THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LES NOCES DE POLICHINELLE

d'après

Fernand Beissier

1894

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148


PERSONNAGES :

POLICHINELLE. — PIERROT. — GUIGNOL. — M. MARCUCHET.
MADAME MARCUCHET. — LA MARIÉE. — ROSETTE.
LE MAIRE.

Un salon chez Monsieur Marcuchet.



SCÈNE PREMIÈRE.
 


MONSIEUR MARCUCHET, entrant. Il est en habit noir. Il va à la pendule. - Déjà dix heures... je commence à être inquiet... Mon gendre devrait être ici. — Quand je dis mon gendre, c'est mon futur gendre que je devrais dire. Car aujourd'hui même, ce matin, je marie ma fille, ma fille unique à monsieur Polichinelle, un excellent parti, un homme sérieux, d'âge mûr, bien fait de sa personne malgré ses deux bosses. Il devait arriver à neuf heures avec ses deux témoins, deux personnages de haute condition, m'a-t-il dit. Il est dix heures et il n'est pas encore arrivé ! Tout le monde est prêt. Ma fille a mis sa robe blanche, son bouquet de fleur d'oranger. Moi, j'ai passé mon habit noir. Le maire a ceint son écharpe. Nous n'attendons plus que le futur et ses deux témoins. (On sonne.) Ah ! enfin, les voilà !



SCÈNE II.

MARCUCHET, PIERROT, GUIGNOL,
POLICHINELLE.

 


MARCUCHET. - Et arrivez donc, mon gendre, j'étais d'une impatience...

POLICHINELLE. - Mes deux témoins n'étaient pas prêts.


MARCUCHET. - Ah ! ces messieurs sont...


POLICHINELLE. - Les amis dont je vous avais parlé...


MARCUCHET, bas. - De hauts personnages ?...


POLICHINELLE, idem. - De très hauts personnages. (Haut, les présentant.) Monsieur Pierrot et Monsieur Guignol.


MARCUCHET, saluant. - Messieurs, je suis vraiment pénétré de l'honneur de...

GUIGNOL, lui donnant un renfoncement. - C'est bon, c'est bon, fais pas tant ta poire, vieux pot à moutarde ! nous savons ce que parler veut dire.


MARCUCHET. - Pot à moutarde !


PIERROT. - Vieux chaudron fêlé ! si vous aimez mieux.


MARCUCHET. - Mais...


POLICHINELLE. - Faites pas attention, beau-père. Ils ont le cœur sur la main. (Bas.) Tenez-vous bien, que diable !


PIERROT. - N'aie pas peur ! (à Marcuchet.) À quelle heure tortille-t-on ?


MARCUCHET. - Hein ?


GUIGNOL. - On te demande à quelle heure on mange. Tu ne comprends donc pas le français ?


MARCUCHET, étonné. - Mais après la cérémonie. (à part.) Pour de hauts personnages, je les trouve un peu familiers.


GUIGNOL. - Eh bien ! Dépêchons-nous.


PIERROT. - Bâclons vite la petite fête. J'ai une faim de tous les diables !


GUIGNOL. - Et moi. (À Marcuchet.) Va chercher ton rejeton.


PIERROT. - Ton singe.


MARCUCHET. - Mais...


GUIGNOL, lui donne un renfoncement. - Ta fille, donc ! Est-il bête.


MARCUCHET, à Polichinelle. - Dites donc, je trouve les façons d'agir de vos amis un peu... brusques.


POLICHINELLE, bas. - Ils ont tant voyagé ! Maïs vous vous y ferez à la longue.


MARCUCHET, se frottant la tête. - Je les trouve néanmoins un peu trop directes. (À Pierrot et à Guignol.) Messieurs, je vais chercher la mariée et madame Marcuchet.


GUIGNOL, même jeu que plus haut. - Eh ! va donc, vieux blagueur !
(Monsieur Marcuchet tombe sur Pierrot qui le repousse sur Guignol.)


PIERROT. - Marchand de coco !

GUIGNOL, le poussant dehors. - Vieux raseur !


 

SCÈNE III.

POLICHINELLE, GUIGNOL, PIERROT.


GUIGNOL. - Je croyais qu'il ne s'en irait plus !...


POLICHINELLE. - Et maintenant rappelons-nous bien nos rôles. Il s'agit de s'emparer de la dot que le papa Marcuchet donne à sa fille, puis de filer au plus vite.


PIERROT. - Sitôt le mariage fait.


POLICHINELLE. - Ah ! non... Voilà justement le difficile. Je ne peux pas me marier, puisque je le suis déjà.


GUIGNOL. - C'est juste. Rosette ?


POLICHINELLE. - Qui ne se doute de rien... Car si elle soupçonnait la vérité, oh ! mes enfants, quel carnage !


PIERROT. - Mais qui t'empêche alors de te marier une seconde fois ?


POLICHINELLE. - Malheureux ! je serais bigame !


PIERROT. - Bigame !


GUIGNOL. - Et les bigames... Couic ! (Il fait le geste d'être pendu.)


POLICHINELLE. - On les pend sans plus de façon.


GUIGNOL. - Eux et leurs témoins.


PIERROT. - Allons-nous en !


POLICHINELLE. - Est-il poltron ! Puisque je ne me marierai pas.


GUIGNOL. - Oui. — Il s'agit de trouver le moyen de te marier sans te marier.


PIERROT. - Est-il savant, ce Guignol !


GUIGNOL. - Es-tu naïf !... J'ai été cinq ans garçon de salle dans une école primaire. Matin et soir je balayais la classe. C'est là où j'ai fait toute mon éducation.


POLICHINELLE. - Du bruit ! Voilà la famille Marcuchet. — Attention ! reprenons nos rôles.


GUIGNOL. - Et de la tenue, Pierrot ! (Il lui donne un renfoncement.)



SCÈNE IV.

MARCUCHET. MADAME MARCUCHET,
LA MARIÉE, PIERROT, GUIGNOL,
POLICHINELLE.

 


MARCUCHET. - Messieurs, voici ma femme et ma fille. (Leur présentant les témoins.) Et voici ces messieurs qui ont bien voulu nous servir de témoins. Monsieur Guignol et monsieur Pierrot.


GUIGNOL, à Marcuchet. - Dites donc, vous, le vieux, pourquoi votre femme s'est-elle mise un melon sur la tête ?


MARCUCHET. - Un melon, où ça ?


GUIGNOL. - Mais là, vieille citrouille !


MARCUCHET. - Mais c'est son chapeau.


PIERROT. - Oh! Là ! Là ! (Il lui donne un renfoncement.)


GUIGNOL, frappant sur la tête de madame Marcuchet. - Mettez-le donc droit, au moins si c'est un chapeau.


MADAME MARCUCHET, appelant. - Monsieur Marcuchet !


MARCUCHET. - Ne fais pas attention, bobonne, il paraît que c'est une manière, à eux, de faire des compliments. — (À Polichinelle.) Mon gendre, le bras à ma femme. Moi je prendrai le bras de ma fille.


POLICHINELLE, s'avançant. - Belle-maman !
(Ils sortent.)


MARCUCHET, s'approchant de la mariée. - Ma fille...


GUIGNOL. - Attends donc, un instant, Ferdinand ! (Il lui donne un renfoncement.)


PIERROT, même jeu. - Va mettre le couvert, Dagobert !


GUIGNOL. - Une, deux !


PIERROT. - Et trois ! (Ils enlèvent la mariée.) Enlevez !
(Ils sortent.)


MARCUCHET, va pour les suivre. - Ah ! mon Dieu ! mais ils emportent la mariée sur leurs épaules.. Mais ils sont fous ! et...
(Au moment où il va pour sortir, Rosette entre.)


SCÈNE V.

MARCUCHET, ROSETTE, avec un balai à la main.


ROSETTE. - C'est-il ici monsieur Marcuchet ?


MARCUCHET. - C'est moi, mais je n'y suis pas !


ROSETTE, le retenant. - Qu'est-ce qu'il dit ?


MARCUCHET. - Je dis que je n'ai pas le temps de vous écouter, je cours...


ROSETTE. - Veux-tu bien rester là, vieux déplumé !


MARCUCHET. - Mais...


ROSETTE. - Ah ! tu sais, ne bouge pas ou je cogne !

MARCUCHET. - Qu'est-ce que c'est que ca ?


ROSETTE. - Ça ! c'est moi, Rosette, qui viens chercher mon mari. On m'a dit l'avoir vu entrer ici, chez vous, il me le faut. Rendez-le moi, ou je fais un malheur.


MARCUCHET. - Mais je ne l'ai pas, votre mari.


ROSETTE. - Tu ne l'as pas ?


MARCUCHET. - Et non ! Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse ?

ROSETTE. - Tu n'as pas vu mon Polichinelle ?


MARCUCHET. - Polichinelle ? Ah ! mon Dieu !


ROSETTE. - Quoi ?
 

MARCUCHET. - Mais c'est lui qui se marie avec ma fille.


ROSETTE. - Il se marie !




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