THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LE REVENANT

le revenant, pièce de theatre de marionnettes, duranty
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f474.item

Louis-Émile-Edmond Duranty

1880 - domaine public

PERSONNAGES
LE JARDINIER.
POLICHINELLE.
PIERROT.
LA JARDINIÈRE.
LE REVENANT

UN JARDIN AVEC UNE MAISON.


LE JARDINIER. — On me pille toutes les nuits : poires, pommes, citrouilles, choux disparaissent. Mes souricières et mes pièges à loups ne servent à rien. Il faut prendre un grand parti. (Une pomme lancée par-dessus le mur lui tombe sur la tête.) Aie ! (Regardant en l'air.) Mes pommes tombent avant d'être mûres. (Une citrouille lui est jetée sur le nez.) Oh ! oh là ! oh ! il y a donc des artilleurs par ici ? (Mettant la citrouille de côté.) Cette citrouille m'ouvre l'esprit. Je commence à devin... (Une pomme le frappe à la figure.) Eh ! que diable ! (Il se recule vers le mur. — Polichinelle apparaît au-dessus du mur et donne un coup de pelle au Jardinier. — Celui-ci se retourne, mais ne voit personne.) Oh ! je n'y vois plus clair, cela part de tous les côtés. (Il se recule vers l'autre coin de la muraille.) Je vais prendre une échelle et je... (Pierrot apparaît derrière lui au-dessus du mur et lui donne un coup de pelle. — Quand le Jardinier se retourne, Pierrot a disparu.) Ah ! ah ! cependant, cela ne se passera pas si tranquillement. Qui est là ? qui est là ? (Posant une échelle et montant.) S'il me tombe sous la pioche, celui-là ! (Un trou s'ouvre dans la muraille, Polichinelle y passe la moitié de son corps, saisit l'échelle, la fait tomber avec le Jardinier, et disparaît aussitôt en refermant le trou.) Ah ! il m'a tué ! (Se relevant.) Il devient d'une audace inouïe. Il faut l'effrayer, en lui faisant croire que nous sommes plusieurs ici. (Appelant.) Thomas, Nicodème, Babolein, à moi ! (Allant à une caisse et en tirant un gros tas de loques.) Toi, Babolein, tu vas monter dans l'arbre de droite et tu surveilleras le bois. (Il attache à un arbre un épouvantail composé d'un grand chapeau, d'une vieille veste et d'une vieille culotte.) Et surtout, fais bien attention ! Toi, Nicodème, tu te tiendras dans l'arbre de gauche. (Il attache à un autre arbre un second épouvantail formé avec des loques.) Veillez bien et ne faites pas de quartier au coquin. Quant à moi, je vais faire ma tournée. (Il attire une petite charrette de revendeur de légumes et part en criant :) Pois verts, pois verts, au boisseau ! citrouilles !

POLICHINELLE (apparaissant de nouveau par le trou au milieu du mur.) — Eh ! Pierrot, pousse-moi, je t'en prie, pousse, je suis trop gros pour le trou, pousse, ou je serai obligé de rester là toute ma vie, qui ne sera pas longue, par conséquent. (Poussé violemment par Pierrot, il vient rouler en avant.) Pouf ! je suis sorti de là comme un boulet.

PIERROT (entrant.) — Je suis plus fin que toi, je passerais par le trou d'une aiguille.

POLICHINELLE. — Bon ! puisqu'il est parti, il faut faire nos provisions de fruits et de légumes pour toute la semaine, nous ne serons pas obligés de revenir si souvent. Dépêchons !

PIERROT (apportant un chou.) — Voici le roi des choux.

POLICHINELLE (mettant une citrouille à côté.) — Et voici la perle des citrouilles.

PIERROT. — Et voilà la sultane des salades.

POLICHINELLE. — Et la splendeur des asperges.

PIERROT. — Et la magnificence des carottes.

POLICHINELLE. — Et la merveille des navets.

PIERROT (regardant en l'air.) — Et... oh !

POLICHINELLE. — Quoi donc ?

PIERROT. — Là ! chut !... un homme qui nous regarde... dans l'arbre.

POLICHINELLE. — N'ayons l'air de rien. Promenons-nous. Tra, la, la !

(Ils s'en vont sous l'autre arbre.) 

PIERROT. — Ah !

POLICHINELLE. — Quoi ? Maudit poltron, tu me causes toujours des terreurs.

PIERROT. — Un autre homme, dans l'autre arbre !

POLICHINELLE. — Diable ! Tâchons de leur donner le change. Attends ! je vais leur parler. Messieurs, ne vous étonnez point de nous voir ici, nous sommes les amis intimes du Jardinier. C'est pour l'obliger que nous travaillons.

PIERROT. — Il a remué la tête, il dit que non. Laisse-moi m'expliquer. Regardez-nous, Messieurs.

POLICHINELLE. — Ils balancent toujours la tête tous les deux. Ils n'ont pas l'air de nous croire. C'est qu'il n'est pas facile de s'en aller ! Messieurs, je vous affirme que... (Un arrosoir tombe sur lui.) Eh ! oh ! Pierrot, les voilà qui se fâchent ! Ils veulent nous casser la tête.

PIERROT. — Celui qui est de mon côté a l'air plus doux. Monsieur, ne vous fâchez pas. Si notre présence ici vous déplaît, nous allons partir bien tranquillement...

POLICHINELLE. — Indiquez-nous seulement par où l'on passe.

PIERROT (recevant sur le dos un râteau qui tombe d'à côté de l'épouvantail.) — Holà ! holà ! Polichinelle, il a cru que j'avais une perruque, il m'a jeté son peigne.

POLICHINELLE. — Viens ici au milieu, mettons-nous dos à dos. Je commence à être inquiet, ils ne bougent ni ne parlent. On ne sait pas ce qu'ils pensent ni ce qu'ils veulent.

PIERROT. — Messieurs, de grâce, un mot, un seul petit mot. Ils vous ont des chapeaux, des bras et une tournure ! (Tremblant de tout son corps) é... é... é... pou... pou... van...van...ta... ta... ble !

POLICHINELLE (le repoussant.) — Qu'est-ce que tu as donc à me donner un tas de petits coups dans le dos ?

PIERROT (revenant se coller contre lui.) — Je, je, je, je...

POLICHINELLE (tremblant à son tour, de sorte qu'ils se cognent mutuellement.) — Tu, lu, tu, tu...

PIERROT. — Trem, trem, trembles !

POLICHINELLE. — Moi, moi, moi, moi, aus, aus, aus, aussi, si, si, si !
(Le tremblement devient si fort et les chocs si rudes, que Polichinelle et Pierrot s'envoient réciproquement rouler chacun à un bout opposé du jardin.)

PIERROT (se relevant et courant partout.) — Est-ce qu'ils sont descendus ? Non, non, laissez-moi ! (Il saute à l'un des arbres, grimpe et se cramponne à l'un des épouvantails.) Ah ! (Il saute à terre.) Polichinelle, Polichinelle, l'homme qui est là-haut a des culottes, mais il n'a pas de jambes ! À qui avons-nous affaire ?

POLICHINELLE (se relevant.) — Quoi ! des culottes, des jambes, là-haut ! (Levant la tête.) Ils ne bougent pas et ils nous donnent des coups !

PIERROT. — Voyons, Messieurs, ne nous faites pas de mal, nous vous donnerons beaucoup d'argent.

POLICHINELLE. — Qu'est-ce que tu dis donc ?

PIERROT. — Quand nous serons sortis... ils courront après leur argent, si le cœur leur en dit.

POLICHINELLE. — Ah ! bah ! ils ne répondent pas... ils ne veulent pas d'argent.

PIERROT. — Diable ! c'est qu'ils nous connaissent... Messieurs, ne nous jugez pas sur notre réputation...

POLICHINELLE. — Il n'y a pas moyen de les prendre... Voyons, Messieurs, descendez, nous boirons ensemble ; on peut bien s'expliquer, pourtant.

PIERROT. — Bon, voilà qu'ils ne veulent pas descendre non plus. Nos affaires se gâtent !

POLICHINELLE. — Enfin, dites-nous ce que vous voulez ?

PIERROT. — Je n'ai jamais vu de gens comme eux !

POLICHINELLE. — Ah ça ! mais, s'ils n'ont pas de jambes, dis donc !... j'y songe...

PIERROT. — Eh bien !

POLICHINELLE. — Ils ne peuvent pas descendre...

PIERROT. — Oh ! alors nos affaires reprendraient bonne tournure et nous aurions tort de nous inquiéter.

POLICHINELLE. — Vas donc tirer un peu celui-là par le bas de sa culotte.

PIERROT — Non, non, non ; vas-y, toi.

POLICHINELLE. — Nigaud ! tout doucement.

PIERROT. — Non, non.

POLICHINELLE. — Lâche ! tu n'oses donc pas ?

PIERROT. — Charge-toi de le faire.

POLICHINELLE. — Mais puisque tu as déjà commencé à lui tâter les mollets...

PIERROT. — Je ne savais plus ce que je faisais.

POLICHINELLE. — Si tu n'y vas pas, je te roue de coups. (Il saisit un râteau.)

PIERROT. — Oh ! oh ! non.

POLICHINELLE (le battant.) — Marche !

PIERROT. — Oui, j'y vais. (S'approchant de l'épouvantail, puis reculant.) — Jamais je... (Se rapprochant, puis reculant encore plus loin.) Dieu sait ce qui m'arriverait... Non, vois-tu, Polichinelle, je ne peux pas, j'ai peur de recevoir un coup de pied...

POLICHINELLE. — Puisqu'il n'a pas de jambes, idiot !

PIERROT. — Mais il a une si drôle de tête !

POLICHINELLE. — Mais on ne la voit pas, leur tête. Ils n'en ont peut-être pas non plus.

PIERROT. — Mais c'est là ce que je trouve drôle ! Que leur resterait-il donc ?

POLICHINELLE (s'approchant avec son râteau de l'autre épouvantail, puis reculant.) — Quand on ne connaît pas une chose... (Se rapprochant et reculant.) A-t-il une vilaine mine ! Ah bah ! je vais tâcher de le tuer pour qu'il ne me fasse plus peur. (Il donne un énorme coup sur l'arbre. Les habits qui forment l'épouvantail lui tombent sur la tête. — Il jette un grand cri et n'ose plus bouger, tandis que Pierrot tombe à terre. — À la fin, Polichinelle regarde autour de lui avec de grandes précautions.) Il n'est pas lourd, ce Monsieur ! (Se secouant.) Tiens, tiens, des vieux habits ! Ah, ah, ah, ah ! Pierrot, ah, ah, ah, ah ! Pierrot !

PIERROT (se relevant à demi.) — Tu n'es donc pas mort ?

POLICHINELLE (riant aux éclats.) — Ah, ah, ah, ah ! ce sont de vieux habits ! C'est une méchante farce de ce coquin de Jardinier.

PIERROT (se relevant tout à fait.) — Vraiment !

POLICHINELLE. — Nous sommes sauvés !

PIERROT (prenant une bêche et faisant tomber l'autre épouvantail.) — Ah ! il ne faut pas qu'il la porte au marché sa plaisanterie, le drôle, habillons-nous !
(Ils se couvrent des vieux habits, puis se prennent par la main et se mettent à danser.)

LA VOIX DU JARDINIER. — Pois verts, au boisseau !

PIERROT. — Attention !
(Ils prennent la bêche et le râteau, et vont, déguisés, se placer au pied des arbres où étaient les épouvantails. — Le Jardinier entre.)

LE JARDINIER (après avoir remisé sa charrette.) — Quel beau tas de légumes ! Je ne me rappelle point l'avoir fait ! Est-ce que mon maraudeur serait venu ? Cependant Babolein et Nicodème sont toujours en faction. Ah ! ah ! je riais tout seul en chemin de mon invention. (Allant vers les arbres.) Voilà l'ami Babolein, voilà l'ami Nicodème. Tiens, je croyais les avoir placés dans l'arbre Il sont donc descendus ? (Saluant.) Bonjour, Babolein. (Pierrot lui rend son salut.) Euh ! qu'est-ce que c'est que ça ? (Saluant.) Bonjour, Nicodème !

POLICHINELLE (saluant.) — Bonjour ! (Lui donnant un coup de râteau.) Et rebonjour !

LE JARDINIER (reculant du côté de Pierrot.) — Aïe ! quel est cet affreux mystère ?

P
IERROT (lui donnant un coup de bêche.) — Oui, rebonjour.

LE JARDINIER. — À moi ! à la garde ! 
(Il se sauve dans la maison.)

POLICHINELLE. — Cachons-nous.
(Ils sortent. — Le Jardinier revient.)

LE JARDINIER. — Ce sont eux ! je les ai reconnus ! Cette fois, je leur ferai une peur sérieuse. 
(Il rentre dans la maison.)

POLICHINELLE (revenant.) — Pierrot, enlevons promptement nos provisions.
(Pierrot revient aussi et ils font passer un à un, par le trou du mur, les légumes qu'ils ont entassés. — Entre le Jardinier déguisé en Revenant, avec un potiron sur la tête, éclairé à l'intérieur, et un drap autour du corps. — Il tient un bâton.) 

LE JARDINIER (grossissant sa voix.) — Hou ! hou ! hou ! malfaiteurs, je vais vous dévorer.

PIERROT. — Tu ne nous fais pas peur, Jardinier !




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