THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE ROI POLICHINELLE


Pièce en un acte.

http://urlz.fr/6m8B

Lemercier de Neuville - domaine public

PERSONNAGES :
POLICHINELLE, roi ;
PIERROT, son secrétaire ;
PATAPOUM, ministre ;
DUTRÉSOR, ministre ;
FINANCIER, ministre ;
JOBARDOS, homme du peuple.
Un Palais.

SCÈNE PREMIÈRE


POLICHINELLE, PIERROT.
 

PIERROT. - Salut à Sa Majesté le Roi Polichinelle !

POLICHINELLE. - C‘est ce que j‘entends dire tous les jours et, je te l‘avouerai ingénument, cela me fait plaisir ! Mais je te dispense de cette formalité, je te permets même de me tutoyer dans l‘intimité. Je n‘oublie pas que nous sommes de vieux camarades et que, si la fortune m‘a été favorable, je ne suis pas jaloux des sourires qu‘elle a pour toi.

PIERROT. - Ah ! je n‘aurais jamais cru que tu pusses t‘élever si haut !

POLICHINELLE. - Ni moi non plus ! Mais, que veux-tu ! c‘est par l‘apparence qu‘on domine les hommes. Le pays était dans la plus profonde anarchie, on sentait que tout croulait. On se mé?ait des politiciens, des savants, des inventeurs et surtout des honnêtes gens, alors je me suis montré avec mon bel habit doré, mes deux bosses et mon chapeau empanaché et l‘on s‘est dit qu‘un homme si bien vêtu, avec deux bosses, ce qui n‘est pas l‘apanage de tout le monde, devait être supérieur à tous les autres, et l‘on m‘a nommé Roi pour sauver la situation. Quant à mes qualités et à mes défauts, on les ignore. Si l‘on avait su le nombre de commissaires que j‘ai bernés, de gendarmes que j‘ai bâtonnés et de gens de toutes sortes à qui j‘ai fait des farces, ou eut peut-être hésité ; et encore ! Tu ne saurais croire, Pierrot, comme un homme qui se moque de l‘autorité est considéré !

PIERROT. - Vraiment,. je t‘admire ! Tu parles tout à fait comme un chef d’État.

POLICHINELLE. - Et je parle le moins possible.

PIERROT. - C‘est le seul moyen dans pas dire de bêtises !

POLICHINELLE. - Monsieur Pierrot ! Je vous rappelle un respect ! C‘est le souverain qui parle maintenant. Dis-moi, quelle heure est-il ?

PIERROT. - Bientôt onze heures, Sire !

POLICHINELLE. - Onze heures. Si Je ne me trompe, c‘est l‘heure de mon quatrième déjeuner.

PIERROT. - Cela est vrai, Sire !


POLICHINELLE. - Eh bien, comment se fait-il que je ne sois pas déjà
à table ?


PIERROT. - En effet, comment se fait-il...

POLICHINELLE, l'interrompant. - Je vais vous le dire, moi ! C'est que vous ne m‘avez pas dit que mon repas était servi.

PIERROT. - J‘allais vous le dire.

POLICHINELLE. - De quoi se compose ce repas ?

PIERROT. - Oh ! il est excellent ! Il y a d‘abord...

POLICHINELLE, l'interrompant. - Ne me donne pas de détails. Je l‘ai commandé, il doit y avoir de tout, car j'ai l'intention se manger de tout. Je me flatte d‘être une jolie fourchette !

PIERROT. - Une fourchette royale !

POLICHINELLE. - Je vais donc aller me mettre à table. Tu feras en sorte qu‘on ne me dérange pas ! Un repas interrompu est toujours funeste.

PIERROT. - Mais si Leurs Excellences les Ministres venaient pour vous parler des affaires de l’État ?

POLICHINELLE. - Tu les prierais d‘attendre que j‘aie fini. Je les connais, ils viennent à l‘heure du déjeuner pour se faire inviter, mais je n‘aime pas à avoir la main forcée.

PIERROT. - Il sera fait comme Votre Majesté le désire.

POLICHINELLE. - Ma Majesté t‘en remercie. (Il sort.)

 

SCÈNE II


PIERROT.

 

     Quelle veine il a, ce Polichinelle ! S‘il n‘a pas mérité vingt fois d‘être pendu, je veux l‘être moi-même ! Et maintenant c‘est lui qui pend les autres ! N‘en disons pas de mal, il a été gentil avec moi. Cet emploi de secrétaire particulier me convient tout à fait : je fais payer mon influence et cela me rapporte assez ; si cela dure un peu, j‘aurai bientôt fait ma fortune, alors je me retirerai dans mes terres, car je veux avoir des terres et un titre, bien entendu ! Oh ! un petit titre ! Celui de baron, par exemple. Monsieur le baron de Pierrot. C‘est assez coquet. À la première indigestion de Polichinelle, pendant que je le mettrai au lit, je lui demanderai cela ; quand il est malade, il ne sait rien me refuser.

 

SCÈNE III

PIERROT, DUTRÉSOR, PATAPOUM, FINACIER

 

LES MINISTRES, dans le couloir. - Après vous ! - Non, je vous en prie. - Je n‘en ferai rien. - Ce n‘est pas à moi de passer le premier. - Ni à moi ! - Ni à moi ! (Ils entrent tous les trois ensemble.)

PIERROT. - Voici Messieurs les Ministres !

PATAPOUM. - Sa Majesté peut-elle nous recevoir ?

FINACIER. - Nous désirons l‘entretenir des affaires de l’État.

DUTRÉSOR. - Sa Majesté, du reste, nous attend.

PIERROT. - En ce moment, Sa Majesté est à table et vous savez qu‘elle n‘aime pas à ce qu‘on la dérange.

PATAPOUM. - À table ! Déjà ! Nous, nous sommes à jeun.

PIERROT. - Vous avez eu tort de ne pas déjeuner avant de venir.

DUTRÉSOR. - Va-t-il nous faire attendre longtemps ?

PIERROT. - Je ne sais pas, mais je vais voir où il en est.

FINACIER. - Dis-lui que nous sommes là. Ça le fera hâter.

PIERROT. - Je m‘en garderai bien ! Il se mettrait en colère et ça lui couperait l‘appétit. Rien ne vous empêche de traiter les affaires de l’État en l‘attendant ; la séance sera faite d‘avance, puisqu‘il vous approuve toujours ! (Il sort.)

 

SCÈNE IV


DUTRÉSOR, PATAPOUM, FINACIER


PATAPOUM. - Au fait, Pierrot a raison. Voyons, Messieurs, quelles sont les questions que nous avons à traiter. Parlons tout d‘abord des finances. Mon cher Dutrésor, vous avez la parole.

DUTRÉSOR. - Hélas ! c‘est tout ce que j‘ai maintenant, car mes caisses sont vides.

PATAPOUM. - Que voulez-vous dire ?

DUTRÉSOR. - Que je n‘ai plus le sou et que si en petit emprunt ne vient pas à mon secours, je ne vous paierai pas vos appointements.

FINACIER. - Voilà qui serait trop fort !

PATAPOUM. - Vous vous moquez de nous, mon cher Dutrésor.


DUTRÉSOR. - Aucunement. Les impôts n‘ont pas été payés, alors vous comprenez... Mais vous-même, mon cher Patapoum, vous qui vous occupez de l‘intérieur, où en êtes-vous ?

PATAPOUM. - Je ne vous cacherai pas que la situation est très grave. Les ouvriers ne sont pas assez payés et se mettent en grève. Les denrées sont hors de prix. on se plaint partout et chaque jour on me dénonce deux ou trois conspirations, et vous, Finacier, êtes-vous sûr de l‘armée ?

FINACIER. - L‘armée ! l’armée ! J‘en suis sûr contre l‘ennemi, mais…

PATAPOUM. - Expliquez-vous...

FINACIER. - La question est de savoir si elle considérera des insurgés comme des ennemis.

PATAPOUM. - Que dites-vous là ! Savez-vous que c'est très grave ! Que le peuple n‘ait pas le sou et se révolte, cela va encore, mais si l’armée est avec lui, nous sommes...

FINACIER. - J'allais le dire !

PATAPOUM. - Alors que faire ?

DUTRÉSOR. - Que faire ?

FINACIER. - Que faire ?

PATAPOUM. - D‘abord, il faut exposer la situation au Roi.

DUTRÉSOR. - Mais ça ne nous avancera à rien, il nous dira d‘y remédier.

FINACIER. - Et comme nous ne pourrons pas, il nous remerciera.

PATAPOUM. - Il y a peut-être autre chose, mais c'est bien scabreux.

DUTRÉSOR. - J‘y avais pensé.

PATAPOUM. - À quoi ?

DUTRÉSOR. - À ce que vous allez nous proposer.

FINACIER. - Et moi aussi !

PATAPOUM. - Vraiment ! Alors nous sommes d‘accord et nous pouvons faire le coup d'état.

FINACIER et DUTRÉSOR. - Un triumvirat !

PATAPOUM. - C‘est bien cela ! C‘est le seul moyen de conserver nos portefeuilles ! Seulement il y a des difficultés : Vous, Dutrésor, vous n‘avez plus d‘argent et vous Finacier, vous n‘êtes pas sûr de l‘armée...

DUTRÉSOR. - L'argent ! l‘argent, ou en trouve toujours...

FINACIER. - L'armée ! Je la ferai travailler en me mettant à sa tête... J‘espère qu’elle me suivra.

PATAPOUM. - Alors c‘est convenu !

DUTRÉSOR. - Convenu !

FINACIER. - Convenu !

PATAPOUM. - En quittant le palais, nous nous rassemblerons à mon ministère et là nous tracerons les grandes lignes de notre projet.

DUTRÉSOR. - C‘est entendu !

PATAPOUM. - Messieurs, oublions tout pour le moment. Voici le Roi.

 

SCÈNE V

 

Les mêmes, POLICHINELLE

 

POLICHINELLE. - Ah ! ah ! Messieurs, je vois que les affaires de l’État vous retiennent plus que votre déjeuner. Moi, c’est tout le contraire, je ne travaille bien que lorsque j’ai bien mangé. Maintenant je suis tout à vous ! Je pense que la situation est prospère ! En vous confiant la direction des affaires, je savais votre compétence et j'étais sûr que vous ne les laisseriez pas péricliter.

PATAPOUM, à Dutrésor, à part. - Faut-il lui dire la vérité ?

DUTRÉSOR. - Impossible en ce moment !

FINACIER, à part. - Il nous reprendrait nos portefeuilles.

POLICHINELLE. - Eh bien, Messieurs, vous ne répondez pas ?

PATAPOUM. - Sire, les affaires sont des plus prospères.

POLICHINELLE. - J‘en étais sûr !

PATAPOUM. - Le peuple est très heureux ! Les ouvriers ont du travail et tout le monde est content.

POLICHINELLE. - Voilà qui ne m‘étonne pas !

DUTRÉSOR. - Nous avons augmenté les impôts pour nous créer des ressources, mais personne n‘a réclamé et le Trésor regorge d‘argent.

POLICHINELLE. - Cela vient à propos, car j‘en ai justement besoin.

FINACIER. - Quant à l'armée, elle est toute à vous ! D‘abord, parce qu‘elle est fière de vous avoir à sa tête, ensuite parce que j'ai modifié son habillement.

POLICHINELLE. - Ah ! je suis curieux de savoir...

FINACIER. - J‘ai voulu, autant que possible, que l‘armée ressemblât à son chef, aussi j’ai décidé que désormais, la cavalerie porterait une bosse par devant et l‘infanterie par derrière. Les États-majors seuls porteront la bosse des deux côtés.

POLICHINELLE. - Excellente idée ! Mais ne craignez-vous pas que le peuple ne confonde ces grands chefs avec moi ?

FINACIER. - Nullement ! ils n’ont droit sur leur chapeau qu‘à des plumes de coq, vous seul portez des plumes d‘autruche !

POLICHINELLE. - Voici qui est merveilleusement imaginé ! Ainsi, Messieurs, jamais l’État n‘a été plus prospère, n‘est-il pas vrai ?

PATAPOUM. - C‘est la vérité ! Sire !

POLICHINELLE. - Et c’est à vous que je dois cette prospérité ! Laissez-moi vous en remercier.

PATAPOUM. - Sire, nous ne sommes que les instruments de votre Majesté. C‘est nous qui faisons valoir vos idées, toute la gloire de votre règne ne revient qu‘à vous.

POLICHINELLE. - Voyons, voyons messieurs, pas tant de ?agornenie ! Vous savez bien que c‘est vous qui dirigez l’État et que tout mon travail consiste à contresigner vos décrets. C‘est moi qui endosse vos bonnes actions comme vos fautes. J‘ai toute responsabilité. Vis-à-vis de moi, ne criez donc pas vive le Roi ! mais criez vive l’État !

PATAPOUM. - Les deux sont inséparables, Sire !

POLICHINELLE. - Eh bien, soit ! puisque vous le voulez ! Mais vous devez mourir de faim, allez donc déjeuner, je ne vous retiens pas. (Les ministres se retirent.)

 


 




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