THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE V


POLICHINELLE. - Eh bien, c'est fini ! Voici le dénouement ! Bah ! Six mois plus tôt ou six mois plus tard, c'est la même chose ; il fallait en arriver là ! Mais comment allons-nous en sortir ? Allons, Polichinelle ! Un peu de ressort ! N'as-tu pas une foule d'expédients dans tes deux bosses ? Cela t'a servi pour le fils, ce sera encore bon pour le père. Le voici ! Hum ! Hum ! il n'a pas l'air de bonne humeur !


SCÈNE VI


POLICHINELLE, GÉRONTE.


GÉRONTE. - Hum ! Hum ! Cette maison sent un peu l'absence... il est vrai qu'on ne m'attendait point ! C'est égal, j'aurais préféré moins de négligence.

POLICHINELLE, avec affectation. - Ah ! Ah ! Voici monsieur Géronte, le père de mon maître. Comment se porte monsieur Géronte ?

GÉRONTE. - Très bien, merci, mon garçon. Et mon fils Clitandre ?

POLICHINELLE. - Ah ! Il est ici, Monsieur ; c'est un garçon sérieux.

GÉRONTE. - Il a beaucoup travaillé ?

POLICHINELLE. - Énormément ! Tout le temps il faisait des calculs.

GÉRONTE. - Des calculs ! Mais je lui ai fait étudier son droit, et je compte bien le retrouver avocat !

POLICHINELLE. - C'est bien possible ! Vous comprenez qu'il ne me dit pas tout.

GÉRONTE. - C'est juste ! Mais je suis sûr qu'il a déjà gagné certaines causes.

POLICHINELLE. - Assurément !

GÉRONTE. - Il est donc avocat ?

POLICHINELLE. - Je ne sais pas s'il est avocat ; mais il discute très bien.

GÉRONTE. - C'est cela ! Tu l'as entendu plaider ?

POLICHINELLE. - Plaider ! Plaider ! C'est-à-dire parler !...

GÉRONTE. - Oui, faire un discours ! Conte-moi cela ; de quoi s'agissait-il ?

 

POLICHINELLE, à part. - Tiens ! Il faut inventer quelque chose, cela nous fera gagner du temps ! Heu ! Il s'agissait d'un lapin.

GÉRONTE. - Un lapin ? Un procès pour un lapin ?

POLICHINELLE. - Oui, Monsieur Géronte. - Un jour, le client de monsieur Clitandre trouve un lapin dans son jardin, lequel était clos de murs. Comme le lapin pouvait faire des dégâts, il le prend, le met dans un panier et le porte au marché pour le vendre. Jusqu'ici tout va bien. Une femme arrive et marchande le lapin. Le prix est convenu et on va livrer la marchandise, quand tout à coup, la femme s'écrie : "Mais c'est mon lapin que j'ai perdu ; je ne vous le paierai pas !" Notre client s'écrie : "Vous me le payerez ou bien je vous assignerai devant le juge" ; c'est ce qu'il a fait et il a pris Monsieur Clitandre pour l'assister. Ah ! il fallait entendre Monsieur Clitandre dans sa plaidoirie : – "Madame dit que ce lapin est à elle ? Mais comment peut-elle le reconnaître ? Tous les lapins se ressemblent. - Notre lapin est sorti de chez nous – Il ne disait pas comment il y était entré. – Puisqu'il est sorti de chez nous, il est donc à nous ! Que Madame ait eu, elle aussi, un lapin, nous ne le nions pas ; mais ce n'est pas celui-là, puisqu'il n'est pas différent d'un autre. Du reste, quand on a un lapin, on le garde ! Il est toujours facile de dire, en voyant un lapin, qu'il vous appartient ; mais rien ne peut le prouver".

GÉRONTE. - Évidemment ! c'est très bien plaidé ! Et il a gagné sa cause ?

POLICHINELLE. - Non ! La femme disait qu'elle le nourrissait avec du romarin. Or il n'y avait pas de romarin dans le jardin de notre client, il n'y avait que du thym. Le juge dit alors : il n'y a qu'un seul moyen de savoir la vérité : c'est de manger le lapin.

GÉRONTE. - Et alors ?

POLICHINELLE. - Alors le juge a mangé le lapin et comme il n'avait goût que de choux, il a débouté les deux parties et les a condamnées aux frais. Mais c'était une belle cause, et votre fils Clitandre a été très félicité.

GÉRONTE. - Je le crois bien !

POLICHINELLE. - Il en a gagné bien d'autres, mais je ne m'en souviens plus.

GÉRONTE. - Il me parlera de tout cela lui-même. J'ai hâte de le voir.

POLICHINELLE. - Vous le verrez tout à l'heure.

GÉRONTE. - Pourquoi pas tout de suite ?

POLICHINELLE. - Mon Dieu, Monsieur Géronte, vous savez : il ne vous attendait pas.

GÉRONTE. - Eh bien ? quoi ! Il est sorti ?

POLICHINELLE. - Pas précisément...

GÉRONTE. - Il est ici ou il n'y est pas ?

POLICHINELLE. - C'est que...

GÉRONTE. - Pourquoi tant de mystère ?

POLICHINELLE. - Voilà...

GÉRONTE. - Eh bien, parle !

POLICHINELLE. - Il est bien réellement ici. Mais il ne peut pas vous recevoir.

GÉRONTE. - Que signifie ? mon fils est ici, je reviens après six mois d'absence et voici qu'il ne peut pas me recevoir ? Je vais...

POLICHINELLE. - Non ! Non ! attendez ! je vais tout vous dire : eh bien, il est malade !

GÉRONTE. - Il fallait me le dire tout de suite ! Je vais près de lui.

POLICHINELLE. - Non ! Non ! Ce serait imprudent ! On lui a défendu toute espèce d'émotion.

GÉRONTE. - Il est donc bien mal ?

POLICHINELLE. - Pas précisément ! Mais on lui a recommandé de ne voir personne. D'ailleurs, en ce moment, il se repose.

GÉRONTE. - Soit ! J'attendrai son réveil. Mais en attendant, je vais me rendre dans ma chambre, je passerai par le salon.

POLICHINELLE, à part. - Aïe ! Le salon qui n'a plus de meubles !

GÉRONTE, à la porte du salon. - Tiens ! Le salon est démeublé ?

POLICHINELLE. - Les meubles ! Ah ! oui les meubles ! C'est le tapissier...

GÉRONTE. - Eh bien quoi ? Le tapissier...

POLICHINELLE. - Il avait remarqué que les meubles étaient vieux ; alors il les a pris en disant qu'il allait les rajeunir.

GÉRONTE, criant. - Rajeunir ? Rajeunir des meubles vieux ? Mais c'est un barbare ! Jamais on a vu ça ! Mais enfin, il aurait dû attendre, pour me consulter !

POLICHINELLE. - Vous consulter ? Il n'en avait pas l'envie. Il voulait les meubles.

GÉRONTE. - Les meubles ! Les meubles ! – Et la garniture de cheminée ? Je ne la vois plus.

POLICHINELLE. - Ah ! Cela n'est une autre affaire.

GÉRONTE. - Comment ! Une autre affaire ? Est-ce que l'on a voulu aussi changer la garniture de cheminée ?

POLICHINELLE. - Nous ne l'aurions pas souffert !

GÉRONTE. - À la bonne heure !

POLICHINELLE. - Seulement, la pendule n'allait pas ! Le ressort était cassé. – Vous savez, les ressorts, quand ça va, ça va ! Mais quand le ressort est cassé, il faut le remplacer.

GÉRONTE. - Mais il n'y a pas de ressort dans les candélabres, et je ne les vois plus à leur place.

POLICHINELLE. - Ah ! cela c'est différent !

GÉRONTE. - Voyons ! voyons ! voyons ! Maître Polichinelle, expliquons nous : Le meuble de salon est à rajeunir.

POLICHINELLE. - Oui, monsieur Géronte.

GÉRONTE. - Cela me contrarie, mais, à la rigueur, je l'admets. Maintenant, la pendule est à raccommoder ?

POLICHINELLE. - Oui, monsieur Géronte, à cause du ressort.

GÉRONTE. - Bien ! Mais les candélabres ?

POLICHINELLE. - Les candélabres ? Eh bien, ils sont à redorer.

GÉRONTE. - À redorer ?

POLICHINELLE. - Oui, monsieur ! L'or s'était terni. On est en train de le remplacer.

GÉRONTE. - Hum ! Hum ! Tout cela ne me semble pas clair.

POLICHINELLE. - C'est pourtant très clair, cependant ! On a voulu vous faire une surprise, mais vous êtes revenu trop tôt.

GÉRONTE. - Je crois, en effet que je suis revenu trop tôt.


SCÈNE VII


GÉRONTE, POLICHINELLE, VALMONT.


VALMONT, entrant sur la pointe du pied. - (À part). Le père est revenu ! Filons !

GÉRONTE, l'apercevant. - Quel est ce monsieur ?

VALMONT, à part. - Que vais-je lui dire ?

POLICHINELLE. - Ce monsieur ? Eh bien, c'est le docteur !

GÉRONTE. - Tu ne m'avais pas dit que le docteur était là.

POLICHINELLE. - C'était inutile ! À quoi bon vous effrayer ?

GÉRONTE, à Valmont. - Vous êtes docteur ?

VALMONT. - Moi, mais je...

POLICHINELLE, bas, à Valmont. - Si, vous êtes docteur !

VALMONT. - En effet, je suis docteur !

POLICHINELLE, bas, à Valmont. - Clitandre est censé être malade ; trouvez-lui une maladie.

GÉRONTE. - Alors, si vous êtes docteur, vous pouvez me dire la maladie de mon fils.

POLICHINELLE, bas, à Valmont. - Allez-y, ne bronchez pas !

VALMONT. - À vous dire le vrai, Clitandre est malade...

GÉRONTE. - Je le sais bien, puisque vous êtes la pour le soigner. Mais qu'a-t-il ?

VALMONT. - Ce qu'il a ? C'est très grave.

GÉRONTE. - Il est en danger ?

VALMONT. - Je ne dis pas cela ! Mais il a une maladie qui le rend malade.

GÉRONTE. - Je comprends ! Mais quelle est cette maladie ?

VALMONT. - Ah voilà ! Quelle est cette maladie ? J'hésite entre plusieurs.

GÉRONTE. - Il a plusieurs maladies ?

VALMONT. - Je ne dis pas cela ! Je vous dis : il est malade, mais je ne puis pas encore vous dire quelle est sa maladie.

GÉRONTE. - Enfin, quelle est la forme de sa maladie ?

VALMONT. - S'il avait mal à la tête et aussi mal au cœur, je dirais : c'est une indigestion.

GÉRONTE. - Mais ce n'est pas cela ?

VALMONT. - Non ! S'il toussait, s'il crachait, s'il était oppressé, s'il n'avait pas d'appétit, s'il avait des insomnies, je dirais : c'est une bronchite.

GÉRONTE. - Ce n'est pas une bronchite ?

VALMONT. - Non ! C'est tout autre chose. En réalité, c'est le moral qui est attaqué.

GÉRONTE. - Le moral ? Qu'entendez-vous par le moral ?

VALMONT. - Je veux dire que sa maladie est toute dans son imagination, car on n'en voit nulle trace sur lui-même.

GÉRONTE. - Mais alors c'est une maladie imaginaire.

VALMONT. - Non pas ! Elle est réelle ! il est malade ; il est même très malade ! Il ne connaît pas sa maladie, moi-même, je ne peux pas la définir. Voilà pourquoi le cas est grave, quoi que votre fils ne soit pas en danger. C'est un cas particulier, très curieux ; aussi je vais en ce moment chercher un de mes confrères, beaucoup plus célèbre que moi, qui, ayant l'habitude de trouver des maladies là où il n'y en a pas, va certainement découvrir celle que votre fils doit avoir.


GÉRONTE. - Mais le guérira-t-il ?

VALMONT. - Je l'espère ; en tout cas je vais le chercher. Serviteur, monsieur Géronte ! (À part, en sortant.) Je m'en suis tiré tant bien que mal, mais Clitandre s'en tirera-t-il aussi bien ? (Il sort.)




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