LE TESTAMENT
PIÈCE EN UN ACTE par Louis MOURGUET
PERSONNAGES :
MADAME BOBINARD, veuve.
GUIGNOL, son domestique.
MONSIEUR RAYMOND, rentier.
UN NOTAIRE.
Un Salon.
SCÈNE I.
MADAME BOBINARD, seule.
MADAME BOBINARD. - C'est vraiment avoir du malheur ! Je viens de chez Le notaire... mon mari ne m'a absolument rien laissé. C'est une ingratitude sans pareille !... Après avoir passé ma jeunesse à le servir !.. après lui avoir donné tous les soins qu'exigeait sa longue maladie !... Il me faut cependant en prendre mon parti... Il faut quitter cette maison, presque ce luxe auquel je m'étais si facilement habituée... Ce n'est pas, en vérité, pour moi que je me plains, car je n'ai jamais eu grand goût à tout cela et j'ai de quoi vivre... Mais ma nièce, cette pauvre petite Caroline... j'espérais la doter et la marier avec le fils de ce Raymond, cet avare, notre voisin... Ce serait un charmant mariage pour elle, et je suis sûre que les jeunes gens se plaisent... Mais Raymond n'y consentira jamais si Caroline n'a rien... Ah ! je suis désolée !...
SCÈNE II.
MADAME BOBINARD, GUIGNOL.
GUIGNOL. - N, i, ni, c'est fini... Faut donc partir ? Madame, je viens vous faire mes adieux.
MADAME BOBINARD. - Tu pars déjà, mon pauvre Guignol.
GUIGNOL. - Faut bien que je parte puisque vous ne voulez plus me garder. Je vais faire ma malle... Dites-moi, Madame, où est mon linge qui a été à la dernière lessive ?
MADAME BOBINARD, à part. - Quelle ingratitude ! J'ai le cœur déchiré.
GUIGNOL. - Qu'avez-vous donc, Madame ? Vous me paraissez joliment triste !
MADAME BOBINARD. - Ce que j'ai, c'est que, malgré mon dévouement, mon mari ne m'a absolument rien laissé... Si j'avais été riche, je t'aurais bien gardé... J'ai regret de renvoyer un serviteur tel que toi.
GUIGNOL. Oh ! oui, c’est un ingrat, votre mari... Vous qui avez eu si soin de lui !... Tout le monde, dans le quartier, croit qu'il vous a laissé son bien... Quel homme pénible !... M'en a-t-il fait endurer, dans le temps, quand il fallait l'accompagner le long des Étroits et lui prendre des aragnes pour chiper des goujons... moi qui les crains comme la peste !... Et, depuis qu'il était malade, il était toujours à me dire : Guignol, goûte-moi donc ce bouillon... Guignol, goûte-moi donc cette tisane... Guignol, goûte-moi donc ces pilules... Une fois il m'en a fait prendre une qui m'a fait courir pendant quinze jours... Et puis, la nuit, il avait toujours peur que je m'endorme... il avait mis une épingle au bout de sa canne, le vieux gredin !.... et si je fermais l’œil, crac, il me lardait !... L'autre nuit, il m'a réveillé en sursaut : j'ai sauté à bas de mon lit, le pot de machin n'était pas à sa place, et j'ai pris un bain de pieds... salé. Ça n'était pas cannant.
MADAME BOBINARD. - Mais quel est le motif qui a pu lui faire oublier tous les soins que je lui ai prodigués ?
GUIGNOL. - Je le sais bien un petit peu.
MADAME BOBINARD. - Comment ? tu le sais ! Dis-le-moi vite.
GUIGNOL. - Oui, quand il avait sa fièvre tigrinaque... vous savez bien, quand il battait ta générale... il disait... il disait que fa femme ne l'aimait pas... quelle l'avait épousé comme un en cas...
MADAME BOBINARD. - Il disait cela !... On m'avait calomniée auprès de lui... Il voulait sans doute faire allusion à Monsieur Raymond. C'est une histoire qu'il faut que tu saches : toute jeune, je fus demandée en mariage par Monsieur Raymond, notre voisin... J'avais peu de fortune, mais je devais hériter d'un de mes oncles qui m'avait élevée. Ma main avait été accordée à Raymond, lorsque mon oncle mourut subitement, et un testament déjà ancien désignait pour héritier l'un de ses neveux. J'étais déshéritée, comme aujourd'hui. Monsieur Raymond, qui n'en voulait qu'à ma fortune, refusa alors de m'épouser, en prétextant la volonté de sa famille. Quelque temps après, Monsieur Bobinard me vit ; je lui plus et il m'épousa. Tu sais le reste. Il ne m'a pas mieux traitée que mon oncle, et cependant il m'avait toujours promis de ne pas m'oublier.
GUIGNOL. - Les promesses, ça ne coûte rien... Ne me parlez pas des héritages. C’est comme ma tante... ma tante Dodon... Vous l'avez bien connue ?
MADAME BOBINARD. - Moi ? pas du tout.
GUIGNOL. - Vous avez pas connu ma tante ?... Elle demeurait à la Grand Côte, à côté de Bibatte... Vous avez ben connu Bibatte ?
MADAME BOBINARD. - Bibatte ! Je ne me souviens pas.
GUIGNOL. - Bibatte qui faisait tous les déménagements de la Grand Côte... Il demeurait vers la Cour du soleil, mais il faisait aussi les déménagements à la lune... Il avait trois ânes qui valaient mille euros à eux trois... Il leur donnait pas grand chose à manger, mais il les entreposait dans la Cour du soleil et ils buvaient à discrétion... à la pompe.
MADAME BOBINARD. - Qu'est-ce que tu me racontes là ?
GUIGNOL. - C’est pour en revenir à ma tante... Elle m'avait promis aussi son héritage. Elle me disait toujours : « Mon petit Guignol, tout ce que j'ai, c'est pour toi... » Un beau jour, je reçois une lettre d'elle, qu'elle était morte à la Grive, près de Bourgoin, où elle demeurait. Vous connaissez bien la Grive ?... Je prends la carriole pour y aller... Dans ce temps-là il n'y avait pas de chemin de fer pour Bourgoin... On couchait en route... on couchait à la Verpillière... même qu'il m'est arrivé là des aventures bien drôles... Le conducteur disait toujours : « Allons, messieurs, en voiture, la carriole va partir ... » Puis elle ne partait jamais, sa carriole... Je vous raconterai ça une autrefois... J'arrive donc à la Grive. Toutes les voisines de ma tante étaient autour de moi. Une me dit : « Cette brave madame Dodon, elle m'avait promis sa garde-robe pour l'avoir veillée pendant qu'elle était malade ». Je lâche la garde-robe. Une autre dit : « Elle m'avait promis sa lessiveuse pour lui avoir blanchi son linge ». Je lâche la lessiveuse... Enfin y avait six euros d'argent. Quand on a eu payé le notaire, le boulanger et le reste, il m'est resté quatre bouteilles de vin que ça faisait faire la grimace de le boire, trois paires de bas qui me montent jusque par-dessus le genou, et six chemises qui ont des petites manches comme ça (il en montre la longueur) et qui ne me vont pas du tout... V'là ce que c'est que les héritages.
MADAME BOBINARD. - Babillard !
GUIGNOL. - Vous avez bien raison, Madame, mais c’est pour vous désennuyer... J'étais venu vous demander où est mon linge de la dernière lessive ; vous me l'avez pas dit.
MADAME BOBINARD. - Tu le trouveras à la salle à manger. Allons, puisque tu pars, voilà vingt euros d'étrennes en récompense de tes bons services.
GUIGNOL. - Merci bien, Madame. Allez, ça me fâche bien de vous quitter... Si vous vouliez me garder rien que pour ma nourriture, je resterais... Je ne mange pas beaucoup.
MADAME BOBINARD. - Tu ne manges pas beaucoup, mais tu bois bien. Non, cela m'est tout à fait impossible.
GUIGNOL. - Eh bien, Madame, venez, je vous prie, voir ma malle.
MADAME BOBINARD. - À quoi bon ? Tu ne veux rien emporter.
GUIGNOL. - Ah ! vous savez, quand on part on a tant à faire !... la malle est quelquefois trop grande... il y a des distractions si naturelles...
MADAME BOBINARD. - Ce serait bien étonnant.
GUIGNOL. - Pas tant que vous croyez. On a les yeux à gauche, n'est-ce pas, et la main à droite. La gauche voit pas ce que la droite fait.
MADAME BOBINARD. - Quand on est honnête, ces choses-là n'arrivent guère.
GUIGNOL. - Oh que si ! Quand j'étais tout petit gone, j'allais au prunier de ma tante, et pendant que je me tenais à l'arbre de la main droite, j'avalais les prunes de la gauche.
MADAME BOBINARD. - Cela ne m'empêche pas d'avoir confiance en toi. Tu peux emporter ta malle sans que je la voie.
GUIGNOL. - Allons, je reviendrai tout de même vous faire mes adieux. (Il s'éloigne et revient pour dire :) Mais, Madame, ce n’est pas possible que vous ayez pas connu ma tante !
MADAME BOBINARD. - Non, je ne l'ai pas connue... Babillard, laisse-moi donc.
GUIGNOL, en s'en allant. - Ça m'étonne bien, ma tante Dodon...
SCÈNE III.
MADAME BOBINARD
MADAME BOBINARD, seule. - Pauvre garçon ! il m'était fidèle et dévoué. (On sonne.) Qui est-ce qui sonne ? Qui donc peut encore songer à moi dans mon délaissement ?
SCÈNE IV.
MADAME BOBINARD, RAYMOND.
RAYMOND. - Bonjour, charmante voisine ! Comment allez-vous ?
MADAME BOBINARD. - Vous ici, Monsieur Raymond ? Qu'est-ce qui peut me valoir votre visite ?
RAYMOND. - J'ai appris la mort de votre mari en revenant de la campagne, et je venais partager vos soucis.
MADAME BOBINARD. - Oui, Monsieur, je l'ai perdu... C’est une bien grande douleur pour moi.
RAYMOND. - Oh ! il était vieux, cacochyme... d'un caractère insupportable... Vous deviez vous attendre à le perdre d'un instant à l'autre.
MADAME BOBINARD. - Monsieur, vous ne m'avez pas encore expliqué votre présence ici. Vous n'y veniez pas du vivant de mon mari.
RAYMOND. - Pour dissiper vos chagrins, je venais m'entretenir avec vous d'anciens souvenirs. Vous n'avez pas oublié sans doute que vous avez été autrefois ma fiancée.
MADAME BOBINARD. - (À part.) Le perfide ! il a encore l'audace de me le rappeler ! (Haut.) Vous avez bonne mémoire, Monsieur ; moi, j'ai cherché à oublier comment vous m'avez délaissée après les promesses que vous aviez faites.
RAYMOND. - Ne m'accusez pas... C’est ma bonne tante qui a contraint ma volonté ; elle exigeait que l’épouse de mon choix eût une fortune équivalente à la mienne ; elle m'aurait déshérité si je vous avais épousée... Mais je puis tout réparer... Je suis veuf maintenant, je suis libre... Dans dix mois vous le serez aussi... accordez-moi votre main.
MADAME BOBINARD. - Vous devriez, Monsieur, sentir l'inconvenance de votre conduite... Tant que vous m'avez crue héritière de mon oncle, vous avez promis de m’épouser ; mais lorsque vous avez su que mon oncle m'avait oubliée dans son testament, vous m'avez délaissée. Vos parents n'y étaient pour rien... et ce n’est qu'après votre trahison que j'ai épousé Monsieur Bobinard... Aujourd'hui je suis riche à mon tour ; j'hérite de toute la fortune de mon mari... (Mouvement de Raymond) et je puis me passer de la vôtre.
RAYMOND. - Oh ! j'en suis convaincu... Avec tous les mérites que vous possédez, vous ne manquerez pas de prétendants... Mais, moi, j'ai des droits anciens ; accordez-moi votre main, je vous en supplie.
MADAME BOBINARD. - Vous êtes bien entreprenant... Je suis veuve depuis si peu de temps, et je suis fort embarrassée d'affaires de toute espèce... J'ai besoin d'y réfléchir... Et si vous changiez encore d'avis !...
RAYMOND, à part. - Tâchons de la lier par un coup de maître. (Haut.) Je veux vous montrer toute ma franchise et mon empressement. Je vais promettre par écrit de vous épouser ; nous signerons tous deux un acte suivant lequel celui qui se dédira dans dix mois paiera cinquante-mille euros à l'autre. D'ici à cette époque vous aurez tout le temps de réfléchir.
MADAME BOBINARD, à part. - Le fourbe !... mais il sera pris lui-même dans ses pièges. (Haut.) J'accepte, à condition que vous me garderez le secret jusqu'à ce moment.
RAYMOND. - Merci, ma belle... Je ferai tout ce que vous voudrez. Je ne connaîtrais pas le testament de votre mari ; ce que vous venez de m'apprendre me comble de joie. Vous méritiez bien cette libéralité... Moi aussi j'ai une belle fortune... Avant, je désirerais cependant lire ce testament.