POLICHINELLE ET LA MÈRE GIGOGNE
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f8.image.r=louis%20edmond%20duranty
Louis-Émile-Edmond Duranty
1880
domaine public
PERSONNAGES :
POLICHINELLE.
LA MÈRE GIGOGNE.
NIFLANGUILLE.
LE MAQUIGNON.
LE CHARCUTIER.
ARLEQUIN.
LE SORCIER.
DIX POUPONS.
LE DIABLE.
LE CHIEN.
LE COCHON.
LE CHEVAL.
UNE PLACE PUBLIQUE.
POLICHINELLE. — Mesdames et Messieurs, j'attends le Notaire ; je vais épouser la mère Gigogne on dressera le contrat dans un instant ! La mère Gigogne est fort riche : elle possède un gros sac plein d'argent.
(Entre le Notaire. — Salutations).
LE NOTAIRE. — Hé ! hé ! Polichinelle, tu te maries donc ?
POLICHINELLE. — Ma foi oui, je m'engigogne !
LE NOTAIRE. — Quoi ?
POLICHINELLE. — J'épouse la mère Gigogne.
LE NOTAIRE. — Tu fais bien, mon ami, cela te ramènera à des habitudes de sagesse. Voyons, où est l'autre futur, que nous dressions le contrat ?
POLICHINELLE, appelant. — Hé ! hé ! maman Gigogne !
VOIX DE LA MÈRE GIGOGNE. — Me voici ! me voici !
LE NOTAIRE, saluant. — Oh ! oh ! quelle grosse bonne mère ! quelle bonne femme de notaire elle ferait ! Hé ! hé !
POLICHINELLE. — Allons, homme de loi, dresse ton acte !
LE NOTAIRE. — Voilà, voilà ! Quelle est ta fortune. Polichinelle ?
POLICHINELLE. — J'ai mes bosses !
LE NOTAIRE. — Bon ! les bosses, bon ! Et puis...
POLICHINELLE. — Et mon bâton !
LE NOTAIRE. — Bon ! ton bâton, bon ! Et puis ?
POLICHINELLE. — C'est tout !
LE NOTAIRE. — Bon ! c'est un peu sec, bon !
POLICHINELLE. — Il vaut plus que la plume ! (Il le tape).
LE NOTAIRE — Bon ! un peu de calme ! bon ! — Hé ! — Et vous, madame, quel est votre apport ?
LA MÈRE GIGOGNE. — Cent-soixante-dix-sept enfants !
LE NOTAIRE. — Bon ! Cent-soixante-dit-sept enfants, bon ! Que de bâtons de vieillesse pour toi, Polichinelle ! — Est-ce tout, madame ?
LA MÈRE GIGOGNE. — Non, écrivez : un éventail !
POLICHINELLE, tapant le Notaire. — Un éventail !
LE NOTAIRE. — Hé ! hé ! tu me déranges la main !
LA MÈRE GIGOGNE. — Une casserole.
POLICHINELLE, tapant. — Une casserole !
LE NOTAIRE, changeant vite de place. — Que diable ! tu me fais faire des pâtés !
LA MÈRE GIGOGNE. — Un matelas !
POLICHINELLE, tapant. — Un matelas !
LE NOTAIRE, changeant de place. — Mais, mais... je ne fais que des pataraphes !
LA MÈRE GIGOGNE. — Et un sac de mille écus !
POLICHINELLE, tapant plus fort. — Et un sac de mille écus !
LE NOTAIRE, sautant et hurlant. — Un sac de mille coups de bâton ! (Il se frotte la tête). Maintenant, remets-moi mes honoraires !
POLICHINELLE. — Que l'honneur d'avoir rédigé mon contrat le suffise !
LE NOTAIRE. — Du tout, je veux quelques-uns des écus du gros sac !
POLICHINELLE. — Attends, je vais te donner mieux que ça. (Il sort).
LE NOTAIRE. — C'est égal, madame, c'est bien imprudent d'épouser ce drôle !
LA MÈRE GIGOGNE. — Ah ! monsieur, Polichinelle est un homme si remarquable !
(Polichinelle rentre avec un enfant).
POLICHINELLE, mettant l'enfant dans les bras du Notaire. — Voilà pour te payer !
LE NOTAIRE. — Et qu'est-ce que tu veux que je fasse de ce marmot ?
POLICHINELLE. — Tu le croqueras ! Il est gras comme un petit cochon de lait !
LE NOTAIRE, lui jetant l'enfant. — Garde ton poupon !
POLICHINELLE, le lui rejetant. — Veux-tu bien l'emporter ?
LE NOTAIRE, le lui rejetant. — Non ! non !
POLICHINELLE. — Ah ! tu refuses tes honoraires ?
LA MÈRE GIGOGNE. — Mais vous allez faire mal à mon enfant
POLICHINELLE, la tapant. — Silence ! Une, deux, trois ! Notaire, veux-tu le petit ? Tu ne m'en prives pas.
LE NOTAIRE. — Coquin, tu recommences tes scélératesses !
POLICHINELLE, le battant. — Alors, va-t'en !
LE NOTAIRE. — Oh ! j'aurais dû me méfier de toi ! (Ils se sauve).
POLICHINELLE, lui jetant l'enfant. — Tiens, prends toujours ça ! c'est ma monnaie, maintenant !
LA MÈRE GIGOGNE. — Mais, Polichinelle, à quoi pensez-vous ? C'est abominable de traiter mes pauvres enfants comme cela !
POLICHINELLE. — Vous ne comprenez pas que je les place ! Voulez-vous donc que je les mange ?
LA MÈRE GIGOGNE. — Passe pour celui-là, mais soyez un bon beau-père pour les autres ! Ils vont venir vous faire leur compliment !
POLICHINELLE. — Ils feraient mieux de dormir, les petits coquins !
LA MÈRE GIGOGNE. — Venez, mes chers petits ! (Entrent les Enfants).
POLICHINELLE. — Qu'ils sont laids ! Ils ne sentent pas la rose ! Allez-vous-en, petits canards ! petites pestes ! Me voilà colonel d'un beau régiment !
LES ENFANTS, dansant et chantant
Un beau compliment
Un beau compliment
À Polichinelle,
Qui sera content ;
À Polichinelle,
Qui sera content.
(Tous dansant et en chœur :)
À Polichinelle,
Qui sera content.
POLICHINELLE, les battant. — Qui sera content si vous décampez. Allez vous débarbouiller, petits brigands !
LES ENFANTS. — Aie ! aïe ! (Ils sortent).
LA MÈRE GIGOGNE. — Oh ! Polichinelle, que vous avez l'âme dure ! À peine sommes-nous mariés, et vous me rendez déjà malheureuse !
POLICHINELLE. — Ne troublez pas la lune de miel par des observations déplacées, ma chère amie. Allez mettre votre beau châle, et nous célébrerons cet heureux événement par un festin.
LA MÈRE GIGOGNE. — Je vais me dépêcher. (Elle sort en emportant le sac d'écus).
POLICHINELLE. — Hé ! la diablesse, elle a emporté son sac d'argent ! Oh ! oh ! la mère Gigogne me fait déjà des farces ! (En sortant, il se cogne contre le Charcutier :) Oh !
LE CHARCUTIER. — Oh ! monsieur Polichinelle !
POLICHINELLE. — Je n'ai pas le temps ! (Ils s'en va d'un autre côté).
LE CHARCUTIER, courant après. — Un petit mot, s'il vous plaît !
POLICHINELLE, allant à l'opposé. — Demain ! demain !
LE CHARCUTIER, prenant le bâton et tapant. — Écoutez-moi donc !
POLICHINELLE. — Oh ! oh ! les arguments solides ! Gare à toi, drôle !
LE CHARCUTIER. — C'est pour que vous m'entendiez !
POLICHINELLE. — Allons, va vite ! Que veux-tu ?
LE CHARCUTIER. — Vous souvient-il d'un temps où vous étiez pauvre ?
POLICHINELLE. — Non ! J'ai toujours été riche !
LE CHARCUTIER. — Oh ! Et quand vous mangiez mes boudins à crédit ?
POLICHINELLE. — Je ne sais pas ce que tu veux dire.
LE CHARCUTIER. — Comment ! vous ne reconnaissez pas ce petit compte : « Fourni à monsieur Polichinelle sept-mille-huit-cent-quarante-trois boudins. »
POLICHINELLE, le battant. — Pas du tout !
LE CHARCUTIER, plus haut. — Onze-mille-neuf-cent-quatre-vingt-sept andouilles !
POLICHINELLE, le battant. — Quel mensonge !
LE CHARCUTIER tapant. — Et je compte que vous allez me payer !
POLICHINELLE, tapant. — Je n'y compte pas !
LE CHARCUTIER. — Alors, un de nous deux va rester sur le carreau.
POLICHINELLE, s'en allant. — Eh bien, restes-y !
LE CHARCUTIER, le frappant. — Tu me payeras, gueux !
POLICHINELLE. — Tu sais que j'ai le bon bout, drôle ! Tu vas en tâter. (Ils aiguisent leurs armes. — Bataille. — Le Charcutier est battu). Es-tu content ?
LE CHARCUTIER. — Il y a des commissaires, heureusement.
POLICHINELLE. — Attends ! sérieusement je vais te payer. (Il sort).
LE CHARCUTIER. — Il faut toujours prendre les gens quand ils sont de bonne humeur ; ma petite note va être acquittée ! (Polichinelle revient avec l'enfant).
POLICHINELLE, le lui mettant sur les bras. — Voilà ton salaire !
LE CHARCUTIER. — Mais je ne suis pas une nourrice !
POLICHINELLE. — Je te dis de le faire saler ! ! ! !
LE CHARCUTIER. — Tu payeras cher tes plaisanteries !
POLICHINELLE. — Je te paye en chair !
LE CHARCUTIER. — Tes mauvais calembours ne te sauveront pas !
POLICHINELLE. — C'est toi qui feras bien de te sauver ! En route ! (Il le renvoie d'un coup de bâton. — Entre la mère Gigogne).
LA MÈRE GIGOGNE. — Mon enfant ! mon poupon ! Mais vous n'avez donc aucun sentiment humain ? Vous distribuez mes poupons à droite et à gauche !