THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

POLICHINELLE. — Est-ce que vous me prenez pour une bonne d'enfants ? D'ailleurs, je voulais vous parler d'autre chose. Où avez-vous mis le sac d'argent ?


LA MÈRE GIGOGNE. — Je l'ai serré !


POLICHINELLE. — Il me le faut. Je le veux. Entendez-vous ?


LA MÈRE GIGOGNE. — Pour le jeter par la fenêtre ?... Vous ne l'aurez pas !


POLICHINELLE. — Je l'aurai !


LA MÈRE GIGOGNE. — Vous ne l'aurez pas !


POLICHINELLE. — Je l'aurai ! (Entre Niflanguille).


LA MÈRE GIGOGNE. — Ah ! voilà mon cousin Niflanguille, je suis sauvée ! — Ah ! mon cousin, il vient de m'arriver un affreux malheur.


NIFLANGUILLE. — Quoi donc ?


LA MÈRE GIGOGNE. — J'ai épousé Polichinelle ; il met mes enfants au pillage ; il me bat, il me vole.


POLICHINELLE. — Je l'adore ! C'est elle qui me bat !


LA MÈRE GIGOGNE. — Il veut me prendre mon sac de mille écus que j'ai amassés à la sueur de mon front !


POLICHINELLE. — Mais je ne l'ai épousée que pour ça !


NIFLANGUILLE. — Remettez-moi votre argent, je saurai bien le garder, moi ; et si le coquin veut y mettre la patte, je la lui couperai. Je suis fort, moi ! je ne le crains pas. J'ai mon sabre !


POLICHINELLE. — Attends, tu vas voir tout à l'heure que mon bâton coupe mieux que ton sabre !


NIFLANGUILLE. — J'ai tué cent-trente hommes en duel ; et toi, polisson qui maltraites les femmes et les enfants, sache que je suis redresseur de torts.


POLICHINELLE. — Tu m'appelles bossu, je crois ?


NIFLANGUILLE — Mais non.


POLICHINELLE. — Tu redresses les tors !


NIFLANGUILLE. — Tu vois ce sac ? ose y toucher !


LA MÈRE GIGOGNE. — À présent, je suis tranquille. J'ai trouvé un bon gardien ! (Elle sort).


POLICHINELLE. — Mon petit Niflanguille, donne-moi ce sac !


NIFLANGUILLE, le menaçant. — Hein ? prends garde à toi !


POLICHINELLE. — Eh bien, prête-le-moi !


NIFLANGUILLE, le menaçant. — Hein ? ne t'en avise pas !


POLICHINELLE. — À la fin, tu m'impatientes ! (Il aiguise son arme).


NIFLANGUILLE. — Je vais te percer de part en part, si tu avances. (Il veut tirer son sabre).  Eh bien !


POLICHINELLE, le tapant. — Il est rouillé !


NIFLANGUILLE. — Quand il sera sorti du fourreau, tu rentreras dans ta coquille, malheureux ! (Le sabre ne sort pas). Eh bien !


POLICHINELLE, le tapant. — Il te faudrait un peu de savon !


NIFLANGUILLE, s'armant. — À nous deux, maintenant !


POLICHINELLE. — Hé ! hé ! ça coupe, ce n'est pas de jeu ! Faisons la paix. Tiens, regarde donc là-haut cette étoile.


NIFLANGUILLE. — Où donc ?


POLICHINELLE. — Là-haut ! là-haut ! (Il cherche à prendre le sac).


NIFLANGUILLE. — Hein ? n'approche pas ! je suis en garde contre tes niches.


POLICHINELLE, se penchant en dehors. — Oh ! oh !


NIFLANGUILLE. — Quoi donc ?


POLICHINELLE. — Regarde ! là ! par terre ! une bête extraordinaire.


NIFLANGUILLE, regardant. — Où cela ?


POLICHINELLE. — Regarde bien ! elle est toute dorée ! (Il le tape).


NIFLANGUILLE, tombant. — Oh ! le traître !


POLICHINELLE, prenant le sac. — Je ne te confierai jamais rien !


NIFLANGUILLE. — Oh ! j'ai la tête fendue ! Que va dire ma cousine, quand elle saura que je me suis laissé voler ? Il ne me reste plus qu'à prévenir la justice ! (Il sort. Polichinelle rentre avec le sac).


POLICHINELLE. — Il faut que je me procure quelques plaisirs avec cet argent ! Maintenant, je vais acheter un cheval, et je me promènerai au bois de Boulogne. Hé ! Maquignon ! (Le Maquignon entre).


LE MAQUIGNON. — Eh bien, monsieur Polichinelle, qu'y a-t-il pour votre service ?


POLICHINELLE. — Je voudrais un cheval ! Mais ne me trompe pas ! Si tu es madré, je suis malin.


LE MAQUIGNON. — J'ai un cheval superbe ! Vous n'en avez jamais vu de pareil !


POLICHINELLE. — Va le chercher !


LE MAQUIGNON. — Êtes-vous bon cavalier ?


POLICHINELLE. — Je n'ai jamais monté à cheval.


LE MAQUIGNON. — Eh ben, je vais vous en amener un bien doux !


POLICHINELLE. — Il ne me jettera pas par terre ?


LE MAQUIGNON. — Vous vous tiendrez à la queue ! Par exemple, je vous préviens qu'il est tout petit.


POLICHINELLE. — Allons, va ! je verrai bien ! (Le Maquignon sort). Quand j'aurai un cheval, j'achèterai une voiture !


LE MAQUIGNON, amenant le cochon. — Voilà un beau petit cheval !


POLICHINELLE. — Ça, c'est un cheval ?


LE MAQUIGNON. — Mais, dame, est-ce que vous n'y voyez pas clair ?


POLICHINELLE. — Ça, c'est un... c'est un... Comment donc appelle-t-on ça ?...

LE MAQUIGNON. — Un poney des montagnes ! C'est un pur sang.


POLICHINELLE. — C'est un cochon ! ! ! voleur que tu es.


LE MAQUIGNON. — Vous ne vous y connaissez guère ! C'est un cheval-rose que je vous dis !


POLICHINELLE. — Il est tout plat !


LE MAQUIGNON. — Il n'en court que mieux !


POLICHINELLE. — Tu me crois borgne, canaille ! (Il le bat).


LE MAQUIGNON. — Hé ! hé ! attendez, je vas vous chercher un vrai cheval ! (Il sort en emmenant le cochon).


POLICHINELLE. — C'est trop fort ! On a beau ne pas être du Jockey-Club on sait distinguer le sang des bêtes !
(
Le Maquignon arrive avec un cheval).


LE MAQUIGNON. — V'là le bidet ! Hop là ! hop là ! Vous ne direz pas qu'il n'est pas beau celui-là. Il vient de chez le Grand Turc !


POLICHINELLE. — Combien le vends-tu ?


LE MAQUIGNON. — Dame ! pour vous, mille écus au plus juste !


POLICHINELLE. — Mille écus, polisson ! Laisse-moi d'abord essayer cette haridelle !


LE MAQUIGNON, lui donnant un coup de fouet. —Allons, en selle !


POLICHINELLE. — Eh ! cingle ton cheval, mais pas le cavalier !


LE MAQUIGNON. — Oh ! ça revient au même !


POLICHINELLE. — Voyons ! une, deux, trois ! (Le cheval le jette à l'autre bout du théâtre d'un coup de croupe). Oh ! oh ! je ne sais pas lequel est le plus vicieux de vous deux !


LE MAQUIGNON. — Mais c'est un mouton !


POLICHINELLE. — Allons, voilà une troisième bête à présent ! Attends, je vais monter par la tête ! (Coup de tête). Diable ! que la cavalerie est pénible !


LE MAQUIGNON. — Entrez dedans, alors !


POLICHINELLE. — Dans quoi ?


LE MAQUIGNON. — Dans le cheval.


POLICHINELLE. — Ah ! voyons, arrange-moi la selle ! (Le cheval le secoue rudement). Eh ! oh ! ah ! il m'emporte ! Au secours !


LE MAQUIGNON, fouettant. — Hop là ! hop là !


POLICHINELLE. — Je veux descendre !


LE MAQUIGNON. — Ah ! cet animal a déjà tué dix-sept personnes, j'aime mieux les mille écus ! (Il sort).


POLICHINELLE, secoué par le cheval. — Voleur ! brigand ! scélérat ! gueux ! canaille ! Au secours ! (Entre la mère Gigogne).


LA MÈRE GIGOGNE. — Eh bien ! qu'est-ce que c'est donc ?


POLICHINELLE. — Je suis perché sur cette maudite bête ! (Secousse). Oh !... et je ne peux plus... (Secousse). Oh !... en descendre ! (Secousse). Oh ! venez à mon aide !


LA MÈRE GIGOGNE. — Attendez, je vais le prendre par derrière. (Ruade). Oh ! oh ! je ne m'y frotte plus !


POLICHINELLE. — Mais je vais périr ! (Le cheval l'emporte. — Dans la coulisse). Au secours ! au secours !


LA MÈRE GIGOGNE. — Ah ! si le cheval pouvait le jeter à la rivière ! (Entre Niflanguille).

NIFLANGUILLE. — Ma pauvre cousine, le scélérat m'a repris votre sac !


LA MÈRE GIGOGNE. — Ah ! mon Dieu ! et qu'en a-t-il fait ?


NIFLANGUILLE. — Il l'a échangé contre son cheval !


LA MÈRE GIGOGNE. — Mais je suis ruinée !


NIFLANGUILLE. — Je voulais d'abord aller à la justice, mais comme Polichinelle a l'habitude de battre les gendarmes, je me suis adressé à mon frère le sorcier Parafaragaramus, qui s'est chargé de le punir.


POLICHINELLE, revenant en boitant. — Enfin ! Je me suis débarrassé de cet horrible cheval !


LA MÈRE GIGOGNE. — Et vous vous êtes débarrassé aussi de mes écus ?


POLICHINELLE. — C'est le Maquignon qui me les a volés !


LA MÈRE GIGOGNE. — Mon cousin, ce serait le moment de corriger le débauché une bonne fois ! (Elle prend un bâton).


POLICHINELLE. — Ah çà, qu'est-ce qui vous prend ?


NIFLANGUILLE, prenant un bâton. — Il est temps de devenir raisonnable ! Polichinelle, y es-tu décidé ?


POLICHINELLE. — Si la maman Gigogne veut me donner quelques sous, je ne demande pas mieux !


NIFLANGUILLE. — Allons, je le tiens ! Tapez ferme, ma cousine ! (La mère Gigogne frappe Niflanguille, Polichinelle s'étant retiré). — Hé ! hé ! mais c'est moi que vous frappez ! Rattrapez-le-moi, je ne le manquerai pas !


POLICHINELLE. — Cocorico !
(Il se retire. — La mère Gigogne tape Niflanguille).


NIFLANGUILLE. — Oh diable ! on n'a jamais raison avec ce coquin de Polichinelle ! Je vais aller chercher le sorcier ; il sera plus adroit que nous ! (Il part).


LA MÈRE GIGOGNE. — Je vais employer un autre moyen pour ramener Polichinelle à l'ordre. — Écoute, mon cher ami, si tu veux bien soigner mes enfants, bien te conduire, être bien gentil en un mot, je te donnerai encore de l'argent !


POLICHINELLE. — Oh ! oh ! je vais les débarbouiller, les bichonner, les peigner, les torcher, les embrasser ! (Que la peste t'étouffe !) — Voyons, donne ton argent, ma petite femme, mon petit bijou !





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