THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 


PROPRIÉTAIRE et LOCATAIRE

— GUIGNOL LOCATAIRE.—

d'après

Fernand Beissier

1894

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148


PERSONNAGES :

GUIGNOL. — LE CONCIERGE. — MAÎTRE FURET.
LE PROPRIÉTAIRE. — LE GENDARME. - LE COMMISSAIRE.

La chambre de Guignol.

SCÈNE PREMIÈRE.


GUIGNOL, entrant. - Plus moyen de trouver un sou ! C'est fini. Mon pauvre Guignol, tu y es. Mais là, en plein, dans la panade. J'ai visité tous mes amis : ceux qui avaient ne voulaient pas ; ceux qui voulaient, n'avaient pas. Comment faire ? Ce qui me gêne le plus, c'est mon propriétaire. Voilà trois fois qu'il envoie le concierge ; et voilà trois fois que je prie cet estimable fonctionnaire de revenir. Et il revient toujours ! Il y a des gens qui ont vraiment de la constance. Et puis payer, c'est bien facile à dire. Il faut pouvoir. Quelle invention bête que les créanciers, et que ces gens-là sont vraiment mal appris de venir nous réclamer à tout instant ce qu'on a eu la faiblesse de leur emprunter ! En attendant je vais me coucher. Je rêverai peut-être que je suis millionnaire, et que c'est moi qui suis à mon tour le créancier de mon propriétaire. Il passerait un joli quart d'heure, je ne vous dis que ça. Allons! (Au moment où il va pour sortir, on entend frapper la porte.) On frappe ! Qui peut bien venir à celle heure ? Si c'était la fortune ! Elle ne s'annoncerait pas autrement. (On frappe encore.) On y va ! on y va ! (Il va ouvrir.) Le concierge ! encore. Ah ! il m'ennuie à la fin !



SCÈNE II

LE CONCIERGE, GUIGNOL, puis MA
ÎTRE FURET.


GUIGNOL. - Encore vous !


LE CONCIERGE. - Encore moi ! Tout à votre service.


GUIGNOL. - Et quel heureux hasard me procure l'honneur de votre visite ?

LE CONCIERGE. - Oh ! mon Dieu, pas grand chose. (Lui montrant un papier.) Ceci.


GUIGNOL. - Quoi ?


LE CONCIERGE. - Votre quittance de loyer.


GUIGNOL. - Je ne lis jamais ces choses-là.


LE CONCIERGE. - Il ne s'agit pas de lire, mais de payer.


GUIGNOL. - Payer ? Pourquoi faire ?


LE CONCIERGE. - Comment ! pourquoi faire ?


GUIGNOL. - Oui, expliquez-moi ! Parce que, au fond, voyez-vous, moi je ne demande pas mieux que de payer.


LE CONCIERGE, joyeux. - Vous allez payer !


GUIGNOL. - Je ne dis pas cela.


LE CONCIERGE. - Mais vous devez ?


GUIGNOL. - Je ne l'ai jamais nié.


LE CONCIERGE, en colère. - Ainsi vous ne voulez pas payer !


GUIGNOL. - Oh ! fi, le vilain homme, qui me parle dans le nez.

LE CONCIERGE. - Une fois, deux fois, trois fois, vous ne voulez pas !

GUIGNOL. - Si...

LE CONCIERGE. - Ah !

GUIGNOL. - Combien dois-je ?

LE CONCIERGE. - Trois-mille euros.


GUIGNOL. - Parfait. Payez pour moi, prêtez-m'en deux-mille et ce sera cinq-mille euros que je vous devrai.


LE CONCIERGE. - Ah ! c'est ainsi ! Vous voulez vous moquer de moi ! Vous allez voir. (Se tournant vers la porte.) Entrez, maître Furet.
(Maître Furet entre.)

 

GUIGNOL. - Qu'est-ce que c'est que ça ?


LE CONCIERGE. - Ça ! C'est un huissier.


GUIGNOL. - Il en a bien l'air.


MAÎTRE FURET. - Insolent !


GUIGNOL. - Ah ! tu sais, toi ! Ne m'échauffe pas la bile, ou je cogne.


LE CONCIERGE. - Ne prêtez pas attention à ce que dit cet homme, et faites votre devoir.


MAÎTRE FURET. - Je vais inventorier.


GUIGNOL. - Inven... quoi !


LE CONCIERGE. - Inventorier votre mobilier.


GUIGNOL. - Mon mobilier ?


MAÎTRE FURET. - Aux fins de saisie. (Il écrit.) Item : une table, dito..


GUIGNOL, à part. - Attends, je vais t'en donner de l'item et du dito.


LE CONCIERGE. - Et surtout n'oubliez rien.


MAÎTRE FURET, écrivant toujours. - Soyez tranquille... Rien ne m'échappe !


GUIGNOL. - Tu ne m'échapperas pas, non plus, vieux melon !


MAÎTRE FURET. - Vous dites ?


GUIGNOL. - Je dis : vieux melon !


MAÎTRE FURET. - J'avais bien entendu. Je vous remercie.


LE CONCIERGE. - Avez-vous tout noté, tout écrit ?


MAÎTRE FURET. - J'ai tout noté.


GUIGNOL, qui est allé chercher un balai. - Et ça ! (Il lui en donne des coups sur la tête et sur le dos.) Et ça ! Notez ! Ecrivez ! N'oubliez rien. Mais écrivez donc ! El aïe donc ! Et aïe donc !


LE CONCIERGE. - Au secours !


GUIGNOL. - Ah ! tu en veux aussi ! Distribution générale. (Il lui donne des coups de bâton.) Pas de jaloux ! Il y en a pour tout le monde.


LE CONCIERGE et MAÎTRE FURET. - À l'assassin !


GUIGNOL, les poursuivant et les frappant toujours. - Voulez-vous bien vous taire ! Vous allez ameuter le quartier.

(Le concierge et maître Furet, après une poursuite folle, s'enfuient en criant.)


GUIGNOL. - Et aïe donc ! Et aïe donc ! Ouf ! M'en voilà débarrassé ! C'est dur : un concierge et un huissier. J'aurais dû me munir d'un balai neuf. (Regardant son balai.) Ils m'en ont faussé le manche. Je vais maintenant pouvoir dormir tranquille. (On frappe.) Encore ? Serait-ce un autre huissier ? Attends. (On frappe.) Quelle baraque que cette maison ! On ne peut pas rester une heure en repos.


SCÈNE III.

LE PROPRIÉTAIRE, GUIGNOL.
Le propriétaire entre, en bonnet grec, robe de chambre.

 

GUIGNOL. - Tiens ! c'est mon propriétaire, mon aimable propriétaire, mon adorable propriétaire !


LE PROPRIÉTAIRE. - Oui ! monsieur Guignol, c'est moi. Je....


GUIGNOL. - Vous allez bien ?


LE PROPRIÉTAIRE. - Très bien. Je viens pour....


GUIGNOL. - - Et votre femme ? (Chaque fois que le propriétaire veut parler, il l’arrête). Et vos enfants ? Votre petit dernier ! En voilà un qui est mignon par exemple ! Tout votre portrait. Mange- t-il bien ? Dort-il bien ? Et votre chien est-il guéri ? Et votre chat l'avez-vous retrouvé ?...

LE PROPRIÉTAIRE. - Mais me laisserez-vous parler à la fin...


GUIGNOL. - Vous ne me répondez pas...

LE PROPRIÉTAIRE. - J'ai bien autre chose à faire. Il parait que vous ne voulez pas sortir d'ici ? Vous ne voulez pas payer, et vous voulez rester ?

GUIGNOL. - Je me trouve si bien.

LE PROPRIÉTAIRE. - Ça m'est égal.

GUIGNOL. - Je préfère votre maison à toutes les autres. Le schah de Perse m'a fait offrir un de ses palais. — J'ai refusé.


LE PROPRIÉTAIRE. - Vous avez roué de coups mon concierge et mon huissier.

GUIGNOL. - Moi ! oh ! si on peut dire !


LE PROPRIÉTAIRE. - Oui ! — Ils sont arrivés chez moi, criant au secours, disant que vous aviez voulu les tuer.


GUIGNOL. - Il y a des gens qui exagèrent tout.


LE PROPRIÉTAIRE. - Vous ne les avez pas roués de coups ?
 

GUIGNOL. - Non. J'ai tout bonnement pris mon balai comme ceci, puis je me suis approché comme cela, et vlan, vlan, tout doucement, je leur ai secoué un peu leurs vêlements ? (Tout en disant cela, il a pris le balai et frappe sur le propriétaire.)


LE PROPRIÉTAIRE. - Merci, je comprends.


GUIGNOL. - Vous voyez bien. Et maintenant bonsoir, je vais me coucher.

LE PROPRIÉTAIRE. - Vous coucher ? vous allez sortir d'ici, et tout de suite ! Vous ne me payez pas, je vous mets dehors.


GUIGNOL. - Dehors ! Répète un peu ça peur voir, vieille morue !


LE PROPRIÉTAIRE. - Morue !


GUIGNOL. - Espèce de chauffe la couche !


LE PROPRIÉTAIRE. - Chauffe la couche !


GUIGNOL. - Melon, si tu aimes mieux ! Mais voyez-moi donc ce pot à tabac, à qui je fais des politesses depuis une heure, et qui parle de me chasser ! Essaye un peu pour voir !


LE PROPRIÉTAIRE. - Ah ! c'est trop fort ! — Je ne serai pas maître chez moi ?


GUIGNOL. - Chez toi ? on n'est jamais sûr d'être chez soi !


LE PROPRIÉTAIRE. - Je suis propriétaire.


GUIGNOL. - Quand tu serais le Grand Turc ! Allons, ouste ! file ou je cogne.


LE PROPRIÉTAIRE. - Il oserait.

GUIGNOL. - Tu vas voir. (Il cogne.)


LE PROPRIÉTAIRE. - À l'assassin ! A la garde ! Au secours ! A moi !

GUIGNOL, même jeu. - Mais ne crie donc pas comme ça ! On croirait que je te fais du mal ! (Ils se battent.)

 

LE PROPRIÉTAIRE. - À la garde !

(Le propriétaire cherche à prendre le bâton ; — il s'empare d'un bout, Guignol de l'autre.)
 




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