SCÈNE VIII
GÉRONTE, POLICHINELLE.
GÉRONTE, part. - Hum ! Ceci ne me paraît pas très clair ! Ce malade qui n'a pas de maladie ? Ce médecin qui n'a pas de chapeau pointu ? Est-ce que par hasard, je serais berné ? (Haut.) Polichinelle ! je veux aller voir mon fils !
POLICHINELLE. - Calmez-vous, monsieur, calmez-vous ! Vous avez entendu le docteur : Clitandre est malade, mais il n'a point de maladie ; il n'est donc pas en danger.
GÉRONTE. - Je ne comprends rien a tout cela ! Ou Clitandre est malade, ou il ne l'est pas. Dans les deux cas, je veux être auprès de lui.
POLICHINELLE. - Sans doute ! Mais si votre présence lui causait de ces... la la la ! Enfin, moi, que puis-je vous dire ? (À part.) Je m'embrouille ! (Haut.) Peut-être en effet que votre vue lui ferait du bien... à moins qu'elle n'augmentât son mal. Je ne sais pas ! Je ne suis pas médecin, moi !
GÉRONTE. - Eh bien, je vais le voir !
POLICHINELLE. - Tenez ! voici Pierrot, votre valet ; il était près de lui ; il va vous dire dans quel état il l'a trouvé.
SCÈNE IX
LES MÊMES, PIERROT, ivre.
PIERROT. - Ah ! bien ! Je n'en bois pas souvent, mais enfin cette fois, j'en ai bu... ah ! Oui !
POLICHINELLE, à Pierrot, bas. - Tiens toi, malheureux ! Et dis que Clitandre est malade.
PIERROT. - Ah ! malade ! Pas tant que moi !
GÉRONTE. - Que dit-il !
POLICHINELLE. - Il dit que Clitandre est malade !
GÉRONTE. - Mais le malheureux est gris ! Tu es ivre, Pierrot !
PIERROT. - Moi ! mon bon maître ! J'ai peut-être un petit coup de trop ! mais ce n'est rien ! C'est le perdreau...
GÉRONTE. - Quel perdreau !
PIERROT. - Je me trompe ! c'est le champagne !
POLICHINELLE, bas, à Pierrot. - Tais-toi donc !
GÉRONTE. - Le champagne ? Tu as bu du champagne ?
PIERROT. - Oui... C'est monsieur Clitandre...
POLICHINELLE, à part. - Animal !
GÉRONTE. - Je n'y comprends plus rien ! Mais il se passe ici quelque chose d’extraordinaire. Voyons, drôles ! Dites-moi la vérité.
PIERROT. - La vérité, c'est que le champagne était bon !
POLICHINELLE, à Pierrot, bas. - Tais-toi donc ! (Haut.) La vérité, je vous l'ai dite. Votre fils est malade ; le médecin lui a ordonné sans doute du champagne pour le fortifier, et Pierrot en aura bu ; il lui faut si peu pour perdre la tête.
GÉRONTE. - Ouais ! Que me contes-tu là !
POLICHINELLE. - Ma foi, Monsieur, je vous dis ce qui est. (Clitandre paraît à la porte.) (À part.) Bien ! voici maintenant Clitandre, il ne sait pas mentir, on va tout savoir !
SCÈNE X
LES MÊMES, CLITANDRE.
CLITANDRE. - Ah ! mon père ! Vous voici !
GÉRONTE. - Oui ! Monsieur ! Il paraît que vous êtes malade ?
CLITANDRE. - Non, mon père !
GÉRONTE. - Comment non ? Mais j'ai vu tout à l'heure le docteur, qui m'a assuré qu'il ne comprenait rien à votre maladie.
CLITANDRE. - Quel docteur ?
POLICHINELLE, bas, à Clitandre. - Valmont.
CLITANDRE. - Mais ce jeune homme n'est pas un docteur : c'est un de mes camarades.
GÉRONTE. - Enfin, que signifie cette comédie ? Depuis que je suis arrivé, je ne vois que du désordre dans ma maison ! Voyons, Monsieur, répondez-moi. Où sont les meubles du salon ?
POLICHINELLE, vivement. - Chez le tapissier !
CLITANDRE. - Non, mon père. Je veux vous avouer tout. Je les ai vendus !
GÉRONTE. - Vendus ! Et la garniture de cheminée ?
CLITANDRE. - Je l'ai vendue aussi.
GÉRONTE. - Voila qui est trop fort.
CLITANDRE. - Écoutez-moi, mon père, je vais tout vous dire et puissiez-vous me pardonner ! J'ai écouté de mauvais conseils ; j'ai fait des dettes et, pour les payer, j'ai fait argent de tout ! Mais, je vous aime, mon père ; et, en vous voyant, au lieu de continuer à vous tromper, j'aime mieux avouer mes fautes et vous dire que je me repens. Je suis jeune, et aussi trop faible ; mais je n'ai pas mauvais cœur. Je sens combien j'ai mal agi, et combien vous devez être irrité ; je vous promets de réparer le tort que je vous ai fait, et d'agir désormais de façon à mériter votre pardon.
GÉRONTE. - Je vois, en effet, que tu étais mal entouré : d'abord cet ami qui a eu l'impudence de se faire passer pour médecin ; puis Polichinelle, qui a en l'audace de me monter une foule de mensonges...
POLICHINELLE. - Oh ! Monsieur Géronte !
GÉRONTE. - Tais-toi ! Je dois accuser aussi ma naïveté. On ne laisse pas seul un enfant de ton âge auprès d'un laquais débauché !
POLICHINELLE. - Débauché, moi ?
GÉRONTE. - Nous allons régler tout cela, et tout de suite. Toi, d'abord, Pierrot, va te coucher, quand tu seras dégrisé, nous compterons ensemble.
PIERROT, s'en allant. - Oh ! j'ai bien mal à la tète, tout tourne ! tout tourne ! (Il sort.)
GÉRONTE. - Pour toi Polichinelle, je te chasse !
POLICHINELLE, à part. - Ça y est ! Je m'y attendais ! Bah ! je trouverai une autre place ! Monsieur Valmont doit avoir besoin d'un valet. (Haut.) Eh bien donc, Monsieur Géronte, je m'en vais. (Il sort.)
GÉRONTE. - Quant à toi, mon fils, qui viens de me promettre d'avoir une meilleur conduite, j'attendrai que tu m'aies prouvé ton repentir avant de te pardonner.
(RIDEAU)
Cette pièce est de L. Lemercier de Neuville (http://urlz.fr/6kIj).
On trouvera d'autres textes pour marionnettes de cet auteur à la page :
http://theatredemarionnettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php
Il a également écrit pour les ombres chinoises :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php
D'autres pièces avec Polichinelle sont consultables à partir de :
http://theatredemarionnettes.wifeo.com/polichinelle-et-compagnie.php