THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

ACTE II


La scène représente un intérieur de cuisine chez Forestier.


FORESTIER, à sa fille. - Mademoiselle vous devez avant tout vous soumettre à ma volonté, quelle qu'elle soit !


GERTRUDE. - Je ne demande pas mieux papa, mais quand il s'agit d'une chose pareille, j'ai le droit de me révolter.


FORESTIER. - Qu'est-ce que c'est ? des menaces ?


GERTRUDE. - J'ai dit que je n'épouserai pas cet affreux Nicolas et je le répète, quand on devrait me torturer, je ne l'épouserai pas !


FORESTIER. - Je vous dis que si !


GERTRUDE. - Je vous dis que non ! (Il court après elle, ils sortent.)


PAUL. - C'est bien ça, rien n'est changé ! C'est ici que j'ai tant souffert et que j'ai versé tant de larmes. Mes parents sont dans la pièce voisine probablement. J'entends mon père, il vient par ici sans doute, cachons-nous. (Il sort.)


FORESTIER. - A-t-on jamais vu un aplomb pareil ? Non, mais c'est qu'elle me tient tête aussi je viens de la corriger d'importance, et j'espère qu'elle ne résistera plus à ma volonté. Quelle journée ! Et avec ça, la perspective de voir arriver mon scélérat de fils.


PAUL, dans son coin. - Oh !


FORESTIER. - Hein ? Qui est-ce qui a dit oh ?


PAUL, se montrant. - C'est moi père !


FORESTIER. - Vous, misérable ! Mais vous ne craignez donc rien ? Il n'y a donc plus rien de sacré pour vous pour que vous ayez ainsi l'audace de venir braver mon courroux ?


PAUL. - Mais au contraire je viens m'incliner devant vous.


FORESTIER. - Bah ! ainsi après votre escapade, après avoir été rouler l'aventure je ne sais où, fatigué d'une vie désordonnée et vagabonde, vous croyez qu'il suffit de vous dire : « tiens au fait, je suis bien bon de me tourmenter ! j'ai là-bas au village ma place qui m'attend, je vais en profiter ».


PAUL. - Mais je vous assure père...


FORESTIER. - ...Assez, Monsieur, ne prolongez pas le supplice que votre présence me fait endurer Sortez !


PAUL. - Pas sans vous avoir embrassé.


FORESTIER. - M'embrasser ? jamais ! Je vous abandonne la place ; lorsqu'il vous aura plu de la quitter, je ferai donner de l'air à cette chambre afin d'y pouvoir rentrer. (Il sort.)


PAUL, à part. - Jamais je ne pourrai le convaincre il me croira toujours le dernier des scélérats.


MADAME FORESTIER, sans voir son fils. - Mon pauvre mari ! il devient fou de douleur !


PAUL. - Mère, c'est moi.


MADAME FORESTIER. - Vous, Monsieur ! Vous dans notre maison ? Comment, malgré notre défense, vous osez pénétrer ici !


PAUL. - Mais je n'ai rien à me reprocher.


MADAME FORESTIER. - Oh, quel aplomb ! Je vais rejoindre votre père et j'espère qu'à notre retour vous aurez disparu de cette maison pour nous laisser terminer en paix nos vieux jours !

PAUL. - Mais je me demande vraiment ce qu'ils ont après moi, c'est terrible de voir une haine pareille !

GERTRUDE. - Mon Paul, mon pauvre frère. (Ils s'embrassent.) Ah, tu arrives bien, va ! Je suis sûre que toi seul peux me sauver.


PAUL. - Si j'arrive, hélas ! ma pauvre Gertrude, c'est pour repartir immédiatement, car jamais on ne me reverra ici. Mes parents m'ont repoussé, j'allais m'en aller avec désespoir, tes baisers calment ma douleur et j'emporterai d'ici au moins un bon petit souvenir qui apaisera mes peines.


GERTRUDE. - Je ne veux pas que tu partes ; ta présence ici est indispensable pour me sauver d'un grand danger.


PAUL. - Allons donc !


GERTRUDE. - On veut absolument me faire épouser un monstre, un personnage ignoble, qui habite dans le pays depuis quelques temps seulement.


PAUL. - Eh, bien et Mathieu mon camarade d'enfance, que tu devais épouser ?


GERTRUDE. - Mon père n'en veut plus, sous prétexte qu'il est pauvre, tandis que ce monsieur Nicolas possède dix-mille euros, sans compter ses vices qui sont incalculables.


PAUL. - Calme-toi, ma pauvre sœur, et ne crains rien. Je te sauverai, je t'en réponds ! j'ai tous les moyens nécessaires à ma disposition et ils sont infaillibles.


GERTRUDE. - Que comptes-tu faire ?


PAUL. - Ça c'est mon secret ! Va dire à Mathieu de venir me trouver de suite, le temps presse.


GERTRUDE. - J'y cours, mon Paul, merci ! (Elle sort.)


PAUL. - Une fois ce dernier devoir accompli je ferai mes adieux à tous mes amis, et si je reviens plus tard j'aurai la consolation de m'agenouiller sur la tombe de ceux qui m'ont tant méconnu, pour recevoir enfin un pardon que j'aurai bien mérité.


MATHIEU. - C'est toi, mon pauvre Paul ? (Il pleure bêtement.)


PAUL. - Allons mon ami, ce n'est pas le moment de pleurer. Moi qui m'attendais à voir tout le monde en fête. En voilà un drôle d'enthousiasme !


MATHIEU. - Je suis si malheureux.


PAUL. - Ça ne durera pas, mon ami Nous disions que la seule difficulté qui s'oppose à ton mariage, c'est que ce monsieur Nicolas possède dix-mille euros.


MATHIEU, en sanglotant. - Tandis que moi je n'ai que onze euros vingt-cinq. (Il pleure toujours.)

PAUL. - Voyons, écoute-moi donc ? Cet obstacle n'existe plus, grâce à quelques spéculations heureuses que j'ai pu faire dans les Indes, j'ai réalisé quelques économes, et si ton rival possède dix-mille euros, je mets le double de cette somme à ta disposition pour que tu fasses le bonheur de ma bonne Gertrude.


MATHIEU, pleurant et criant de toutes ses forces. - Comment, toi, mon cher Paul ?


PAUL. - Oui, mais ne pleure pas comme ça !


MATHIEU, sanglotant. - Je ne pleure pas !


PAUL. - Allons, viens avec moi, je vais te donner ces vingt-mille euros, et ensuite, tu me diras adieu, peut-être pour toujours ! (Il s'éloigne, Mathieu pleure toujours.)


FORESTIER. - Enfin le voilà parti ! ce n'est pas malheureux. Ils sont tous au cabaret sur la place.


POMPONEAU. - Ah ! quelle affaire ! Monsieur Forestier, je ne suis pas fâché de vous voir. Il faut que vous veniez, avec moi, tout de suite !


FORESTIER. - Moi, où ça ? Qu'est-ce qu'il y a donc, Pomponeau ?


POMPONEAU. - Il y a que votre futur gendre a encore fait des siennes.


FORESTIER. - Comment ça des siennes ? Qu'entendez-vous par ces paroles saugrenues et calomniatrices ?


POMPONEAU. - J'entends. j'entends qu'il était temps que ça finisse, et que ce n'est pas malheureux, car il n'est pas permis de se mettre dans des états pareils !


FORESTIER. - Quels états ? Expliquez-vous, Pomponeau !


POMPONEAU. - Je veux dire que tout à l'heure monsieur Nicolas a encore été vu en état d'ivresse complet.


FORESTIER. - Mon gendre ? mais je ne l'ai jamais vu comme ça.


POMPONEAU. - Eh ! bien je vous assure que vous êtes le seul ! Bref, se trouvant dans cette position, il a perdu son équilibre sans doute, et il est tombé dans la grande mare aux grenouilles. C'est à la façon particulière dont les canards faisaient coin coin ! coin que l'on s'est aperçu de la chose, et le médecin a déclaré que depuis trois heures environ il faisait la stupéfaction des grenouilles, qui ouvraient des yeux comme ça.


FORESTIER. - Oh ! c'est curieux ! Je croyais que c'était par méchanceté ou par jalousie que tout le monde me répétait ça !


POMPONEAU. - Enfin, venez avec moi, nous allons l'apporter ici.


FORESTIER. - Jamais de la vie, je n'en veux pas !


POMPONEAU. - Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse ? Personne ne le connaît ici, et vous alliez bientôt être son parent !


FORESTIER. - Du tout, du tout faites-en ce que vous voudrez, je vous en fais cadeau. C'est un malheur qui vaut trente-six bonheurs, ça, mon ami.


POMPONEAU. - Enfin, je vais dire ça au maire. (Il sort.)


FORESTIER. - C'est vrai, sans m'en douter j'allais faire le malheur de ma fille. C'est malheureux tout de même un homme qui allait me donner dix-mille euros ! Il faut absolument que j'en trouve un au même tarif.


MATHIEU, riant bêtement. - Bonsoir, monsieur Forestier. Oh ! je suis joliment content, allez.


FORESTIER. - Mon ami, il ne faut jamais se réjouir du malheur des autres.


MATHIEU. - Si je me réjouis de quelque chose, ce n'est pas du malheur des autres, c'est de mon bonheur particulier, à moi. Car enfin, père Forestier, rien ne s'oppose maintenant à ce que j'épousasse votre fille, puisque son ancien futur prétendu a réglé son compte avec l'existence humaine.


FORESTIER. - Peut-être, monsieur Mathieu, peut-être. En réfléchissant bien, je crois qu'il est sage, étant donnée ma position, de chercher pour ma fille un parti avantageux sous le rapport de la finance. (Mathieu rit de plus en plus bêtement.) Mon ami, je ne voudrais pas que vous preniez ce que je vais vous dire pour un compliment, mais c'est curieux comme vous avez l'air bête quand vous riez comme ça. Peut-on savoir quelle est la cause de cette hilarité ?


MATHIEU. - Parfaitement c'est qu'au lieu de chercher bien loin ce que vous voulez trouver, vous n'avez qu'à regarder tout près pour l'avoir.


FORESTIER. - Qu'est-ce que vous me chantez là ?


MATHIEU. - Je veux dire que moi avec mon air simple et naïf, j'apporte vingt-mille euros en mariage à Gertrude.


FORESTIER. - Toi ? allons donc !


MATHIEU. - Y a pas d'allons donc ! vingt-mille euros en espèces sonnantes !


FORESTIER. - Mais où aurais-tu déniché ça, mon garçon ?


MATHIEU. - Ah ça, c'est un secret, je ne peux pas le dire.


FORESTIER. - Une somme pareille dont tu ne peux pas avouer la provenance, c'est qu'elle n'est pas claire.


MATHIEU. - Je vous demande pardon, elle est claire comme de l'eau de Saint-Galmier, seulement j'ai promis de garder le secret.


FORESTIER. - Ça m'est égal, garde ton secret, moi je garde ma fille.


MATHIEU. - Ah ! non, ne faites pas ça ! Après tout j'ai promis simplement, je n'ai pas juré et je ne vois pas pourquoi je ne vous dirais pas la vérité. Eh bien ces vingt-mille euros m'ont été donnés par votre fils Paul, pour que je puisse épouser sa sœur et que je la rende heureuse !


FORESTIER. - Comment ! mon fils avait une somme si considérable ?


MATHIEU. - Il a même encore plus que ça ! Comme il est dans la marine marchande, il paraît qu'il fait des petites spéculations aux Indes, qui lui rapportent beaucoup.


FORESTIER. - Comment ! mon fils s'occupe si sérieusement que ça ?


MATHIEU. - Oh ! il est bien gentil ; il a eu joliment du chagrin d'être repoussé comme ça par vous.


FORESTIER. - Mais je ne savais pas qu'il était si honnête et si intelligent !


MATHIEU. - Vous ne lui avez pas donné le temps de parler.


FORESTIER. - C'est vrai, où est-il que je l'embrasse ?


MATHIEU. - Ah, il est loin ; il est parti, pour ne jamais revenir, a-t-il dit.


FORESTIER. - Parti ? comme ça pour toujours ? non ? c'est impossible il faut que je le voie où est-il ? (Il sanglote.)


MATHIEU. - Il est parti au Havre pour s'embarquer. (Sanglotant également.)


FORESTIER. - Au Havre Vite ! Mathieu allons-y pourvu que nous arrivions à temps ! (Ils se sauvent en sanglotant d'une façon exagérée.)


ACTE III


La scène représente le bord de la mer. Au lever du rideau deux hommes portent une jeune fille évanouie ; ils traversent ainsi la scène et disparaissent.


FORESTIER. - Pauvre garçon ! en voilà un que j'ai toujours méconnu ;enfin son navire n'est pas encore parti, c'est le principal, je vais lui exprimer tous mes regrets ; car je suis forcé de le reconnaître, j'ai toujours été dur pour mes enfants, pour celui-là surtout.


MARASQUIN. - J'ai des renseignements, père Forestier : son navire ne part que dans huit jours, j'ai interrogé quelques matelots. Ils m'ont dit qu'il devait être en ville, et que d'un instant à l'autre on pourrait le voir sur le port.


FORESTIER. - Tâchez de me le trouver, monsieur Marasquin !


MARASQUIN. - J'y retourne, soyez tranquille, à tout à l'heure ! (Il s'éloigne.)


FORESTIER. - Il va être bien surpris en me voyant !


UN PASSANT. - Ah ! Ah ! Ah !


FORESTIER. - Qu'est-ce qu'il a donc celui-là ?


LE PASSANT. - Ah ! Ah ! Ah !


FORESTIER. - Ben Quoi donc ! qu'est-ce que vous avez ?


LE PASSANT. - Ah ! Monsieur Quelle émotion ! Quelle frayeur !


FORESTIER. - Mais qu'est-ce qu'il y a ?




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