THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

PIERROT. - Ce n’est pas ce qu’on me dit tous les jours. Au château, où je suis berger, on me commande, on me bouscule, on me dit : Pierrot, viens ici ! Pierrot, va là ! Pierrot, tu n’es qu’un imbécile ! On trouve que je ne fais rien de bon, et c’est peut-être vrai, mais on me le dit durement ! Alors je m’en vais aux champs tout seul et je pleure sur mon pain sec. Je n’ai personne pour me consoler qu'un pauvre chien qui mange mes miettes et qui est souvent battu comme moi. Aussi vous voyez, Madame la princesse. que je ne suis guère intéressant.

LA PRINCESSE, descendant peu à peu. - Je ne trouve pas ! Continue !

PIERROT. - Bien souvent, le soir, je regarde la lune et les étoiles et je m’imagine qu’un de ces astres est attaché à ma destinée, et je lui demande de me révéler les secrets de l’avenir.

LA PRINCESSE. - Et aucun ne répond ?

PIERROT. - Si. Une fois. J’ai entendu un chant merveilleux qui a duré longtemps. Malheureusement je n’y pouvais rien comprendre, car je ne connais pas le langage des étoiles. Quand il fut fini, je vis s’envoler un rossignol, alors, je crois bien que c’est l’oiseau qui avait chanté.

LA PRINCESSE. - Sais-tu que tu es bien gentil, mon petit Pierrot !

PIERROT. - Je ne sais qu‘une chose, c’est que vous êtes bien belle et surtout bien bonne de me parler ainsi. Vous m‘avez tout à fait rassuré et mon cœur se sent tout entier porté vers vous. Quel malheur de n‘être qu‘un petit pâtre !

LA PRINCESSE. - Pourquoi cela ?

PIERROT. - Si j'étais un seigneur, il me semble que je vous dirais de jolies choses. Je vous dirais : Belle Princesse, regardez-moi, vos yeux sont comme des tisons qui me réchauffent ; parlez-moi, votre voix me berce et me ravit ; aimez-moi, et ce sera le bonheur de ma vie entière.

LA PRINCESSE. - Eh mais ! Tu parles très bien, Pierrot ! Qui t'a donné cette éloquence ?

PIERROT. - Je ne sais pas, mais je crois bien que c‘est vous, car je n’en ai jamais dit autant à personne ! - Ah ! mon Dieu !

LA PRINCESSE. - Qu‘y a-t-il ?

PIERROT. - Voici le seigneur Almanzor et le seigneur Fracassin qui reviennent de ce côté. Ils vont peut-être nous séparer.

LA PRINCESSE. - Ne crains rien. je ne t‘abandonnerai pas.



SCÈNE XII


Les mêmes, ALMANZOR, FRACASSIN

 

FRACASSIN, riant. - Ah ! Ah ! Ah ! Regarde donc, Almanzor, la Princesse est descendue.

ALMANZOR. - Oui. Elle cause avec Pierrot. le petit berger.

FRACASSIN. - Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce qu‘elle s‘humaniserait pour ce manant ?

ALMANZOR. - Il faut le lui demander !

FRACASSIN. - Cela serait drôle !

ALMANZOR, à la princesse. - Princesse ! Vous voici donc revenue sur terre ! L‘enchantement a donc cessé ?

LA PRINCESSE. - Probablement, bel Almanzor ! En quoi cela peut-il vous intéresser, vous n‘y êtes pour rien.

FRACASSIN. - J'espère pour vous que ce drôle de Pierrot n‘y est pour rien non plus.

LA PRINCESSE. - C‘est peut-être ce qui vous trompe.

FRACASSIN. - Quoi ! vraiment, vous auriez préféré ce vilain Pierrot ?

ALMANZOR. - Qui est si mal vêtu et si grossier.

FRACASSIN. - Qui passe sa vie avec des oies, des vaches, des bœufs...

LA PRINCESSE. - Qui valent bien vos moutons et vos lapins.

FRACASSIN. - Qui n‘a point notre joli langage.

LA PRINCESSE. - C'est vrai ! Mais il parle bien mieux que vous, car il se fait comprendre.

ALMANZOR. - Et vous allez l‘épouser ?

LA PRINCESSE. - Si je ne craignais votre refus, je vous inviterais à la noce.

FRACASSIN. - Vous avez un singulier goût !

ALMANZOR. - Autrefois, on dit que les rois épousaient des bergères, maintenant ce sont les princesses qui épousent des bergers.

LA PRINCESSE. - Où est le mal ? Il s‘agit d‘être heureux. Je prends mon bonheur où je le trouve.

FRACASSIN, riant. - Ah ! Ah ! Ah ! Je ne me serais jamais imaginé une semblable aventure ! Mais nous avons troublé votre doux entretien, nous nous retirons.

ALMANZOR. - Et nous vous souhaitons beaucoup de bonheur en ménage.

FRACASSIN. - Et une ribambelle d‘enfants.

ALMANZOR. - Adieu ! Madame Pierrot !

FRACASSIN. - Adieu ! Madame Pierrot !

LA PRINCESSE. - Adieu ! mes jolis seigneurs ! Je vous renvoie vos souhaits. (Almanzor et Fracassin sortent en riant).


SCÈNE XIII


LA PRINCESSE, PIERROT.


PIERROT. - Ah ! Princesse, que j‘ai honte, c‘est à cause de moi qu'ils se moquent de vous.

LA PRINCESSE. - C‘est le dépit qui les fait parler, ils voudraient bien être à ta place.

PIERROT. - Comme vous êtes bonne, chère princesse, pour oublier ainsi mon humble naissance. Vous avez beau m‘encourager, je ne pourrai jamais être votre époux.

LA PRINCESSE. - Pourquoi cela ?

PIERROT. - Parce que vous êtes princesse et que moi, je ne suis qu‘un pauvre Pierrot. Vous ne pourriez que rougir de moi.

LA PRINCESSE. - Et si je n‘étais pas princesse ?

PIERROT. - Peut-être alors que nous serions mieux assortis. Mais qu‘importe ! votre souvenir ne me quittera jamais !

LA PRINCESSE. - Cher petit Pierrot ! - Eh bien, écoute. Je vais te raconter mon histoire et en même temps te faire ma confession. Qui je suis ? Je suis une soubrette.

PIERROT. - Oh ! Princesse !

LA PRINCESSE. - Mon Dieu, oui, Pierrot, et pas autre chose. Un jour que ma maîtresse, qui était une vraie princesse, elle, la princesse Usturberlu, était sortie, moi qui étais coquette et vaniteuse, je m‘avisai de me revêtir de ses beaux habits, de ses colliers, de ses parures ; je pris son éventail, sa boîte àa mouches et sa boîte à tabac et je passai mon temps à me faire des salutations dans la glace, en faisant des minauderies et en m‘appelant Princesse gros comme le bras.

PIERROT. - Il n‘y avait pas de mal puisque personne n‘était là.

LA PRINCESSE. - C‘est ce qui te trompe, Pierrot. Tout à coup, je vis près de moi une vieille femme toute cassée, dont le nez et le menton se rejoignaient et qui me dit : Veux-tu réellement être princesse ? - Je crois bien que je le veux ! lui répondis-je. - Eh bien, je suis fée et peux t‘accorder cette faveur, mais à une condition. - Vite ! Parlez ! Bonne Fée, lui dis-je, elle est acceptée d‘avance. Alors, la Fée, gravement, me dit : Tu as de l‘ambition, ce qui est bien, mais aussi de la vanité, tu aimes à dominer les autres. Je vais te satisfaire. À partir de ce jour, tu es une vraie Princesse, mais pour garder ce titre, il te faudra habiter la forêt voisine et errer au milieu des arbres puisque tu veux être au-dessus des autres. Ton enchantement ne cessera que lorsque tu auras trouvé un soupirant qui t‘aimera pour toi-même et non pour ton titre. Acceptes-tu ?

PIERROT. - Et vous avez accepté ?

LA PRINCESSE. - Hélas ! oui ! mon cher Pierrot ! mais je ne tardai pas à m‘en repentir. Beaucoup de soupirants sont venus, il y en a même qui m‘ont plu, je dois te l‘avouer, mais c‘est vainement que j‘essayai de redescendre à terre, car leurs paroles n‘étaient pas dictées par leur cœur. Tous s‘exprimaient comme Almanzor et Fracassin, cherchant la gloire de leur alliance, et ne m‘aimant que pour cela.

PIERROT. - Pauvre princesse !

LA PRINCESSE. - Ne m‘appelle plus ainsi. - Je désespérais, c‘est alors que je t‘aperçus, et tu étais si gentil, si câlin, si mignon, je sentais si bien que tu m‘aimais, que mon cœur se fondit et je descendis peu à peu à côté de toi. À ce moment, ma vanité disparut avec mon titre et celle qui est maintenant près de toi n‘est plus que Colombine, la soubrette qui t‘aime de tout son cœur et n‘a pour toute ambition que de devenir Madame Pierrot !

PIERROT. - Ah ! Colombine ! Je n‘ai plus peur maintenant ! - Si, cependant...

LA PRINCESSE. - Quoi donc ?

PIERROT. - J‘ai peur de ne pas te rendre assez heureuse !


CHŒUR.


Air : Le chien perdu ou Cadet Roussel (Houssot).


I
Allons nous en chez le bailli

Qui nous attend depuis midi ;
Il a grand hâte, j‘imagine,
D‘unir Pierrot à Colombine.
Oui, oui, les deux époux
Feront ce soir bien des jaloux !


II
Pierrot est un gentil garçon,

Il est aussi gai qu‘un pinson ;
Colombine est fraîche et jolie
Comme une fleur de la prairie ;
Oui, oui, les deux époux
Feront ce soir bien des jaloux !


III
Puissions-nous les revoir un jour,

Quand ils seront vieux à leur tour,
Qu‘ils branleront de la tête,
Se souvenir de cette fête,
Oui, oui, les deux époux
Feront ce soir bien des jaloux.


(Rideau)


     La présente pièce a été écrite pour des marionnettes à tringles :

(http://theatredemarionnettes.wifeo.com/les-marionnettes-a-tringle.php)

     par Lemercier de Neuville :
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Lemercier_de_Neuville),

     en mettant en scène Pierrot et Colombine  :
(http://theatredemarionnettes.wifeo.com/polichinelle-et-compagnie.php).

     D'autres pièces pour marionnettes de cet auteur sont visibles à partir de :
http://theatredemarionnettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php

     Il faut préciser que L. Lemercier de Neuville a également écrit pour les ombres chinoises : http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/lemercier-de-neuville.php


     Cette pièce présente des similitudes avec La Belle aux cheveux d'or du théâtre Séraphin :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/la-belle-aux-cheveux-dor.php



 
 



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