dans la famille ! (Pierre paraît et lui applique un coup de bâton sur la tête. Eustache se sauve, Pierre court après.)

GASPARD. - Tiens, où va-t-il donc comme ça ?


PIERRE. - Je croyais que c'était un éléphant ; je courais après lui pour le mettre dans une cage. (Il entre dans la maison.)

GASPARD. - Il est toujours drôle,, ce petit. Tiens, j'aperçois une voiture. On dirait que c'est celle à Grégoire... Mais oui ! Il s'arrête en bas de la petite colline... Tiens, il monte.

GRÉGOIRE, il lui prend la tête et l'embrasse. - Ah ! mon pauvre père ! Il est temps que ça finisse ! J'en ai assez. Trois jours sans vous voir, je ne pouvais plus y tenir. Aussi je viens vous chercher, je vous emmène, je ne veux plus vous quitter.

GASPARD. - C'est impossible, mon ami !

GRÉGOIRE. - Il le faut, mon cher père. J'ai besoin de vous avoir auprès de moi, surtout en ce moment ; avec cette catastrophe, je ne sais plus où j'en suis.

GASPARD. - Quelle catastrophe ?

GRÉGOIRE. - Vous ignorez donc ce qui est arrivé à la ferme ?

GASPARD. - Sans doute. Qu'est-il arrivé ?

GRÉGOIRE. - Un terrible accident à madame Clémentine. Elle a les deux jambes brisées ; on va les lui couper.

GASPARD. - Oh ! mon pauvre ami ! Eh bien ! malgré tout le mal qu'elle m'a fait endurer, je ne lui aurais jamais souhaité une affaire pareille.

GRÉGOIRE. - Vous comprenez, n'est-ce pas ? combien votre présence à la maison est nécessaire. Il faut que vous rentriez dans votre maison et que tout soit pardonné et oublié.

GASPARD. - Merci, mon pauvre Grégoire ; je suis bienheureux d'être remis avec toi. Quant à rentrer à la maison, c'est inutile d'y songer ; la chose est impossible : je ne veux pas apporter chez toi un nouveau sujet de discorde. D'ailleurs, je suis à l'abri du besoin. Madame la comtesse de Bombignac est venue tout à l'heure ici ; elle m'a proposé, ainsi qu'à Pierre, de venir nous installer au château. En m'offrant, pour ne pas blesser mon amour-propre, l'emploi de jardinier, elle aura soin de ma vieillesse, et Pierre trouvera auprès de cette charmante bienfaitrice un cœur généreux pour lui tracer un avenir brillant digne de sa gentillesse et de son intelligence. Tu le vois, mon cher enfant, laissons les choses comme elles sont ; ce qui est fait est bien fait. En habitant le. château, je serai près de toi. Nous nous verrons souvent ; pas autant peut-être que nous aurions pu le faire sans ces événements, mais assez cependant pour épancher dans nos cœurs la tendresse qui nous inspire pour les faire battre ensemble. Je vais aller dire à Pierre que tu es là ; il va être bien heureux. (Il s'éloigne.)

GRÉGOIRE. - Pauvre père ! il voit plus loin que moi. Il a raison ; peut-être vaut-il mieux le priver de la vue de son pauvre foyer, dans lequel, hélas ! de nouveaux, troubles affaibliraient encore sa pauvre existence.

PIERRE. - (Il arrive en sanglotant et se précipite dans les bras de son père.) Bonjour, p'pa. (Nouveaux sanglots.)

GRÉGOIRE. - Allons, voyons donc ! Ne pleure donc pas comme ça !

PIERRE. - Je suis si content de te voir ! (Ils s'embrassent. Pierre pleure toujours très fort.)

GRÉGOIRE. - Allons, voyons, va dire à ton grand-père de se préparer, puisque ma voiture est là ; nous allons descendre ensemble à la ville. (Il s'éloigne.)

PIERRE. - Eh ! grand-papa ! Allons, y es-tu ? Dépêchons-nous, papa nous attend.

GASPARD, parlant dans les coulisses. - Attends un peu, je ne peux pas aller moins vite.

PIERRE. - Nous reviendrons chercher le matériel un autre jour, ça ne presse pas.


GRÉGOIRE. - Ah ! bien ! Filons alors.

PIERRE. - Allons vite. Es-tu content de moi, mon pauvre grand-papa ?

GASPARD. - Ah ! pauvre petit, sans toi, je me demande vraiment ce que je serais devenu. (Ils s'embrassent ; la toile tombe.)

FIN.




Créer un site
Créer un site