THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE VIII


Les mêmes, FRANCATISPA, GIUSEPPE.


ANTONIO, à part. - Que va-t-il faire ?

LE COMTE. - Approchez, mes braves ! Vous voyez cet homme ? je vous le con?e. Vous allez le conduire dans le cachot noir du château, celui qui est au pied de la Tour du Nord et qui n‘a pour fenêtre qu‘un soupirail par lequel pourrait à peine passer une chauve-souris, Vous lui donnerez trois jours de vivres, et une cruche d‘eau, car je suis humain ; puis vous fermerez la serrure de la porte et m‘en apporterez la clef ! Allez !

ANTONIO. - Quoi ! Tu me condamnes à mourir de faim ?

LE COMTE. - Non pas ! puisque je te donne de la nourriture.

ANTONIO. - Allons, ce n‘est pas possible ! C‘est pour m‘effrayer ?

LE COMTE. - Je ne plaisante jamais !

ANTONIO. - Mais Régina...

LE COMTE. - Son sort me regarde ! Allons ! Tu n‘as rien de mieux à faire que de te résigner.

ANTONIO. - Régina ! Adieu ! Adieu pour toujours !

LE COMTE. - Tu l‘as dit : Pour toujours ! (à Francatispa et Giuseppe) Emmenez cet homme ! (Francatispa et Giuseppe sortent avec Antonio).



SCÈNE IX

LE COMTE, seul.


M‘en voici débarrassé ! C‘est vraiment un coup de chance, et cette journée est pour moi heureuse entre toutes. Je pars ce matin à la chasse au gibier humain que je puis rencontrer dans la forêt : voyageurs égarés, paysans revenant de la ville avec une grosse sacoche, en?n gens de toute sorte dont j‘aime à alléger l‘escarcelle ; quand je rencontre cet Antonio, qu‘à dire vrai je n‘ai pas reconnu : car nous étions dans un endroit très sombre où les arbres ne laissent pas voir le ciel ; en un moment, je le renverse de son cheval et lui enlève sa sacoche, ma foi, assez garnie ; malheureusement j‘eus le tort de lever sur lui mon poignard, ce qui lui fit une telle peur qu‘il s‘élança dans les taillis et disparut bientôt à mes yeux. Et quelle est ma joie de le trouver réfugié dans ma demeure, où il retrouve sa ?ancée dont je vais le séparer pour jamais ! Je ne crois pas que Régina lui ait fait connaître sa retraite, mais elle l‘a accueilli et caché à mes yeux. Elle est donc sa complice ! Trombolini ne pardonne jamais ! Elle m‘a menti, elle sera punie ! Une mort prompte n‘assouvirait pas ma vengeance, je veux la faire souffrir lentement ! (Allant à la porte.) Régina ! Régina ! Venez !


SCÈNE X

LE COMTE, LA COMTESSE.



LA COMTESSE. - Vous m‘appelez, comte ?

LE COMTE. - Oui, comtesse ; je ne veux pas vous laisser sous le coup d‘injustes soupçons. J‘ai ré?échi, je reconnais que c‘est à tort que je vous ai accusée d‘avoir pu introduire quelqu‘un dans cette demeure. Je suis sûr que vous ne m‘avez point menti, et je tenais à vous le dire.

LA COMTESSE. - C‘est encore quelque piège qu‘il me tend.

LE COMTE. - Je ne vous cacherai pas cependant que j‘ai voulu m‘assurer par moi-même de la véracité de vos paroles, et que j‘ai visité les chambres voisines, où je n‘ai trouvé personne.

LA COMTESSE. - Il n‘y avait personne en effet.

LE COMTE (montrant la chambre de droite, puis de gauche). - Ni ici, ni là ! Cette chambre donne dans mon cabinet, et cette autre n‘a pas d‘issue. Si quelqu‘un s‘y était réfugié il y serait encore (la conduisant à la porte par laquelle Antonio est sorti) et vous voyez : il n‘y a personne !

LA COMTESSE, effrayée. - Non. Personne !

LE COMTE. - Or, je n‘ai pas bougé d‘ici.

LA COMTESSE. - Ce qui veut dire que s‘il y avait eu une personne dans cette chambre, elle n‘en pu sortir qu‘en passant devant vous ?

LE COMTE. - Vous avez parfaitement compris !

LA COMTESSE. - Je ne sais pas pourquoi vous me dites tout cela, comte.

LE COMTE. - C‘est pour vous rassurer, comtesse.

LA COMTESSE, à part. - Voilà le piège ! Je tremble ! Qu‘est devenu Antonio ?

LE COMTE. - Maintenant, Madame, causons un peu de nos affaires ; voici le moment où il serait bon de les régler. Je vous ai enlevée, il y a six mois, au moment où vous alliez contracter un hymen qui me déplaisait ; si je vous ai respectée, c‘est que voulant faire de vous ma femme, je voulais vous donner le temps d‘oublier Antonio, votre ?ancé.

LA COMTESSE. - Jamais ! Jamais je ne l‘oublierai !

LE COMTE. - Même s‘il était mort ?

LA COMTESSE. - Mort ! Que dites-vous ? Mort ! Antonio ? Vous l‘avez donc tué ?

LE COMTE. - Comment l'aurais-je tué, s‘il n‘était pas ici ?

LA COMTESSE. - Écoutez ! Vous me dites une chose qui me fait trembler ! Antonio, mort ! Pourquoi me parlez-vous d‘Antonio ? Il y a quelque chose que vous me cachez. Parlez ! Ne me torturez pas ainsi.

LE COMTE. - Vous semblez bien émue.

LA COMTESSE. - Moi ! Eh bien oui, ce que vous venez de me dire m‘effraye, et je vois que vous semblez heureux de me voir dans cet état. Je veux tout savoir, dussé-je en mourir ! Antonio...

LE COMTE. - Rassurez-vous, c‘était une supposition.

LA COMTESSE. - Écoutez ! Je ne veux pas rester dans cette incertitude ! Je vais tout vous dire. Eh bien, oui, Antonio était ici dans cette chambre. Où est-il maintenant ?

LE COMTE. - Ah ! ah ! Vous vous décidez enfin à dire la vérité.

LA COMTESSE. - Oui. Un homme est venu me supplier de lui donner l'hospitalité ; j'ignorais que ce fût Antonio. Je fus prise de pitié et je le fis entrer. Quand je le reconnus, je voulus le faire partir aussitôt ; mais c‘est à ce moment que vous êtes revenu, et je le cache dans cette chambre. Vous l‘avez-vu ? où est-il ?

LE COMTE. - Ce n‘est pas moi qui l‘ai introduit ici ; il y est venu de lui-même ; il doit donc subir les conséquences de sa témérité.

LA COMTESSE. - Mais pourquoi lui en voulez-vous ? Vous lui avec pris sa ?ancée, n‘est-ce donc pas assez ?

LE COMTE. - Je le hais, parce que vous ne l‘avez pas oublié. Je le hais parce qu‘il vous aime. Je le tiens en mon pouvoir et je ne lui ferai pas grâce.

LA COMTESSE. - Vous allez le tuer ?

LE COMTE. - Cette punition serait trop douce !

LA COMTESSE, effrayée. - Que voulez-vous donc faire ?

LE COMTE. - Écoutez-moi ! Il y a dans ce château une tour qu‘on appelle la Tour du Nord. C‘est celle où se trouve votre chambre ; au pied de cette tour il y a un petit escalier qui conduit à une oubliette. C‘est un étroit cachot sans air, où le jour parvient à peine par une étroite lucarne. C‘est la que j‘ai fait conduire Antonio. Il a trois jours de vivres et une cruche d‘eau. À partir de ce jour, il y restera complètement oublié ! il y mourra de faim. Personne ne pourra entendre ses cris ; nul ne pourra lui porter secours ! Et vous, dans votre chambre située au-dessus, vous passerez des nuits sans sommeil en songeant à votre ?ancé en train de devenir un cadavre.

LA COMTESSE. - Mais vous êtes un monstre !

LE COMTE. - Non ! Je me défends !

LA COMTESSE. - J‘avais cru jusqu‘à ce jour, que le comte Ruffiano était au moins un gentilhomme ; mais je le connais maintenant, et je n‘hésite pas à croire que c‘est bien lui qui est réellement le brigand Trombolini.

LE COMTE. - Quoi ! Vous savez ?

LA COMTESSE. - Je m‘explique maintenant vos sorties mystérieuses ! Vous alliez à l’affût, guetter les voyageurs, les piller, les massacrer, et vous rentriez ici les mains pleines d‘or et de sang !

LE COMTE. - Eh bien, oui ! Je suis Trombolini ! Mais vous en savez trop, Madame, et le sort que je vous réserve égalera celui d‘Antonio.

LA COMTESSE. - C‘est juste ! Il vous manquait ce nouveau crime !

LE COMTE. - N‘essayez pas de me braver ni de m‘attendrir ; j‘ai une âme de fer, et ce que j‘ai résolu est toujours accompli.

LA COMTESSE. - Je m‘attends à tout et je me résigne.

LE COMTE. - Je vous laisse seule ; ici, la fuite est impossible. Je vais aller préparer ma vengeance. Je reviendrai dans un instant, et alors ce ne seront plus les heures que vous compterez ; ce seront les minutes qui vous sépareront de l‘éternité.

LA COMTESSE. - Va, tigre ! Je ne te demande qu‘une chose : c‘est de m‘épargner ta présence à mes derniers moments !

LE COMTE, à part. - Trombolini ! Elle sait que je suis Trombolini ! Il faut qu‘elle meure ! (Le comte sort).


SCÈNE XI

LA COMTESSE, seule


C'en est fait ! Tout est ?ni ! Il faut me résigner à mourir ! Ce brigand ne nous épargnera pas. Antonio va souffrir le plus horrible des supplices, et qui sait ce qu‘il me réserve, à moi ? Ah ! qu‘il soit maudit, le brigand ! Mon Dieu ! il n‘y a donc pas un moyen de nous soustraire à sa vengeance, Antonio et moi ? Personne à corrompre dans ce château : les seuls serviteurs qui s‘y trouvent sont les complices du comte, c‘est vainement que j‘essayerais de les séduire. O désespoir ! Mourir si jeune, loin de tout ! Je disparaîtrai comme un fétu de paille poussé par le vent, que nul n‘aura vu et que nul ne regrettera. Du moins, mourons dignement ; que nul ne voie mes larmes, que nul ne se doute de mes regrets ! Mais on vient ! Serait-ce déjà lui ? Non, ce sont nos serviteurs, ses complices !


SCÈNE XII


LA COMTESSE, FRANCATISPA, GIUSEPPE


LA COMTESSE, à part. - Viennent-ils me chercher ? Le comte est bien pressé !

FRANCATISPAà Giuseppe. - Tu l‘as reconnu, le prisonnier ?

GIUSEPPE. - Je crois que c‘est l‘homme que Trombolini a dévalisé dans la forêt.

FRANCATISPA. - Précisément ! Il est jeune ! Il me faisait pitié.

GIUSEPPE. - 
À moi aussi ! Quoique brigands, nous avons encore un peu de cœur.

FRANCATISPA. - Tais-toi ! Voici la comtesse.

LA COMTESSE . - Que désirez-vous ?

FRANCATISPPA. - Nous cherchons notre maître, le comte Ruffioso.

LA COMTESSE. - Que lui voulez-vous ?

GIUSEPPE. - Nous venons lui remettre la clef du cachot de la Tour du Nord ainsi qu’il nous l'a commandé.

LA COMTESSE, à part. - Grand Dieu ! une lueur d‘espoir !

FRANCATISPA. - Le comte devait nous attendre ici.

LA COMTESSE. - Je le sais ! Mais il a dû s‘éloigner et m‘a chargée de recevoir cette clef, que je vais immédiatement lui remettre.

FRANCATISPA. - C'est que je ne sais pas si je dois...

LA COMTESSE. - Ne suis-je pas la comtesse de Ruffiano et ne voulez-vous pas m‘obéir ?

GIUSEPPE, à Francatrippa. - Bah ! Le comte ou la comtesse c‘est la même chose ! Donne-lui la clef ! Que veux-tu qu‘elle en fasse ?

FRANCATISPA, à Giuseppe. - Au fait ! Elle ignore qui nous sommes ! Pour elle nous ne sommes que ses serviteurs ! (Haut.) Voici la clef, madame.

LA COMTESSE, vivement. - Merci ! Je vais de ce pas la porter au comte et lui dire que vous avez ?dèlement rempli la mission qu’il vous a con?ée.
(Elle sort).


SCÈNE XIII


FRANCATISPA, GIUSEPPE


FRANCATISPA. - J ‘ai peut-être eu tort de lui remettre la clef.

GIUSEPPE. - Pourquoi ce scrupule ?

FRANCATISPA. - C‘est que, une idée vient de me venir. Si la comtesse s‘intéressait au prisonnier, elle pourrait bien maintenant le faire évader.

GIUSEPPE. - Et comment veux-tu quelle connaisse le prisonnier ? Elle ne connaît et ne voit personne ; et, du reste, s‘est-elle jamais inquiétée de nos excursions ? Crois-moi, elle s‘imagine être la comtesse Ruffiano, et ne se doute pas qu‘elle est la protégée du brigand Trombolini !

FRANCATISPA. - Ah ! quand je pense que nous sommes les complices de cet homme ! La rage me monte à la gorge ! et plus d‘une fois il m'est venu la pensée de m‘en débarrasser.

GIUSEPPE. - Parle moins haut, on peut nous entendre. Moi aussi j‘ai en cette idée, car je n‘étais pas fait pour être brigand.

FRANCATRIPPA. - Moi non plus ! C‘est la première faute qui amène les autres ! Aujourd‘hui le métier me dégoûte, et si je savais comment l'abandonner...

GIUSEPPE. - C'est facile, maintenant que nous sommes d‘accord. À la première expédition nous l‘abandonnerons.

FRANCATISPA. - Il est seul ! Nous sommes deux, il vaudrait mieux... le supprimer.

GIUSEPPE. - Un crime ?

FRANCATISPA. - Bah ! Un de plus ou de moins, cela n'a pas d‘importance.

GIUSEPPE. - Et le plus tôt sera le mieux ! Après ? Eh bien, nous tâcherons de devenir des honnêtes gens. Il paraît que ce n‘est pas difficile ! En tous cas, nous ferons de notre mieux.

FRANCATISPA. - Attention ! Voici le comte.



SCÈNE XIV


Les mêmes, LE COMTE


LE COMTE. - Je vous cherche par tout le château ; qu‘êtes-vous donc devenus ?


 





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