GÉRONTE. - Il suffit ! Rentrez ! (Isabelle rentre chez elle) Quant à vous, Monsieur, il est inutile de prétendre désormais à la main de ma fille. Les renseignements que j‘ai pris sur vous sont loin d‘être bons et vous ne pouvez me convenir comme gendre.
LÉANDRE. - Encore faut-il, Monsieur Géronte, que vous me fassiez connaître ce dont on m‘accuse.
GÉRONTE. - On n‘a point formulé d‘accusation, mais en causant avec vos fournisseurs, Messieurs Polichinelle, Pierrot et Pascalin, j‘ai pu déduire que vous aimes la bouteille, la bataille et aussi la prodigalité !
LÉANDRE. - Ils vous ont dit cela ?
GÉRONTE. - Ils ne me l‘ont pas dit en propres termes, mais leurs propos me l‘ont fait concevoir.
LÉANDRE. - Vous avez mal compris, Monsieur Géronte, tenez, je vais les faire venir ici et les interroger devant vous. (Il sort.)
SCÈNE XV
GÉRONTE, puis LÉANDRE, POLICHINELLE, PIERROT et PASCALIN.
GÉRONTE. - Il aura beau faire, je le défie de me convaincre ! Non, jamais je ne donnerai ma fille à un homme qui possède de tels défauts.
LÉANDRE, entrant avec Polichinelle, Pierrot et Pascalin. - Les voici. Je vais les interroger devant vous. Voyons, mes amis, répondez d‘une façon catégorique. Approchez, Pascalin et dites franchement est-ce que vous pensez. Suis-je un ivrogne ?
PASCALIN. - Je ne vous ai jamais vu boire, Monsieur Léandre !
LÉANDRE. - Et toi Pierrot ! Dis la vérité : Suis-je un dissipateur ?
PIERROT- Pas assez, Monsieur Léandre, car je ne vous fournis que votre pain de chaque et vous n'avez jamais commandé de pâtisserie.
LÉANDRE. - Et vous, Polichinelle, suis-je un batailleur ?
POLICHINELLE. - Ma foi, Monsieur Léandre, il me serait impossible de le dire. Je vous ai toujours vu très doux, très traitable et je serais très étonné si je vous voyais en colère.
LÉANDRE, à Géronte. - Eh bien, Monsieur, qu‘en dites-vous ? Où avez-vous pris vos renseignements ?
GÉRONTE. - Mais ce sont ces gens-là qui me les ont donnés. Je vais les interroger à mon tour.
LÉANDRE. - J‘y consens, car ce sont des gens de bonne foi et qui n‘ont pas deux paroles.
GÉRONTE. - Voyons, Monsieur Pascalin, ne m‘avez-vous pas dit que Léandre faisait chez vous des dépenses folles ?
PASCALIN. - Je vous ai dit que Monsieur Léandre était mon meilleur client, qu‘il ne me devait rien ; s‘il était un dissipateur il ne m‘aurait jamais payé.
LÉANDRE. - Vous voyez bien !
GÉRONTE. - Et toi Pierrot ! Ne m'as-tu pas dit que Léandre s'était battu pour toi ?
PIERROT. - Je vous ai dit qu‘il m‘avait défendu quand on voulait me battre, mais il ne m'a jamais battu !
LÉANDRE. - Vous entendez !
GÉRONTE. - Mais vous, Polichinelle, vous m‘avez bien dit que Léandre buvait avec vous !
POLICHINELLE. - À dire vrai, il m‘a offert un jour un verre de vin, mais il a mis de l‘eau dedans ! Vous ne m‘avez pas compris.
GÉRONTE. - S‘il en est ainsi, je dois avouer que j'ai peut-être exagéré.
LÉANDRE. - Beaucoup trop, Monsieur Géronte, il faut avoir une meilleure opinion de moi.
POLICHINELLE. - Ah, je crois bien ! Allez, Monsieur Géronte, vous pouvez lui donner votre fille. (à part) Je lui ferai de beaux souliers !
PIERROT. - Donnez-lui votre ?lle, Monsieur Géronte. (à part) Quand ils seront en ménage, ils me commanderont des gâteaux.
PASCALIN. - Puisque c‘est pour épouser votre ?lle, Monsieur Géronte, ne lui reprochez pas les beaux habits qu‘il me fait faire. (à part) Et quand il sera marié, ma femme lui fera les robes d‘Isabelle.
GÉRONTE. - En?n, vous me répondez de lui ?
PIERROT, POLICHINELLE, PASCALIN, ensemble. - Nous en répondons ! Donnez-lui votre ?lle !
GÉRONTE. - Eh bien donc, puisqu‘il en est ainsi, je vous accorde la main d‘Isabelle, attendez ! (Il va à sa porte et fait sortir Isabelle.)
SCÈNE XVI
Les mêmes, ISABELLE
GÉRONTE. - Venez Isabelle, je m‘étais trompé sur le compte de Léandre, je me plais à le reconnaître. Léandre, je vous permets de faire la cour à votre ?ancée.
LÉANDRE, allant près d‘Isabelle. - Chère Isabelle !
ISABELLE. - Cher Léandre !
GÉRONTE. - Et vous qui me répondez du bonheur de ces enfants, je vous invite à la noce.
TOUS. - Vive Monsieur Géronte !
(Rideau)
La présente pièce a été écrite pour des marionnettes à tringles :