THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LA PRINCESSE ENCHANTÉE

Lemercier de Neuville

 

Pièce féerique en un acte

pierrot et colombine, pantins de papierhttp://urlz.fr/6lqq

PERSONNAGES :

ALMANZOR,
FRACASSIN,
PIERROT,
LA PRINCESSE (Colombine).

 

Une forêt


SCÈNE PREMIÈRE

ALMANZOR.

 

Que ce carrefour de la forêt est séduisant ! Les rameaux des arbres sont entrelacés et le soleil y tamise ses rayons dorés ; les oiseaux y chantent des chansons ravissantes ; on y entend le murmure des petits ruisselets et les fleurs cachées sous les herbes y répandent les parfums les plus doux ! C'est ici assurément que doit se trouver celle que je cherche depuis plus de huit jours et que je n'ai pu encore rencontrer. Si j'en crois Maugis, l'astrologue du château, c'est dans cette forêt que se cache une princesse enchantée et, si j'avais le bonheur de lui plaire, je deviendrais son époux. Mais, pour lui plaire, il faut la voir et jusqu'alors elle s'est dérobée à ma vue. Ah ! Qu'elle se montre et je suis sur qu'elle ne sera pas cruelle ! Je suis beau, j'ai de l'esprit, que faut-il de plus ? Je suis en outre de bonne famille ; mon père est le précepteur des perroquets du Roi, avec le titre de baron et moi, j'apprends aux lapins de garenne à battre du tambour ; tout cela doit m'avantager ! Mais j'entends du bruit dans la forêt ; quel est l'importun qui vient me déranger ? Ciel ! c‘est Fracassin, mon camarade à la cour, qui apprend aux montons à sauter à la corde, saurait-il le motif qui m‘amène ici ? Maugis est si bavard !


SCÈNE II


ALMANZOR, FRACASSIN


FRACASSIN. - Il me semble que c’est de ce côté qu‘Almanzor a dirigé ses pas ; est-ce que, comme moi, il serait à la recherche de la princesse enchantée ?

ALMANZOR. - Tiens ! c‘est toi, Fracassin ? Que viens-tu faire donc ce côté de la forêt ?

FRACASSIN. - Sans doute ce que tu viens y faire toi-même.

ALMANZOR. - Mais je viens me promener et en même temps voir si je ne trouverais pas un petit lapin à qui je pourrais apprendre à battre du tambour.

FRACASSIN. - Eh bien. moi je viens me promener aussi.

ALMANZOR. - Oh ! ce n'est pas ici que tu trouveras des moutons pour les faire sauter à la corde.

FRACASSIN. - Aussi, je n‘en cherche pas ; je me promène, voilà tout.

ALMANZOR. - Tu es libre ! Seulement moi, quand je me promène, j'aime à être seul.

FRACASSIN. - C'est me dire que je te gène, mais tant pis pour toi, cet endroit-ci me plaît.

ALMANZOR. - Si tu veux être franc, tu me diras que tu as un autre motif pour venir ici.

FRACASSIN. - Sans doute le même motif que toi.

ALMANZOR. - Tu l'avoues. Maugis t'a parlé.

FRACASSIN. - Maugis !

ALMANZOR. - Oui, Maugis, l'astrologue.

FRACASSIN. - Et quand cela serait ?

ALMANZOR. - Il t'a dit qu'il y avait dans cette forêt une princesse enchantée.

FRACASSIN. - Et après laquelle tu cours !

ALMANZOR. - Et toi aussi.

FRACASSIN. - Je ne dis pas non ! Mais je ne l'ai pas encore rencontrée, ni toi non plus.

ALMANZOR. - C'est vrai ! Mais je ne crois pas qu'en nous voyant tous les deux, elle se décide à se montrer.

FRACASSIN. - Pourquoi donc pas ?

ALMANZOR. - Parce qu'elle se trouvera dans un grand embarras. Je crois sincèrement que je dois lui plaire ; toi, tu penses lui être irrésistible, elle ne saura lequel des deux choisir.

FRACASSIN. - Oh ! Je suis certain qu'elle n'hésitera pas !

ALMANZOR. - Oui. Tu es assez fat. Je croyais cependant que tu ne voulais pas du mariage.

FRACASSIN. - J'ai changé d'avis. Tu comprends que le sujet en vaut la peine. Une princesse enchantée ne se trouve pas tous les jours. Que regardes-tu en l'air ?

ALMANZOR. - Hé ! Mais je cherche à l'apercevoir. Tu ne connais donc pas la nature de son enchantement ?

FRACASSIN. - Maugis ne m'en a point parlé.

ALMANZOR. - Eh bien la princesse a été séquestrée dans cette forêt par une fée puissante à laquelle elle avait déplu. En outre, elle a été condamnée à errer dans les airs, jusqu'au moment où un mortel arriverait à lui plaire ; pour cela, il faut certaines conditions et nous ne les connaissons pas. Je crois cependant que ma figure lui reviendra.

FRACASSIN. - Bah ! la figure, c'est peu de chose. La force, l'énergie, l'audace valent mieux !

ALMANZOR. - Nous verrons bien ! En attendant, ce n'est pas en nous voyant ensemble qu'elle se décidera à se montrer. Il faut que l'un de nous deux cède la place à l'autre.

FRACASSIN. - Eh bien retire-toi.

ALMANZOR. - Non ! J'étais ici le premier.

FRACASSIN. - Et qui te dit qu'elle est ici ? La forêt est grande, elle peut tout aussi bien être ailleurs.

ALMANZOR. - Certainement ! Va donc d'un autre côté. Écoute ! Puisque nous sommes rivaux, il ne faut pas que cela nous empêche d'être amis. Agissons loyalement. Laisse-moi seul ici. Si j'échoue près de la princesse, je te laisserai la place.

FRACASSIN. - Évidemment ! L'important est d'abord de la trouver. Au fait, comme rien ne nous indique qu'elle soit ici plutôt qu'ailleurs, je vais faire un tour dans le voisinage où je la rencontrerai peut-être. Si cela est, je ne reviendrai pas, sinon dans un quart d'heure je suis ici et je te remplace. Voilà une convention des plus loyales, je pense.

ALMANZOR. - Je l’accepte ! Va donc de ton côté.

FRACASSIN, à part. - Je ne risque rien ! S’il la voit, il ne lui plaira pas ! (Il sort).

 


SCÈNE III

ALMANZOR (seul).


Je ne lui ai pas dit que j’avais choisi cette clairière parce que les arbres y sont plus espacés et que, par conséquent, la princesse pourra s’y mouvoir plus aisément. Voyons ! Regardons bien. Si elle est là, comment attirer son attention ? Eh ! Parbleu ! c’est bien simple ! Appelons-là : Princesse ! Princesse !


SCÈNE IV


ALMANZOR, LA PRINCESSE (voletant dans l’air).


LA PRINCESSE. - Qui m’appelle ?

ALMANZOR. - C’est moi ! Adorable Princesse !

LA PRINCESSE. - Qui, vous ?

ALMANZOR. - Almanzor, le précepteur des lapins de la Cour ! Ah  Princesse ! comme il y a longtemps que je vous cherche !

LA PRINCESSE. - Vraiment ! Mais vous ne me connaissez pas.

ALMANZOR. - Je sais que vous êtes belle et malheureuse. Une fée cruelle vous défend de descendre sur terre, à moins que vous n’ayez trouvé un époux à votre gré et je me présente dans l'espoir de vous délivrer.

LA PRINCESSE. - C'est que c'est très difficile.

ALMANZOR. - Daignez me regarder un peu, vous verrez que vous ne pouvez faire un meilleur choix.

LA PRINCESSE. - Je vous vois ! mais je ne connais pas vos qualités.

ALMANZOR. - Je suis beau !

LA PRINCESSE. - C'est un avantage, mais ce n'est pas une qualité. Êtes-vous bon ?

ALMANZOR. - Pouvez-vous en douter ?

LA PRINCESSE. - C'est que j'en doute un peu ; j'ai rencontré dans la forêt un de vos petits lapins qui s'était échappé et il m'a dit que vous le meniez à la baguette.

ALMANZOR. - Il faut bien faire son éducation.

LA PRINCESSE. - Êtes-vous brave ?

ALMANZOR. - Je n'ai jamais eu l'occasion de le prouver, mais je le crois.

LA PRINCESSE. - Eh bien, il y a dans ce bois, un dragon horrible, qui a plusieurs têtes et qui m'a causé déjà de grandes frayeurs ; tuez-le et je consentirai peut-être à faire attention à vous !

ALMANZOR. - Un dragon ! Que me dites-vous ? Si j'avais su j'aurais pris des armes ! Vous comprenez que sans armes je ne saurais aller au-devant de lui.

LA PRINCESSE. - Même pour me défendre ?

ALMANZOR. - Hélas ! Ce serait inutile ! Je succomberais sans vous sauver.

LA PRINCESSE. - Je vois que vous n’êtes pas bien valeureux ; mais au moins êtes-vous adroit.

ALMANZOR. - Ce n’est pas l‘habileté qui me manque.

LA PRINCESSE. - Eh bien ! Puisque je ne puis venir près de vous, venez près de moi.

ALMANZOR. - Dans ces arbres ?

LA PRINCESSE. - Sans doute !

ALMANZOR. - Quoi ! Vous voulez me faire monter à l’arbre comme un ours.

LA PRINCESSE. - Non, comme un amoureux désireux de plaire à sa belle.

ALMANZOR. - Mais j’abîmerais mon bel habit.

LA PRINCESSE. - Vous y tenez donc plus qu’à moi ?

ALMANZOR. - Encore si j'avais des ailes !

LA PRINCESSE. - Je vois que tous les obstacles vous effrayent.

ALMANZOR. - Non ! Mais quand ils sont insurmontables !

LA PRINCESSE. - Je crois qu‘il vous manque bien des choses ! Si vous voulez me plaire il faudra les acquérir. Vous n'avez ni bonté, ni courage, ni adresse, ni persévérance. Vous croyez que votre beauté peut remplacer tout. Vous vous trompez. Dans votre jolie personne, il n’y a pas de cœur, vous n’êtes pas pour moi.

ALMANZOR. - Mais c’est mon cœur justement que je veux vous donner.

LA PRINCESSE. - Je n'en veux pas, il n'est pas assez chaud.

ALMANZOR. - Ah ! Princesse ! que dites-vous ! Je vous jure...

LA PRINCESSE. - Je ne crois pas à vos serments. Ce sont des preuves que je veux.

ALMANZOR. - Je vois bien que vous vous moquez de moi.

LA PRINCESSE. - Eh bien, si vous le voyez, vous savez à quoi vous en tenir.

ALMANZOR. - Au moins permettez-moi d'espérer...

LA PRINCESSE. - Turlututu ! Bonsoir ! (Elle se cache dans les arbres).

 

SCÈNE V

 

ALMANZOR, seul.

 

     Quelle petite pécore ! A-t-on vu cette prétention de me faire monter dans les arbres, comme si j'étais un oiseau ou un sylphe ? Évidemment elle ne tient pas à redescendre sur terre, car elle ne trouvera jamais un plus beau parti que moi. Que lui faut-il donc ? Je me le demande ! Elle est jolie, j'en conviens, mais elle est vraiment trop capricieuse ! Avec mon caractère doux, égal, placide, j'aurais été malheureux avec elle. Bah ! je suis tout consolé. Et puis, il y a d'autres princesses qu'elle et qui ne sont pas enchantées, à qui l'on peut parler sans lever la tête dans les airs et qui ne vous font pas des questions saugrenues. Allons ! Allons ! n'y pensons plus.

 



Créer un site
Créer un site