THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE VI

 

ALMANZOR, FRACASSIN

 

FRACASSIN. - Eh bien ! Te voilà seul, comme moi ; il faudra chercher dans une autre partie de la forêt.

ALMANZOR. - C’est inutile !

FRACASSIN. - Tu l’as donc vue, cette princesse ?

ALMANZOR. - Oui je l’ai vue.

FRACASSIN. - Et tu lui as parlé ?

ALMANZOR. - Je lui ai parlé.

FRACASSIN. - Pourquoi n’est-elle pas près de toi ? Elle ne t’a donc pas plu ? Elle n’est donc pas jolie ?

ALMANZOR. - Au contraire, elle est charmante ! Mais elle a un caractère...

FRACASSIN. - Un mauvais caractère ? Tant mieux ! Je la dompterai.

ALMANZOR. - Et des exigences !

FRACASSIN. - Tant mieux ! Je lui ferai voir que c’est moi qui dois en avoir.

ALMANZOR. - Figure-toi qu ’elle voulait me faire monter à l’arbre pour aller l’y retrouver !

FRACASSIN. - C’est original ! Il fallait monter.

ALMANZOR. - Merci ! C'eut été par trop ridicule.

FRACASSIN. - Enfin, tu as renoncé à elle ou plutôt elle a renoncé à toi.

ALMANZOR. - L'un et l‘autre.

FRACASSIN. - Voilà qui va bien ! Alors, je puis me présenter ?

ALMANZOR. - Si tu veux ! Mais je t'avertis que tu ne réussiras pas plus que moi.

FRACASSIN. - C'est à savoir ! En tous cas, je vais essayer.

ALMANZOR. - À ton aise. Je te laisse. (Il sort).


SCÈNE VII

 

FRACASSIN, seul


     Son insuccès ne m'étonne pas ! Il ne sait pas parler aux femmes ! C'est un timide et un peureux. Moi, au contraire, j'ai de l'audace, de l'aplomb et on ne me congédie pas facilement. Nous allons voir ça ! - Mais je ne la vois pas ! Il faut lui faire savoir que je suis ici. J'ai une belle voix, je vais lui chanter une petite chanson.

AIR : Ronde de Mademoiselle Lili (Houssot),

ou Arlequin tient sa boutique.

 

I
La princesse si jolie,
Dans les airs a pris son vol ;
Elle tient, là, compagnie
À monsieur le rossignol...
Elle est ici,
Non, elle est là,
Bienheureux qui la verra.

II
On dit qu'elle est adorable
Avec ses beaux cheveux d'or ;
Suis-je le mortel capable
De posséder ce trésor ?
Elle est ici,
Non, elle est là,
Bienheureux qui la verra.

III
Princesse ! Aimable Princesse !
Faut-il perdre tout espoir ?
Calmez mon cœur en détresse.
J’ai tant désir de vous voir !
Elle est ici,
Non, elle est là,
Bienheureux qui la verra.


SCÈNE VIII

FRACASSIN, LA PRINCESSE


LA PRINCESSE. - Oh ! oh ! Quel est ce bel oiseau qui chante si bien ?

FRACASSIN. - Ce bel oiseau. c’est moi Princesse. Fracassin, pour vous servir. c’est moi qui apprends aux moutons du Roi à sauter à la corde, et ils sautent bien, je vous le jure.

LA PRINCESSE. - Vous avez là un joli métier.

FRACASSIN. - Je suis heureux qu’il vous plaise, mais je voudrais que vous reportiez votre sympathie sur le professeur.

LA PRINCESSE. - Autrement dit, vous voudriez me plaire.

FRACASSIN. - Précisément ! Oh ! comme vous me comprenez tout de suite ! Nous sommes faits pour nous entendre.

LA PRINCESSE. - Cela n’est pas sûr ? Car je suis très exigeante.

FRACASSIN. - Eh mais, je suis votre homme ! Commandez et j'obéirai.

LA PRINCESSE. - Ce n‘est pas votre habitude, pourtant, et je vous sais gré de cette soumission que je n’ai pas demandée.

FRACASSIN. - Voulez-vous que j’aille vous retrouver dans les arbres ?

LA PRINCESSE, riant. - Ah ! ah ! Votre ami vous a dit... ? - Non, je ne vous demande pas cela, car vous seriez capable de le faire. Je ne vous demande pas non plus de tuer le dragon qui est dans cette forêt...

FRACASSIN. - Un dragon ? Je cours...

LA PRINCESSE. - C'est inutile ! Ce dragon est de mon invention, il n'existe pas ! Je voudrais...

FRACASSIN. - Cela va être bien difficile puisque vous hésitez.

LA PRINCESSE. - Je voudrais que vous me fissiez un compliment. Car depuis que vous me parlez, vous qui prétendez devenir mon époux, vous n'avez pas encore songé à m'en faire.

FRACASSIN, interdit. - Un compliment ! - C'est ma foi vrai que je ne vous en ai pas encore fait, mais il est en dedans.

LA PRINCESSE. - Eh bien ! Sortez-le.

FRACASSIN. - C'est que je n'ai pas beaucoup l'habitude ! Et puis je ne sais pas s'il vous conviendra.

LA PRINCESSE. - Faites-le tout de même.

FRACASSIN. - Eh bien, voilà Princesse : Rien n'égale votre beauté ! Vos yeux sont des diamants noirs, vos lèvres, du corail, vos dents, des perles, vos cheveux, les rayons du soleil. On ne peut vous voir sans se jeter à vos genoux et sans avoir le désir de mourir pour vous !

LA PRINCESSE. - Et tout cela est bien sincère ?

FRACASSIN. - Oh ! Princesse ! pouvez-vous doutez de mes sentiments ?

LA PRINCESSE. - Vous avez une façon de parler qui est des plus entraînante ! Pour un peu je vous prendrais au mot.

FRACASSIN. - Vous me feriez mettre à genoux ?

LA PRINCESSE. - Non ! mais je vous demanderais de vous passer une épée au travers du corps pour l’amour de moi ! Est-ce que vraiment vous le feriez ?

FRACASSIN. - Oui certes ! Malheureusement je n’ai pas en ce moment l’épée au côté.

LA PRINCESSE. - Cela importe peu ! Il y a bien d’autres moyens de se donner la mort.

FRACASSIN. - J’en conviens ! Mais pour vous prouver mon adoration pour vous, croyez-vous que cela soit bien nécessaire ?

LA PRINCESSE. - Évidemment.

FRACASSIN. - Mais moi j’en doute ! Car enfin, réfléchissez ! Si je meurs, je ne puis être votre époux.

LA PRINCESSE. - C’est vrai ! Mais vous auriez prouvé que vous auriez mérité de l’être.

FRACASSIN. - Et après ?

LA PRINCESSE. - Et après ? Je vous pleurerai jusqu’à la fin de mes jours.

FRACASSIN. - Ça nous avancera bien tous les deux ! Non, Princesse, ma mort ne vous prouvera pas mon amour. Descendez de la feuillée qui vous cache, approchez-vous de moi.

LA PRINCESSE. - Malheureusement, je ne le puis.

FRACASSIN. - Quoi ! Ne vous aurais-je pas convaincue ?

LA PRINCESSE. - Hélas ! non ! - Je vois bien que vous désirez vous unir à moi, que ma beauté vous séduit, que mon titre de princesse vous attire, mais votre cœur ne se livre pas assez et c'est pourquoi je ne puis descendre près de vous.

FRACASSIN. - Allons ! je vois bien clair maintenant.

LA PRINCESSE. - Et moi aussi !

FRACASSIN. - Vous êtes une coquette !

LA PRINCESSE. - Et vous un fanfaron !

FRACASSIN. - Mais vous avez tort, jamais vous ne retrouverez un fiancé comme moi.

LA PRINCESSE. - Je l'espère bien ! Adieu donc beau chevalier !

FRACASSIN. - Adieu Princesse fantastique !

LA PRINCESSE. - Quittons nous au moins bons amis.

FRACASSIN. - Oh ! je ne vous en veux pas !

LA PRINCESSE. - Eh bien ! en vous en allant, chantez-moi encore votre petite chanson !

FRACASSIN. - Puisque vous le voulez, j'y consens !

suite de l'Air : Ronde de Mlle Lili (Houssot)

ou Arlequin tient sa boutique.

 

IV
La princesse par trop fière
Vient de reprendre son vol ;
Elle aime beaucoup mieux plaire
À monsieur le rossignol.
C’est par ici.
Ou bien par là
Qu’elle le… retrouvera !


V
Adieu. Princesse cruelle.

Et dont le cœur est muet ;
À quoi vous sert d’être belle
Si personne ne vous plaît !
Allez par-ci.
Allez par-là.
Puisque nul ne vous plaira ! (Il sort.)


SCÈNE IX

 

LA PRINCESSE, dans les airs.


     Va ! va ! chante ! Tu n’es pas celui que j’attends et que j'ignore ! Viendra-t-il ? Ceux-là n’ont rien qui m'attire : le premier, présomptueux et peureux, l’autre, fat et égoïste. Pas un d’eux n’a de cœur ! Ils ont l’air de me rechercher, mais il n’en est rien. Ils s’offrent ! Ah ! qui me délivrera. J’espère pourtant bien ne pas passer ma vie dans les airs. ( Elle s'éloigne dans les arbres.)


SCÈNE X


PIERROT.


     Voilà. par exemple une histoire incroyable. Je viens de rencontrer le seigneur Almanzor qui causait avec le seigneur Fracassin. Ils parlaient haut, se croyant seuls, aussi me suis-je caché derrière un buisson pour les écouter. Ils disaient qu’ils avaient rencontré dans la forêt une princesse enchantée qui voletait au milieu des arbres et qu’elle n’avait pas voulu agréer leurs compliments. Ils ne semblaient pas contents, les beaux seigneurs, aussi ne se gênaient-ils pas pour se moquer de la Princesse. Cela me semble un conte à dormir debout, mais je viens à tout hasard pour voir ce qu'il y a de vrai dans cette histoire. D'abord, je n'ai jamais vu de princesse de ma vie ; un pauvre Pierrot comme moi a vu si peu de chose ! Mais, si elle m'apparaît, je vais être joliment intimidé.

 

SCÈNE XI

 

PIERROT, LA PRINCESSE

 

PIERROT. - Regardons un peu dans les feuillages ! Je ne vois rien, pas même les petits oiseaux. Sans doute les seigneurs auront inventé cette histoire pour se moquer de moi et me punir de les avoir écoutés, car ils ont peut-être surpris ma présence derrière le buisson. C'est égal ! cet endroit est si joli que je ne suis pas fâché d'y être venu.

LA PRINCESSE. - Qui est là ?

PIERROT. - Ciel ! Une douce voix ! C'est la Princesse !

LA PRINCESSE. - Eh bien, on ne répond pas !

PIERROT. - Oh ! mon Dieu ! Il faut lui répondre ! - C'est moi, madame la Princesse, le petit Pierrot, oh ! mais je ne veux pas vous déranger, je m'en vais.

LA PRINCESSE. - Reste, au contraire - je te fais peur ?

PIERROT. - Un peu, Madame la Princesse.

LA PRINCESSE. - Mais tu ne m'as pas seulement regardée.

PIERROT. - C'est que je n'ose pas ! Vous comprenez : un Pierrot ! Une Princesse !

LA PRINCESSE. - Allons ! Ne crains rien ! Regarde-moi !

PIERROT. - Ciel ! Que vous êtes belle !

LA PRINCESSE. - Tu n’as pas autre chose à me dire ?

PIERROT. - Et que vous êtes bonne pour parler à un pauvre être comme moi.

LA PRINCESSE. - Mais tu en vaux bien un autre.





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