THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE IV.

GUIGNOL, LE PROPRIÉTAIRE, LE GENDARME.



LE GENDARME, il passe d'abord doucement la tête et regarde. - Qui appelle au secours ?


LE PROPRIÉTAIRE. - Moi ! monsieur le gendarme. — Entrez —je tiens l'assassin.

LE GENDARME. - Il n'y a pas de danger, je peux donc entrer.
(Il entre.)


LE PROPRIÉTAIRE. - Venez ! venez m'aider à punir cet homme, qui a osé lever la main sur moi...


GUIGNOL. - Oh ! la main, le balai tout au plus.


LE GENDARME. - La main ? — Le balai ? Voyons, expliquez-vous sur ce point.


GUIGNOL et PROPRIÉTAIRE, ensemble. - Voilà, c'est monsieur qui, malgré moi, n'a pas voulu sortir d'ici.


LE GENDARME. - Sapristi ! si vous parlez tous les deux à la fois, nous ne pourrons jamais nous entendre !...


GUIGNOL. - La voix est plus forte pourtant, en parlant à deux.


LE GENDARMÉ. - Possible ! Mais un gendarme n'écoute pas comme les autres.

LE PROPRIÉTAIRE. - Voici le fait...


GUIGNOL, l'interrompant. - Non, voici...


LE PROPRIÉTAIRE, même jeu. - Monsieur...


GUIGNOL. - Est venu !


LE PROPRIÉTAIRE. - Je suis venu.


LE GENDARME. - Qui ?...


GUIGNOL. - Moi !

LE GENDARME. - Lui...

GUIGNOL. - Non...

LE PROPRIÉTAIRE. - Oui...

LE GENDARME. - Comprends plus.

GUIGNOL. - C'est pourtant bien simple !

LE PROPRIÉTAIRE. - Très simple. Monsieur ne veut pas s'en aller.

GUIGNOL. - Non, c'est lui qui veut rester.

LE GENDARME. - Eh bien alors ?

LE PROPRIÉTAIRE. - Mais puisque je vous dis...

LE GENDARME. - Silence ! je comprends bien, mais je ne saisis pas encore.


GUIGNOL. - Si nous remettions cela à demain ?


LE PROPRIÉTAIRE. - Comment, gendarme, vous n'allez pas le conduire en prison ?


LE GENDARME. - Si ça peut vous être agréable ! D'ailleurs vous avez raison. Vous vous expliquerez bien mieux devant le commissaire. Allons, en route !


LE PROPRIÉTAIRE. - Moi aussi ?


LE GENDARME. - Parbleu ! tous les deux.


GUIGNOL. - C'est bien fait !


LE PROPRIÉTAIRE. - Ah ! bandit ! tu me le paieras.


GUIGNOL. - C'est ce que nous verrons.


LE GENDARME. - Allons, en route ! Ah ! sapristi, j'ai oublié mon sabre.


GUIGNOL. - Ça ne fait rien, je cognerai s'il ne marche pas.


LE PROPRIÉTAIRE, furieux. - Moi, un propriétaire, chez le commissaire !


LE GENDARME, criant. - Tout le monde chez le commissaire. Allons, en route !


GUIGNOL, frappant sur le propriétaire. - Allons, en route !


LE PROPRIÉTAIRE, appelant. - Gendarme !


GUIGNOL. - Marchez donc !


LE GENDARME. - C'est juste. Marchons !


ACTE II.

Chez le commissaire.

SCÈNE PREMIERE.
LE COMMISSAIRE et LE GENDARME entrent.


LE COMMISSAIRE. - Ainsi, gendarme, les prisonniers sont là ?


LE GENDARME. - Ils sont là !


LE COMMISSAIRE. - Tous ?


LE GENDARME. - Deux !


LE COMMISSAIRE. - Deux seulement ?


LE GENDARME. - Ils n'étaient que deux, je ne pouvais pas en arrêter trois !


LE COMMISSAIRE. - Qui sait ! Enfin, deux, c'est quelque chose, j'ai là votre rapport. Vous êtes entré, pendant qu'on criait au secours, vous avez vu deux hommes qui se battaient ?


LE GENDARME. - Je les ai arrêtés.


LE COMMISSAIRE. - Vous avez eu raison. Il faut toujours arrêter ! Sans cela nous n'aurions rien à faire ; je vais les interroger. Faites-les venir.

LE GENDARME. - Tous les deux ?


LE COMMISSAIRE. - Tous les deux. 
(Le gendarme sort.)

 

SCÈNE III

LE COMMISSAIRE, LE GENDARME, GUIGNOL,
LE PROPRIÉTAIRE.



LE COMMISSAIRE. - Ah ! c'est vous les prisonniers ! Approchez.


GUIGNOL. - Voilà.


LE PROPRIÉTAIRE. - Monsieur, je...


LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME, glapissant. - Silence !


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais au moins...


LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME, idem. - Silence !


LE COMMISSAIRE. - Maintenant, parlez.


LE PROPRIÉTAIRE. - Je suis propriétaire ! j'ai loué une chambre à monsieur ; cette chambre...


LE COMMISSAIRE. - Arrivez à l'affaire.


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais j'y arrive, que diable ! Donnez-moi le temps !

LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME, glapissant- Silence !


LE PROPRIÉTAIRE. - Il...


LE COMMISSAIRE. - Suffit ! j'ai compris !


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais je ne vous ai pas expliqué...


LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME, idem- Silence !


LE COMMISSAIRE. - À l'autre. Approchez-vous. (Guignol s'approche.) - Votre nom ?


GUIGNOL, bégayant. - Je... je... ne... ne (Criant.) Aïe !


LE COMMISSAIRE. - Comment il ne... ne...


GUIGNOL. - C'est le pro... pro... (criant.) Aïe !


LE COMMISSAIRE. - Eh bien ! qu'est-ce qu'il a fait le pro... pro...


GUIGNOL. - Coup... coup... coup... (À part.) Aïe !


LE COMMISSAIRE. - Il a fait le coucou.


GUIGNOL, fait signe que non. - Non.


LE COMMISSAIRE. - Non !.. Ce garçon-là est idiot...


GUIGNOL, bégayant. - Oui... oui... oui...


LE COMMISSAIRE. - Il avoue au moins, celui-là. Voyons à vous, gendarme, rajoutez-moi ce qui s'est passé.


LE GENDARME. - Voilà ! j'entre, je trouve ces deux particuliers, criant, et tenant chacun un bout d'un grand balai.


LE COMMISSAIRE. - Qui tapait ?


LE PROPRIÉTAIRE, désignant Guignol. - Lui...


GUIGNOL, désignant le propriétaire. - Lui... (Criant.) Aïe !


LE COMMISSAIRE, au propriétaire. - C'est donc vous ?


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais pas du tout.


LE COMMISSAIRE. - Puisqu'il crie aïe ! c'est qu'il a du mal.


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais c'est moi qui devrais crier.


LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME, glapissant. - Silence !


GUIGNOL. - C'est le coup... coup... coup... qui m'a... m'a... m'a... le... le...

LE COMMISSAIRE. - J'y suis. (Appelant.) Gendarme !


LE GENDARME. - Présent !


LE COMMISSAIRE. - Ce garçon était-il aussi idiot quand vous l'avez arrêté ?


LE GENDARME. - Je ne crois pas.


LE COMMISSAIRE. - Alors c’est clair ! ce sont les coups qui lui ont paralysé la langue. D'ailleurs il se plaint. (À Guignol.) Ça vous fait donc bien mal ?


GUIGNOL, bégayant. - Oui... oui... oui... (Criant.) Aïe !...


LE COMMISSAIRE. - J'en étais sûr.


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais ce n'est pas vrai ; c'est un menteur, monsieur le commissaire. Il n'est pas bègue... vous vous trompez.


LE COMMISSAIRE. - La justice ne se trompe jamais.


LE GENDARME. - Jamais !


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais c'est moi qui ai reçu les coups.


LE COMMISSAIRE. - Prouvez-le. Où sont les marques ?


LE PROPRIÉTAIRE. - Je n'en ai pas, heureusement.


LE COMMISSAIRE. - Et bien alors ! Lui, il en a au moins ! Vous voyez que j'ai raison ; donc c'est vous que je condamne.


LE PROPRIÉTAIRE. - Condamné, moi ! pour avoir voulu me faire payer ce qu'on me devait. Elle est trop forte !


LE COMMISSAIRE. - C'est jugé. Il n'y a plus à revenir.


LE PROPRIÉTAIRE. - Mais...


LE COMMISSAIRE. - Silence !


LE GENDARME. - Silence !


GUIGNOL. - Silence !


LE COMMISSAIRE. - Vous resterez en prison jusqu'à sa guérison.





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