THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

BALANDARD, à part. - Ah ! c'est comme ça qu'ils le prennent ? Où est le pot de chambre ? (Il va à la table de nuit.) Attendez !... (Il prend le pot.) J'ai ce qu'il faut, il est chargé jusqu'au bord. Et l'odeur ! (Il retourne à la fenêtre.) Dites donc, bavards, approchez donc, je veux vous dire quelque chose.

DEUXIÈME VOIX. - Qu'est ce que c'est ?

BALANDARD, versant le pot par la fenêtre. - Voilà ce que c'est ! (Il referme la fenêtre et va se recoucher. On entend confusément des malédictions dans la cour.)

DEUXIÈME VOIX. - J'avais la bouche ouverte... J'en ai avalé une goulée... ça sent comme un goût... quelle horreur ! Y a à boire et à manger, là-dedans ! On portera plainte au commissaire de police...

?
BALANDARD, qui s'est remis sous les couvertures, s'endort en disant : - C'est de la pommade au jasmin !

 

SCÈNE VII

JEAN, BALANDARD, CORISANDE, endormis.



JEAN, une lanterne d'écurie a la main, va au lit où devrait être Corisande et réveille Balandard. - Madame ! ça va-t-être trois heures. La diligence de La Châtre va partir dans un quart d'heure, faut vous réveiller !

BALANDARD. - Va-t-en aux cinq cent mille diables, toi, avec la diligence et la chandelle que tu me fourres dans les yeux !

JEAN. - Mais c'est la diligence...

BALANDARD. - Au diable, au diable, je le dis ï

JEAN. - Vous voulez pas ? c'est comme ça vous conviendra ! Ah ! vous pouvez ben dormir, j'm'en embarrasse pas ! (Il sort.)



SCÈNE VIII

Balandard qui s'est rendormi, est réveillé par les cris du dehors.


PREMIÈRE VOIX. - Messieurs les voyageurs pour Ardentes, La Châtre, en voiture !

CORISANDE, se réveillant. - Hein ? qu'est-ce que c'est ? (On entend sonner trois heures à toutes les pendules du dehors.) Trois heures !

BALANDARD. - C'est la diligence de La Châtre qui part. (Roulements de la diligence et coups de fouet, grelots... qui s'éloignent.) Et la voilà partie. Dieu merci ! on ne l'entendra plus ! (Il remet sa tête sous les couvertures.)

C0RISANDE. - Comment, Dieu merci ? (Elle court à la fenêtre, l'ouvre et appelle, le jour paraît faiblement.) Eh ! attendez-moi ! Postillon ! Conducteur ! comment, on part sans moi ?

BALANDARD. - Vous n'avez pas fini de piétiner comme ça et de crier comme un aigle ?

C0RISANDE. - Il faut que je m'habille. (Elle prend le pantalon de Balandard, qui est resté auprès de son lit et essaye de passer ses bras dans les jambes du pantalon.) Et la noce ! si je n'arrive pas pour le mariage. Et vous, qui m'aviez promis de me faire réveiller à temps ! c'est mal à vous, très mal !

BALANDARD, qui a la tête hors des couvertures. - Dites donc, jeune homme, c'est mon pantalon que vous prenez là, il est tout neuf. Ça se fait dans les auberges, je connais ça ! Mais... tiens ?... Est-ce ce jour blafard qui me trompe ?

CORISANDE, qui prend sa robe près du lit où est Balandard. - Moi qui comptais sur vous ! c'est un joli tour que vous me jouez là, madame Friturin !

BALANDARD, à part. - Il s'habille en femme ? drôle d'idée. Mais... le mastodonte... pas si mastodonte que ça. Il paraît qu'il appartient au beau sexe !

CORISANDE. - Qu'est-ce que vous dites du beau sexe ? Vous n'en êtes pas, vous ? Dieu ! que vous êtes changée depuis hier soir... Vous n'êtes pas madame Friturin ?

BALANDARD. - Moi ? Jamais ! Je suis Balandard, directeur de théâtre et artiste moi-même, pour vous servir.

C0RISANDE. - Un homme ! j'ai passé la nuit tête à tête avec un homme ! j'ai même combattu avec lui, je suis perdue de réputation si ça s'ébruite ! Monsieur ! j'en appelle à votre honneur ! Pas un mot de ce qui s'est passe entre nous cette nuit !

BALANDARD. - J'en jure par le Styx ! Il n'y aurait pas de quoi me vanter, je vous prenais pour un commis voyageur.

C0RISANDE. - Comme j'ai l'air d'un commis voyageur !

BALANDARD. - Mais non... mais non... Au jour.

C0RISANDE. - En attendant, voilà la diligence partie ! Que vais-je devenir ? Ma nièce, monsieur, une nièce ne peut pas marier sans moi. Aidez-moi à sortir d'embarras. J'avais pourtant dit qu'on m'éveillât à trois heures.

BALANDARD. - On est venu me réveiller à votre place, j'ai tout envoyé promener.

CORISANDE. - Alors, réparez le mal que vous avez fait.

BALANDARD. - Et comment ?

CORISANDE. - Trouvez-moi un moyen d'aller à La Châtre.

BALANDARD. - Attendez que le chemin de fer soit fait.

CORISANDE. - Ce serait trop long, j'aurais le temps d'être grand-tante. N'avez-vous pas une voiture ?

BALANDARD. - Oui, une chaise de poste.

C0RISANDE. - En ce cas, menez-moi à La Châtre, je vous invite à la noce de ma nièce.

BALANDARD, à part. - Une noce !

CORISANDE. - Eh bien ?

BALANDARD. - Est-elle aussi bien que vous, votre nièce ?

CORISANDE. - Flatteur ! elle est mieux.

BALANDARD. - Oh ! en ce cas...

CORISANDE. - Vous acceptez ? Vous êtes un homme charmant !

BALANDARD. - Je... êtes-vous mariée ?

CORISANDE. - Je suis veuve et veux rester libre.

BALANDARD. - Qu'est-ce que vous vendez ?

CORISANDE. - Êtes-vous fou ? Je ne vends rien.

BALANDARD. - Et vous vous appelez... car enfin il faut bien que je sache avec qui je pars.

CORISANDE. - Corisande des Andouillers, veuve Graboyos.

BALANDARD. - Des Andouillers ? Seriez-vous parente de mon vieux camarade de chasse, le comte des Andouillers, un vieux farceur, très aimable, très jeune pour son âge ?

CORISANDE. - C'est mon père !

BALANDARD. - Ah ! par exemple ; comme on se retrouve sans s'être jamais rencontré !

C0RISANDE. - Allons, faites atteler. Vous ne vous ennuierez pas avec moi, je suis toujours gaie. Et puis on mange bien à La Châtre, et vous y verrez de bons types, je vous en réponds, je vous laisse vous lever.

BALANDARD. - Suis-je assez faible avec le sexe ! Mais, dites donc... à quelle heure le mariage ?

CORISANDE. - À onze heures.

BALANDARD. - Et combien de lieues d'ici à La Châtre ?

CORISANDE. - Neuf.

BALANDARD. - Eh bien, avec la poste, c'est l'affaire de deux heures et demie. En partant d'ici à huit heures, vous aurez encore plus d'une heure d'avance pour faire votre toilette à La Châtre.

CORISANDE. - Vous avez affaire ici ?

BALANDARD. - J'ai affaire certainement, l'affaire de dormir deux heures. Je ne suis pas comme vous, moi ! je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.

CORISANDE. - C'est juste, vous êtes si gentil pour moi que je ne peux pas vous refuser. Je m'en vais faire un tour dans la ville, aussitôt que les boutiques seront ouvertes, je ferai encore quelques petites emplettes. Ah ! mon parapluie, le temps est à l'orage et mes petits poulets, je vais les faire boire. Allons, dormez tranquille, je vous ferai réveiller à huit heures moins le quart, et je commanderai les chevaux. Vrai, vous êtes un charmant homme !

BALANDARD. - Et vous une charmante femme. (Elle sort.)



SCÈNE VIII



BALANDARD. - Ma foi, oui, elle a l'air excellent la grosse mémère. Pas laide, l'air enjoué, fraîche et rebondie, bonne santé et fille de mon vieux copain ! Allons ! cette fois je vais dormir (Le coq chante au dehors. On entend sonner des cloche,, le réveil de la caserne...) Tout s'éveille dans la nature ! et moi... (Il soupire et s'endort.)



SCÈNE IX


LE COMMISSAIRE DE POLICE, BALANDARD
endormi au dehors.


LE COMMISSAIRE. - Ouvrez, au nom de la loi ! (Il frappe et il entre) Personne ? Ah ! si. (Il va au lit où dort Balandard.) Monsieur ou madame, enfin il n'importe à quelque sexe auquel vous apparteniez, écoutez-moi et répondez, monsieur. Des hommes souillés de boue ou d'ordures sont venus ce matin déposer une plainte contre vous. Ils s'exprimaient avec difficulté, soit que l'émotion eût altéré leurs voix, soit que des matières étrangères encombrassent leurs gosiers. Une odeur nauséabonde s'échappait de leurs vêtements et leurs haleines empoisonnées me serraient fortement à la gorge. Je crus d'abord avoir affaire à ces travailleurs nocturnes qui sont rarement dans l'aisance, bien qu'ils s'agitent souvent dedans. Mais je fus bientôt détrompé. Ils m'exposèrent que, causant sous les fenêtres de votre chambre, ils avaient reçu subrepticement sur la tête des matières qu'ils crurent fécales et des eaux qu'ils pensèrent ménagères ; mais vous ne les aviez pas ménagées ni les unes, ni les autres. Ils étaient sordides dans leurs mises et voyant que leurs vêtements commençaient à fumer à la chaleur de mon lit, je les congédiai de crainte qu'ils n'asphyxiassent mon épouse qui reposait sur mon flanc gauche. Je ceignis mon nombril de ma ceinture et je me dirigeai vers cet hôtel. Aux traces encore fumantes qui sillonnent la muraille sous cette fenêtre, je compris que le coup parlait de là et je pénétrai ici afin de vous demander une explication.


BALANDARD., s'éveillant. - Monsieur, je ne comprends pas, je dors. Il y a méprise, c'est au-dessus probablement.

LE COMMISSAIRE. - Au-dessus ? Au fait c'est possible, c'est ici la demeure de madame Friturin et je ne vois pas de raison pour qu'elle se plaise à arroser ses postillons. En attendant que je fasse rendre une ordonnance de non-lieu, veuillez me dire pourquoi vous êtes dans la couche de l'aimable hôtesse de céans ?

BALANDARD. - Tout ce que vous voudrez, verbalisez et laissez-moi dormir.

LE COMMISSAIRE. - Votre nom, âge, demeure et qualité ?

BALANDARD. - Jules, voyageur de commerce, trente ans, sur la Canebière à Marseille. (Il se rendort.)

LE COMMISSAIRE. - Parfait ! Il me reste à vous remercier. (Il sort.)



SCÈNE X

BALANDARD, FRITURIN. -
On entend le train du chemin de fer, arriver, s'arrêter, repartir.



FRITURIN, entre. - J'ai rencontré à Vierzon monsieur Rafin qui m'a dit que la tante était sur pied. J'ai trop d'ouvrage ici pour aller perdre mon temps à Bourges. Ma femme ne s'attend guère... Comme je vais la surprendre agréablement ma pauvre bichette ! (Il s'approche du lit et embrasse Balandard.)

BALANDARD. - Eh quoi ! qu'est-ce que c'est que ça ? Est-ce vous, madame ?

FRITURIN, étonné. - Madame ?

BALANDARD. - Eh non ! c'est un homme et pas beau. (Il s'essuie la figure.) Dites donc, je n'aime pas ces manières-là !

FRITURIN, stupéfait, à part. - Un homme chez moi, dans le lit de ma femme ! j'aurais dû m'en douter. Cet empressement d'Ursule à m'éloigner... (À Balandard.) Que fais-tu ici, infâme ?

BALANDARD. - Infâme toi-même, j'essaie de dormir.

FRITURIN. - Vous êtes chez moi, maroufle !

BALANDARD. - Je suis chez toi, maroufle ? Eh bien, j'y suis fort mal. Du diable si j'y reviens jamais...

FRITURIN. - Y revenir, misérable ? tu n'en sortiras pas.

BALANDARD. - Tu n'as pas fini de m'embêter ? je vais te flanquer une danse et te coller à la porte. A-t-on jamais vu un aubergiste qui invective comme ça ses voyageurs ?

 


 




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