THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME

La scène représente un salon chez Dusaumon. 

 

DUMOULIN. - En Voilà, un accueil ! Depuis quinze jours que je suis ici, je n'ai pas encore eu le temps de m'ennuyer un seul instant. Le papa est charmant, la maman est ravissante, la demoiselle est adorable. Décidément, j'ai bien fait de venir à Pontoise , je n'en reviendrai pas le cœur vide, au contraire, il me semble qu'il bat plus fort ici qu'à Paris. Ah çà ! est-ce que... ? Tiens, tiens, tiens, tiens !... Ma foi, c'est bien possible !

VÉRAGAZE. - Tiens ! monsieur Dumoulin ! Déjà revenu ?

DUMOULIN. - Mais oui, monsieur Véragaze ! Avez-vous vu madame Dusaumon ?

VÉRAGAZE. - Elle est dans le jardin.

DUMOULIN. - Oh ! elle n'a pas son ombrelle ! Quelle imprudence ! Je vais la lui porter. (Il sort en courant.)

VÉRAGAZE. - Ça y est ! je suis installé ici presque comme chez moi. Mon titre de commerçant retiré me donne droit aux plus grands égards. Je fais presque partie de la famille. Il n'y a pas de bonne fête sans ma présence. Ah ! la préfecture peut se vanter d'avoir en moi un serviteur zélé, un malin ! (Il sort.)

DUMOULIN. - Quel brave homme que ce Véragaze ! Quand on pense que je me méfiais de lui, c'est trop fort ! Il n'a pas l'air distingué, c'est évident, mais c'est un digne homme.

MADAME DUSAUMON. - Eh bien ! monsieur Gaston, comment trouvez-vous Pontoise ?

DUMOULIN. - Oh ! charmant, madame, délicieux, délirant, renversant. Du reste, l'accueil que j'ai reçu chez vous fait redoubler mon enchantement. Jamais, c'est certain, je n'ai passé d'instants plus doux, de moments plus agréables, grâce à votre bienveillance et aux charmes de mademoiselle Ernestine.

MADAME DUSAUMON. -Vous êtes trop aimable, et soyez persuadé que le bonheur est pour nous. Grâce à vous, nous passons de si délicieuses soirées, vraiment, que tout Pontoise envie notre sort, c'est à qui sollicitera la faveur d'être admis dans notre salon, depuis que vos traits d'esprit éclatants ont répandu partout la renommée de nature d'élite que votre intelligence vous fait si facilement obtenir.

DUMOULIN. - Oh ! madame, que vous exagérez !

MADAME DUSAUMON. - Du tout, au contraire ! Je le répète, nous sommes heureux et fiers de vous posséder. Venez-vous au jardin ? Votre bras, je vous prie ! (Ils sortent.)

DUSAUMON. - J'avais besoin de ça pour me distraire, pour me changer les idées. Ce jeune homme, par sa présence, me rajeunit de dix-huit ans. Voilà un gendre comme il m'en faudrait un ; oui, mais comment en avoir un pareil ? C'est difficile. Il faudra que je le fasse parler pour savoir quelles sont ses idées sur le mariage. (Il sort.)

DUMOULIN. - Ma foi, pourquoi pas ? Elle est charmante, fille unique, le papa est fort riche. On n'a pas tripoté pendant trente ans avec les affaires des autres sans avoir réussi à faire les siennes. De mon côté, j'ai de la fortune, de grandes espérances. C'est dit : je vais essayer. Ah ! j'en ai assez, de cette existence de célibataire ! Toujours en l'air, jamais de calme , il faut en finir, et c'est ici que je dois trouver, j'en suis certain, le bonheur parfait.

DUSAUMON. - Qu'avez-vous donc, mon ami ? Vous paraissez agité.

DUMOULIN. - En effet, cher monsieur, je le suis. Je suis poursuivi...

DUSAUMON. - Par la police ?

DUMOULIN. - Non, par une idée.

DUSAUMON. - Ah ! bon ! Laquelle ?

DUMOULIN. - Je n'en dors pas, monsieur Dusaumon. Depuis le jour où j'ai franchi le seuil de cette maison, j'ai senti en mon cœur un bruit étrange et une voix qui m'a crié : Pan ! pan ! pan ! Ça y est !...

DUSAUMON. - Oh ! c'est curieux ! Continuez, jeune homme, vous m'attendrissez.

DUMOULIN. - Donc, monsieur Dusaumon, je n'irai pas par trente-six chemins.

DUSAUMON. - Ça serait un peu long.

DUMOULIN. - Et, ma foi, puisque vous m'y encouragez par votre amabilité, je vais mettre les points sur les i.

DUSAUMON. - Vous pouvez même en mettre sur les y.

DUMOULIN. - Depuis le jour où j'ai eu le bonheur de voir pour la première fois mademoiselle Ernestine, je me répète sans cesse : voilà celle qui pourrait faire ton bonheur, voilà la douce compagne de tes rêves. Aussi, monsieur Dusaumon, bénissant l'heureuse inspiration qui m'a envoyé ici, et comprenant qu'il y avait là une main mystérieuse me conduisant à la félicité, je n'hésite plus à vous demander si une démarche à ce sujet, faite auprès de vous, officiellement, aurait quelque chance d'obtenir un résultat satisfaisant...

DUSAUMON. - Jeune homme, vous avez devant les yeux un homme ahuri et content, un notaire heureux et rempli de douces satisfactions. Les renseignements que j'ai obtenus sur vous sont tellement excellents que, pour ma part, je ne m'accorderai même pas deux minutes de réflexion. Aussi je n'hésite pas à vous déclarer, que si ma femme ne s'oppose pas à ce projet, si ma fille n'exprime aucune idée contraire à cette tentative, vous pouvez compter sur ma parole, que je vous donne dès à présent.

DUMOULIN. - Oh ! cher monsieur, que de reconnaissance je vous devrai !

DUSAUMON. - Je vais en toucher deux mots à ma femme, et comprenant l'impatience que vous devez éprouver, je vous donnerai promptement le résultat de notre délibération. (Il sort.)

DUMOULIN. - Ça va bien ! J'ai la promesse du papa, c'est l'essentiel. Quant à l'opinion de la maman, je suis convaincu d'avance que sa sympathie m'est acquise.

VÉRAGAZE. - Comme vous paraissez joyeux, monsieur Gaston !

DUMOULIN. - Je le suis en effet, cher monsieur, je touche aux félicités suprêmes.

VÉRAGAZE. - Bah ! comment faites-vous ?

DUMOULIN. - Écoutez, monsieur. Véragaze, vous m'inspirez la plus grande confiance. Aussi permettez-moi de vous demander un conseil, ou plutôt de vous faire part d'une démarche que je viens de faire auprès de monsieur Dusaumon. Je viens de lui demander sa fille en mariage. Qu'en pensez-vous ?

VÉRAGAZE. - Mais, cher monsieur, c'est une heureuse idée , vous avez parfaitement fait, voilà mon opinion bien sincère, puisque vous me faites l'honneur de me la demander. Mademoiselle Dusaumon est une jeune personne charmante, bien élevée, instruite, très intelligente , vous ne pouviez faire un meilleur choix. Je vous félicite et vous souhaite sincèrement, croyez-le, de trouver dans cette union le bonheur que vous méritez.

DUMOULIN. - Merci, cher ami. Je suis très sensible à vos bonnes paroles. Un mot à écrire, vous permettez, n'est-ce pas ?

VÉRAGAZE. - Mais comment donc ! Faites donc, je vous en prie ! (Dumoulin sort.) À merveille, ça va tout seul ! Si je pouvais avoir la chance de voir ce projet réussir, je serais tranquille, mon assassin serait forcé de rester ici pendant le temps nécessaire pour les formalités du mariage, et cela m'éviterait de nouveaux déplacements, en attendant l'ordre d'arrestation, qui ne peut tarder à venir maintenant.

DUSAUMON. - Tiens, Véragaze ! Vous tombez bien, mon ami. Dites-moi, donnez-moi donc un conseil !

VÉRAGAZE. - Avec plaisir ! mais comment donc !

DUSAUMON. - Que pensez-vous de monsieur Dumoulin ?

VÉRAGAZE. - Oh ! je le trouve charmant ! Et vous ?

DUSAUMON. - N'est-ce pas ? Moi aussi.

VÉRAGAZE. - Il est parfait sous tous les rapports.

DUSAUMON. - Figurez-vous, mon ami — je peux bien vous appeler mon ami — voilà quinze jours que nous nous connaissons.

VÉRAGAZE. - Comment donc ! Ne nous gênons donc pas, je vous en prie !

DUSAUMON. - Figurez-vous qu'il vient de me demander ma fille en mariage, et avant de lui donner une réponse définitive, je ne serais pas fâché d'avoir l'opinion d'un homme sérieux comme vous.

VÉRAGAZE. - Mon opinion, Dusaumon, — je peux bien vous appeler Dusaumon, n'est-ce pas ? après quinze jours d'excellents rapports — mon opinion, dis-je, est que vous trouvez là une superbe occasion pour faire le bonheur de votre fille, et que vous auriez bien tort de n'en pas profiter. Je sais que, si j'étais à votre place, je n'hésiterais pas même une demi-minute.

DUSAUMON. - C'est mon avis, Véragaze, ton opinion est la mienne ; tu me permets de te tutoyer, n'est-ce pas ? car enfin, depuis quinze jours, notre amitié n'a jamais été troublée par le moindre dissentiment.

VÉRAGAZE. - Jamais, Polycarpe !

DUSAUMON. - Ma foi, je vais lui apprendre la nouvelle. Ce cher jeune homme, mettons-le au courant de son bonheur. À tout à l'heure, Népomucène l (Il sort.)

VÉRAGAZE. - De mieux en mieux ! Me voilà sûr de mon homme ; je suis tranquille pour quelque temps... Je vais envoyer une note à la préfecture. C'est canaille ce que je fais là , mais tous les moyens sont bons. (Il sort.)

DUMOULIN. - Je les ai vus causer ensemble, et je crois que le résultat sera excellent. Mademoiselle Ernestine est enchantée. Oh ! j'entends madame Dusaumon !

MADAME DUSAUMON. - Cher monsieur, mon mari m'a fait part de votre démarche.

DUMOULIN. - Vraiment, madame ! Et pensez-vous que je puisse espérer ?

MADAME. DUSAUMON. - Si vous le pouvez ! Mais nous sommes enchantés, ravis , notre bonheur est sans bornes. Je vous dirai franchement que je vous ai bien jugé tout de suite, je ne me trompe jamais dans mes pressentiments. Aussitôt que vous êtes entré dans cette maison, il m'a semblé voir en vous, non un vulgaire étranger, mais une personne attachée à nous par des liens sacrés. Permettez-moi de vous appeler mon fils ! (Elle l'embrasse sur le front.)

DUMOULIN. - Soyez persuadée en effet, madame, que vous trouverez, toujours en moi, non le gendre ordinaire, habitué à déblatérer et provoquer par des rires grossiers les faits et gestes des belles-mères, ces nobles victimes du devoir et du jour — ces succès des folles chansons du moment — mais au contraire un enfant soumis, qui apportera dans votre maison des joies nouvelles, et un bonheur complet, pour vous procurer l'existence la plus douce, digne de la charmante femme, de la meilleure des mères, celle à qui je devrai moi-même l'existence adorable qui s'ouvre devant moi. (Il lui baise la main.)

MADAME DUSAUMON. - Voilà mon mari, je vous laisse.. Permettez-moi encore de vous appeler mon fils. (Elle l'embrasse sur le front et sort.)

DUMOULIN. - Comme prospectus, c'est très bien, ce que je viens de débiter là. Le fait est qu'elle est bien bonne, cette dame, si ça peut continuer, je tiendrai mon programme.

DUSAUMON. - Jeune homme, nous avons délibéré, ma femme, ma fille et moi. J'ai le bonheur de vous annoncer que sur trois voix vous avez la majorité. À l'unanimité vous êtes nommé mon gendre. C'est un titre devant lequel bien des gens de Pontoise ont échoué, et qui certes va faire bien des jaloux. Sachez vous en rendre digne, et que, par la continuation de votre bonne conduite, nous n'ayons pas à regretter un jour la faveur que nous vous octroyons aujourd'hui.

DUMOULIN. - Soyez persuadé, cher beau-père, que je ferai tous mes efforts pour augmenter l'estime que vous avez déjà pour moi.

DUSAUMON. - Nous allons nous occuper immédiatement des préparatifs du mariage. Venez, mon gendre. (Ils sortent.)

VÉRAGAZE. - Ils vont se hâter. Ça m'est égal ! Il faut trois semaines, j'espère bien, avant ce délai, être enfin débarrassé de ma mission. .



FIN DU DEUXIÈME ACTE



ACTE TROISIÈME


La scène représente le bord de la mer à Trouville.



VÉRAGAZE. - Ça y est ! ils sont mariés, et j'attends toujours ! — Les preuves paraissent pourtant assez convaincantes, je ne comprends pas les hésitations de la préfecture. Le mariage a eu lieu ce matin, et immédiatement après la cérémonie, nous sommes venus à Trouville. Si les déplacements recommencent, nous n'en finirons plus. J'ai reçu une lettre qui m'annonce que je recevrai par le télégraphe l'ordre d'arrestation. C'est pénible tout de même pour cette honnête famille. Ah ! notre métier nous oblige parfois à de cruelles nécessités ! — Voilà Dusaumon ! Ma foi, comme la dépêche peut arriver d'un instant à l'autre, par charité, je vais le prévenir, la secousse sera moins forte pour ce pauvre homme.

DUSAUMON. - Eh bien ! mon cher Véragaze, êtes-vous content ?

VÉRAGAZE. - Hélas ! cher ami, je voudrais l'être, mais c'est impossible, il y a des choses dans la vie qui surviennent tout à coup au moment où l'on s'y attend le moins, et qui font dégringoler avec fracas l'édifice du bonheur que l'on croit s'être élevé.

DUSAUMON. - Qu'est-ce que vous me chantez là ! (Il éclate de rire.)

VÉRAGAZE. - Ne riez pas, Dusaumon ! Préparez-vous, au contraire, à gémir et à pleurer.




Créer un site
Créer un site