THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MARCUCHET. - À l'instant même... Il faut courir !


ROSETTE. - Ah !
(Elle s'évanouit dans les bras de Marcuchet.)


MARCUCHET. - Allons bon, celle-ci qui s'évanouit maintenant.... et les autres qui sont à la mairie ! Madame ! Madame ! Revenez à vous, je vous en prie. Si je lui frappais dans les mains ? (Il lui cogne ta tête contre le rebord du théâtre.)


ROSETTE. - Ah ! (Elle se redresse.) Et c'est toi qui me prends mon mari ! (Elle le roue de coups de balai.) Attends ! Tiens ! Tiens !


MARCUCHET. - Mais je n'en veux pas de votre mari ! Reprenez-le. Au secours ! à la garde ! à l'assassin !


ROSETTE. - Et maintenant courons à la mairie.


MARCUCHET, se frottant les épaules. - C'est peut-être par là que nous aurions dû commencer !

ROSETTE, le menaçant de son balai. - File devant ! Et ne te plains pas. Les autres n'auront rien perdu pour attendre.
(Ils sortent.)


ACTE II.

La mairie.

SCÈNE PREMIÈRE.

LE MAIRE.



MAIRE. - Ah ! mais il me semble que la noce Marcuchet se fait bien attendre. Voilà près d'une heure que j'ai mis mon écharpe et ils n'arrivent pas. J'ai envie de m'en aller. (Voyant entrer Guignol et Pierrot.) Qui sont ces gens-là ?


 

SCÈNE II

GUIGNOL, PIERROT, LE MAIRE. 


GUIGNOL, à Pierrot, bas. - Tu vas voir, mon moyen. C'est l'affaire de deux minutes. (Haut.) Monsieur le maire, s'il vous plaît ?


LE MAIRE. - C'est moi.


GUIGNOL, saluant. - Il n'y a pas de sot métier.


PIERROT. - Et d'ailleurs cela se voit tout de suite.


LE MAIRE. - Vous trouvez !


PIERROT. - Vous en avez l'air du moins.


LE MAIRE. - C'est de naissance.


GUIGNOL, à part. - Attends, je vais t'en donner de la naissance. (Haut.) Vous êtes tout seul, à cette heure, dans la mairie ?...


LE MAIRE. - Oui. (À part.) La drôle de question !


PIERROT, bas. - Pourquoi lui demandes-tu tout cela ?


GUIGNOL, idem. - Tu vas voir. (Haut.) Et vous n'attendez personne ?


LE MAIRE. - Si, une noce.


GUIGNOL. - La noce Marcuchet ?


LE MAIRE. - Oui. Mais pourquoi toutes ces questions ?

GUIGNOL, lui montrant une porte à gauche. - Tu vas le savoir, mon fils. Pierrot, ouvre ce cabinet.


PIERROT. - Voilà.


GUIGNOL. - N'a-t-il pas d'autre issue que cette porte ?


PIERROT. - Non.


GUIGNOL. - Bien. Alors, tu vas empoigner délicatement monsieur et tu vas l'enfermer là-dedans, où il nous donnera sa parole de rester tranquille jusqu'à ce qu'on vienne le délivrer.


LE MAIRE. - Mais ils sont fous !...


GUIGNOL. - Pierrot, enlevez monsieur.


LE MAIRE. - Mais !...


GUIGNOL. - À moins qu'il ne veuille y entrer de sa propre volonté convaincu par les arguments... (Il prend son bâton.)
 

LE MAIRE, à part- Si je pouvais m'échapper.


GUIGNOL. - Que voici (il frappe). Arguments « ad hominem » et de première qualité.


LE MAIRE. - Au secours ! à moi !


GUIGNOL. - Redoublons nos arguments ! El aïe donc ! un ! deux ! trois ! Autant que tu en voudras ! Pierrot, emmenez monsieur. Il est convaincu.


LE MAIRE. - Je suis moulu.


GUIGNOL. - C'est la même chose. Rentrez là, tranquillement.


LE MAIRE. - Ah ! sacripants ! (À part.) Et j'ai renvoyé tous les gendarmes.


GUIGNOL. - Allons... vite... j'entends la noce.


LE MAIRE. - Bandits !


PIERROT, le poussant à coups de tête. - Rentre donc !


GUIGNOL. - Tes injures ne nous touchent pas.


PIERROT. - Ça y est ! (Il ferme la porte.) Bouclé... Et maintenant m'expliqueras-tu ?...


GUIGNOL. - Rien de plus simple... Je prends la place du maire... je mets son écharpe... je marie Polichinelle... Il touche la dot, et nous filons tous les trois, sans courir aucun risque. Le mariage sera nul... puisque ce n'est pas le maire qui l'aura célébré. Donc rien à craindre. Papa Marcuchet criera ; mais nous aurons gagné la sacoche et évité la pendaison.


PIERROT, s'inclinant. - Guignol ! Vous êtes grand comme le monde !


GUIGNOL. - Monsieur Pierrot, vous n'êtes qu'un vil flatteur ! On vient... je vais mettre mon écharpe. (Il sort.)


PIERROT. - Pourvu qu'on ne s'aperçoive de rien avant le déjeuner.



SCÈNE III.

PIERROT, POLICHINELLE, MADAME MARCUCHET, LE MAIRE, puis GUIGNOL. 

 


POLICHINELLE, entrant- Eh bien ! sommes-nous prêts ?


LA MARIÉE. - Mais, papa...


POLICHINELLE. - Il nous suit !


MADAME MARCUCHET. - Monsieur Marcuchet est toujours en retard.


PIERROT, annonçant. - Monsieur le maire.


MADAME MARCUCHET. - Tiens-toi droite, ma fille.


LA MARIEE. - Oui, maman !
(Guignol paraît.)


POLICHINELLE, à part à Pierrot. - Mais c'est Guignol ?


PIERROT, bas. - Oui, c'est le moyen dont il nous avait parlé.


POLICHINELLE. - Bravo ! je comprends. (Saluant.) Monsieur le maire...


TOUS, saluant. - Monsieur le maire...


GUIGNOL. - Bonjour ! Bonjour !.. petites gens ! .. Vous venez pour vous marier... Dépêchons-nous, car on m'attend pour présider un concours d’animaux gras... Et j'adore le boudin.


MADAME MARCUCHET, le reconnaissant. - Ah ! mon Dieu !


POLICHINELLE. - Quoi !


GUIGNOL. - Quoi !


MADAME MARCUCHET. - Mais ce n'est pas le maire.


GUIGNOL. - Cette femme est folle.


MADAME MARCUCHET. - C'est monsieur Guignol, votre premier témoin.


GUIGNOL. - Guignol. Qui ça ? Où çà ?


POLICHINELLE. - Vous avez la berlue.


PIERROT. - Tu es toquée, vieille limande !


GUIGNOL, gravement. - Laissez ! Laissez !... Madame est victime d'une ressemblance. Il y a comme cela, de par le monde, des êtres qu'on prendrait facilement les uns pour les autres, si l'habitude ne vous les faisait reconnaître. Ainsi madame pourrait être facilement prise pour une morue.

PIERROT. - Dessalée ?


GUIGNOL. - Dessalée ! comme dit monsieur, mais en la regardant plus attentivement on s'aperçoit qu'elle a quelques rares points de dissemblance.

PIERROT. - S'exprime-t-il bien cet animal-là !


GUIGNOL. - Du reste, un mot va la convaincre... Quelle est la chose qui constitue un maire ?


POLICHINELLE. - Oui !


PIERROT. - Oui !


GUIGNOL. ! C'est l'écharpe ! Ai-je l'écharpe ?


PIERROT. - A-t-il l'écharpe ?


POLICHINELLE. - Il a l'écharpe.


GUIGNOL. - Donc je suis le maire, le seul, le vrai, garanti contre toutes les contrefaçons. Donc, dépêchons !


MADAME MARCUCHET, à Polichinelle. - Etes-vous convaincu ?


POLICHINELLE. - Puisqu'il a l'écharpe !


MADAME MARCUCHET. - C'est égal !...


GUIGNOL. - Y sommes-nous ?


MADAME MARCUCHET. - Mais mon mari n'est pas encore là.


GUIGNOL. - Votre mari n'est ici d'aucune nécessité.


MADAME MARCUCHET. - Cependant...


GUIGNOL. - Ah ! dites donc, quand vous aurez fini de discuter avec l'autorité, il faudra me le dire !


PIERROT, criant à l'oreille de madame Marcuchet. - Silence !


GUIGNOL. - Je commence. (À part.) Par où vais-je bien commencer ? Ah ! j'y suis. Ne nous trompons point : la loi... (Haut.) je vais vous lire la loi.


PIERROT, bas. - Dépêche-toi donc !


GUIGNOL, idem- Sauvons les apparences ! (Haut.) Article 1. Quand votre belle-mère vous ennuiera, cognez dessus. — Article 2.


MADAME MARCUCHET. - Quelle est cette loi ?


GUIGNOL, avec aplomb. - La nouvelle ! (Continuant.) Article 2. il n'y en a pas... — Article 3... Comme l'article 2. — Maintenant approchez-vous. — Une — deux — trois — Epoux — Epousum, Secula. seculorum. Tout le reste en um. C'est fini... allez-vous en.... — Bonsoir. — Ouf !


MADAME MARCUCHET. - Et mon mari qui n'arrive pas !


POLICHINELLE. - Allons à sa rencontre... (On entend la voix de monsieur Marcuchet crier :) Arrêtez-les ! Arrêtez-les !


GUIGNOL. - Le papa !


POLICHINELLE, regardant. - Et Rosette !


PIERROT. - Nous sommes flambés ! — Sauve qui peut !


MADAME MARCUCHET, les regardant. Mais où allez-vous donc ?


GUIGNOL. - À l'isthme de Panama... — Voiries travaux ! Venez-vous ?





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