THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

FRÉDÉRIC. - Mais maman...

MADAME JACQUES. - Vous m'avez compris n'est-ce pas ? Je le fais sortir par la fenêtre ! (Elle s'éloigne.)

FRÉDÉRIC. - C'est un peu haut, elle demeure au cinquième. Oh, elle dit ça, elle ne le fera pas. Monsieur de Beauquesne saura bien la prendre par les sentiments. Enfin, un peu de courage, il n'y a plus que quelques minutes. Je me risque, je vais monter chez maman et je me cacherai en attendant l'arrivée de Monsieur de Beauquesne. Je tiens à être la lorsqu'il se présentera. Je n'ai qu'à penser que je travaille pour papa, ça me donne de l'audace. Allons-y vivement. (Il se sauve.)


 

ACTE III

La scène représente une mansarde.



FRÉDÉRIC, il entre doucement. - Maman est sortie, je vais me cacher dans une armoire. Oh ! Je l'entends, il est trop tard 

MADAME JACQUES. - Comment ? vous voilà ici ?


FRÉDÉRIC. - Mais, maman, je vous assure...


MADAME JACQUES. - Voulez-vous sortir !


FRÉDÉRIC. - Puisque je vous jure...


MADAME JACQUES, bondissant sur lui- Voulez-vous partir ?
(Il se sauve, elle le poursuit.)


GEORGES. - C'est décidément pour aujourd'hui, je vais attendre qu'il fasse un peu nuit, et je file. Je voudrais bien voir la figure que fera maman lorsqu'elle ne me verra plus là.


MADAME JACQUES. - C'est toi mon Georges, as-tu besoin de quelque chose ? Tu ne me fais jamais de peine toi, cher petit être, tu seras heureux un jour. Sois tranquille, c'est moi qui te le prédis. Tu aimes toujours bien ta mère, n'est-ce pas ? embrasse-moi donc, tu ne m'embrasses jamais.


GEORGES. - Oh ! je t'ai déjà embrassée ce matin.


MADAME JACQUES. - Oui, c'est vrai, va mon Georges, va t'amuser un peu. (Ils sortent.)


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - C'est bien ici, je reconnais la maison. Cet enfant m'a tout bouleversé, aussi j'ai déjà commencé mes démarches et j'espère aujourd'hui même faire mettre ce pauvre homme en liberté. Il s'agit maintenant de voir madame Jacques.


FRÉDÉRIC. - Ah ! c'est vous, M'sieur, j'ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre. J'ai vu maman, je lui ai annoncé votre visite, et elle m'a dit qu'elle vous défendait formellement de venir ici.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Bah ! Alors que faire ?


FRÉDÉRIC. - Mais puisque vous y êtes, restez-y donc 


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Tu crois ? Du reste, moi je veux bien.


FRÉDÉRIC. - Oh ! j'entends maman, allons, Monsieur, du courage, restez-la, moi je me sauve. (Il sort.)


MADAME JACQUES. - Comment, Monsieur, vous ici, malgré ma défense !


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Madame, soyez persuadée que c'est dans votre intérêt que...


MADAME JACQUES. - Dans mon intérêt ? Ah ! je vous conseille d'en parler de mon intérêt. Ainsi, vous n'êtes pas encore satisfait de la honte que vous avez apportée dans notre famille, il vous faut encore venir jusqu'ici pour savourer plus votre aise la misère dans laquelle vous nous avez mis.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Allons donc, Madame, la colère vous égare, il ne s'agit pas de ça !


MADAME JACQUES. - Oui, je sais, vous voulez maintenant vous poser en protecteur ! Mais je vous préviens, Monsieur, que je ne veux rien entendre et que je n'entendrai rien.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Mais voyons, Madame !


MADAME JACQUES. - Bref, Monsieur, vous refusez de partir, n'est-ce pas ?


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Parfaitement, tant que je n'aurai pas les renseignements dont j'ai besoin !


MADAME JACQUES. - Eh ! bien, Monsieur, je vous cède la place, quand vous serez parti je reviendrai.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Mais, Madame, je vous en prie écoutez-moi. (Elle traverse plusieurs fois la scène, il la suit toujours sans pouvoir se faire écouter. Il reste seul.) Ça m'est égal, je ne partirai pas, j'attendrai pendant quinze jours s'il le faut ! (Il s'arrête stupéfait.) Tiens qu'est-ce qu'il a donc ? C'est sans doute l'autre petit garçon de la famille. Il paraît bien occupé. il se parle à haute voix. Si je pouvais entendre ce qu'il dit.
(Il s'éloigne tout doucement, Georges s'avance. Monsieur de Beauquesne vient se placer derrière lui de manière à n'être pas vu.)


GEORGES. - Décidément il faut en finir. C'est aujourd'hui le grand jour, je viens de faire un petit paquet dans lequel j'ai mis quelques vêtements, ça me servira toujours en attendant que je m'en achète des neufs. Maintenant c'est le moment d'aller chercher ma fortune, je vais descendre à la cave pour déterrer mes neuf-cents billets de mille euros qui m'attendent depuis si longtemps, et en route pour... Aïe ! Aïe ! Aïe ! (Monsieur de Beauquesne lui tient le cou dans ses deux mains.) Maman ! Au secours 


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Je vais t'en donner du secours, petit filou ! (Il l’entraîne dans les coulisses. On entend toujours Georges crier. Monsieur de Beauquesne revient seul. Il appelle.) Frédéric, viens donc vite 


FRÉDÉRIC. - Voilà, Monsieur ! Tiens Georges, qu'est-ce qu'il a fait ? Oh ! comme vous l'avez ficelé.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Ce qu'il a fait mon pauvre Frédéric, c'est lui qui a volé les neuf-cent-mille euros, tout simplement.


FRÉDÉRIC. - Bah ! Comment l'avez-vous su ?


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Il a eu l'imprudence de le dire à haute voix, là, à l'instant. J'ai appris de cette façon qu'il les avait enterrés dans la cave et que ce soir même il se disposait à se sauver avec.


FRÉDÉRIC. - Eh bien écoutez, Monsieur, à dire vrai, je m'en doutais, mais je n'aurais pas osé porter une pareille accusation contre lui.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Reste auprès de lui pour qu'il ne se sauve pas. (Frédéric sort vers Georges. Madame Jacques entre.)


MADAME JACQUES. - J'ai entendu mon Georges qui m'appelait, je n'ai eu que le temps de monter. (Apercevant Monsieur de Beauquesne.) Encore vous, Monsieur, vous voulez décidément vous installer chez moi. Est-ce vous par hasard qui avez fait du mal à mon enfant ?


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Pendant votre absence, Madame, j'ai appris tout ce que j'avais besoin de savoir, par conséquent ma présence ici ne vous gênera pas longtemps. J'ai maintenant la preuve que votre pauvre mari est innocent, c'est l'essentiel !


MADAME JACQUES. - Alors, vous croyez m'apprendre là une grande nouvelle, n'est-ce pas ? Croyez-vous que j'aie douté un seul instant de son innocence ?


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Je le pense bien Madame ! Mais malheureusement cette heureuse découverte en cache une mauvaise, car hélas, le voleur se trouve quand même dans votre famille.



MADAME JACQUES. - Vous ne m'apprenez toujours rien de nouveau, Monsieur, et je sais parfaitement que le monstre qui s'est rendu coupable d'une pareille action est mon fils.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - En êtes-vous sûre ? Je crois que vous devez vous tromper !


MADAME JACQUES. - J'ai toujours eu la certitude que c'était mon fils Frédéric.

MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Je m'en doutais, et je tiens beaucoup à vous détourner de cette fausse idée. Tenez, si vous voulez voir le vrai coupable. C'est facile, regardez-le, sa punition commence.


MADAME JACQUES. - Allons donc, mon Georges ! Vous plaisantez, Monsieur !


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Il n'y a rien de plus vrai, Madame ! Ce petit scélérat, se croyant seul tout à l'heure, m'a révélé qu'il avait caché dans la cave les neuf-cent-mille euros, et qu'il se disposait aujourd'hui même à vous abandonner en se sauvant avec mon argent.


MADAME JACQUES. - C'est un rêve, ce n'est pas possible !


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Allons du courage, pauvre mère, ouvrez donc enfin les yeux et sachez reconnaître la valeur de vos deux enfants. Comment ! voilà deux petits êtres, dont l'un, hypocrite, menteur, méchant, capable de toutes les infamies est dorloté, choyé par vous ; tandis que l'autre, pauvre enfant plein de cœur et d'intelligence, en est sans cesse repoussé. Que seriez-vous devenue sans les vingt euros qu'il venait placer chaque jour sous votre porte ?


MADAME JACQUES. - Comment c'était lui qui ?


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Sans doute, et votre cœur restait insensible.


MADAME JACQUES, pleurant- Ainsi je ne m'en suis pas même doutée.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Je vous quitte un instant, je vais revenir, ne vous éloignez pas, n'est-ce pas, Madame, parce que j'attends quelqu'un qui doit venir, je vais au devant de lui.


MADAME JACQUES. - Je suis à vos ordres, Monsieur. (Il sort.) C'est vrai pourtant ! Ah ! j'ai été bien aveugle en effet ! Pourquoi ! Je ne me l'explique pas. J'avais une préférence pour ce petit Georges, tandis que l'autre ! tout me déplaisait en lui, et cependant, jamais il ne m'a donné de motifs de mécontentement, au lieu que l'autre bien au contraire ! Ainsi, sans ce pauvre Frédéric, je serais morte de faim, et tout à l'heure encore je l'ai chassé. Ah, si je le tenais comme je l'embrasserais.


FRÉDÉRIC, se montrant tout doucement- Mais je suis là, Maman 
(Elle lui saute au cou. Ils pleurent et restent ainsi longtemps sans pouvoir exprimer leur pensée.)


FRÉDÉRIC. - Ne pleure donc pas comme ça, Maman.


MADAME JACQUES. - Pauvre petit, je te demande pardon de t'avoir traité ainsi.


FRÉDÉRIC. - Ne parlons plus de ça, maman, n'y pensons plus. (Ils sortent en se tenant enlacés.)


MONSIEUR DE BEAUQUESNE, entrant avec Jacques- Allons du courage, père Jacques.


JACQUES. - Ah, Monsieur, ma pauvre tête déménage, il y a de quoi devenir fou.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Maintenant vous allez être tranquille.


JACQUES. - Jamais, Monsieur, le plus terrible pour moi c'est d'apprendre que je dois tout mon malheur à ce petit scélérat.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Je vous le ferai oublier, père Jacques, je m'en charge. D'abord je vous préviens que vous ne reprendrez plus ce métier de cocher de fiacre qui vous a été si fatal. J'ai le bonheur d'avoir une grande fortune, j'ai de nombreuses propriétés, je vous donne la garde et la surveillance d'un château que j'ai en Auvergne. Au moins là, vous serez heureux. Je vais m'occuper de Frédéric et lui faire donner une brillante instruction ; avec son intelligence, il sera facile de faire quelque chose de lui. Quant à l'autre, monsieur Georges, il a droit également à toute notre sollicitude, et il faut la lui prodiguer largement. Nous allons également le faire instruire, et comme pensionnat nous choisirons une maison de correction dans laquelle il aura le temps, jusqu'à vingt-et-un ans, de songer à sa faute et de se préparer à une existence honorable.


JACQUES. - Faites comme vous l'entendez, Monsieur, ça vous regarde.


MONSIEUR DE BEAUQUESNE. - Allons embrassez-moi, père Jacques, et pardonnez-moi tout le mal que je vous ai fait involontairement.


(Ils s'embrassent.)



Le rideau tombe.


 


 


 


 



 




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