THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

TITYRE. - Je l'ai osé. Seigneur. Écoutez notre histoire.
La Grèce est not' pays, Corinthe nous vit naître.
Nous voyions l'Hellespont du bord de nos fenêtres.

CAMULOGÈNE. - Assez ! tu vas le taire !

MAMILLARUS. - Pas de scène de famille devant le monde, tout ça n'est pas bien clair. Venez, Épistolaire, allons nous expliquer au triclinium, en attendant César qui tarde bien à venir. (Ils sortent.)


SCÈNE IV

DEUX LICTEURS, récitant d'un ton grave, ou chantant à volonté
sur l'air des Gendarmes.



PREMIER LICTEUR.
Ne jamais changer de cothurnes.
C'est bien pénible, en vérité,
Il jaillirait l'eau de plusieurs urnes
Afin de nettoyer nos pieds.
C'est défendu de quitter son hache
Quand on précède l'empereur.
Être inodore, et puis sans tache
C'est ce qui fait le vrai licteur !


DEUXIÈME LICTEUR.
Quand César est dans sa litière,
Faut pas s'écarter un instant.
On doit avaler sa poussière
Et ses miasmes pas odorants ;
Mais quand on remplit bien sa tache,
Faut pas tenir compte des odeurs.
Être inodore et puis sans tache.
C'est ce qui fait le vrai licteur !

PREMIER LICTEUR.
Quand Titus se rend à Cythère,
Nous le suivons discrètement.
Nous mêlions nos faisceaux derrière
Et le faisions passer devant.
Par Bacchus, qu'il tousse ou qu'il crache,
Nous sommes toujours pleins de peur.
Être inodore, et puis sans tâche...
Mais voici venir l'empereur !
Annonçons sa venue chez son ami le sénateur.



SCÈNE V


TITUS, LYCORIS, LES LICTEURS, au fond.


TITUS. - Je suis peut-être un peu en retard ; mais les affaires de l'État, les grâces à signer, ça n'en finit pas. C'est un métier bien difficile de protéger la veuve et l'orphelin, la campagne et la ville de l'opprobre et de l'iniquité.

LYCORIS, entrant. - Ah ! l'empereur ! c'est lui ! César, sauve-moi ! (Elle tombe à ses pieds.)

TITUS. - De quoi s'agit-il ? Parle ! Va, ne te gène pas, je ne suis pas fier. Explique-toi sans crainte, tu es jeune et belle ! Qu'est-ce que tu vends ?

LYCORIS. - Rien. Je pince du tétracorde. Rends-moi mon Tityre !

TITUS. - Tityre tu patule recubans sub legmine fagi. Je connais mes poètes. Donne-moi des nouvelles d'Alexis et de ce formosum de Corydon.

LYCORIS. - Ce n'est ni d'Alexis ni de Corydon, que je ne connais pas, dont je veux vous parler c'est de Tityre. Écoulez notre histoire :
La Grèce est mon pays, Corinthe me vit naître ;
Je voyais l'Hellespont du bord de ma fenêtre,
Et Tityre m'aimait. Nous virions tous les deux
Comme des tourtereaux ; nous étions bien heureux.
Ô champs de l'Arcadie ! ô terre bien-aimée !
Je ne reverrai plus ta rive parfumée,
Tes plaines z-où le thym sait donner au mouton
Un goût de présalé, où le miel est si bon !
Ô mes petits agneaux ! ô mon petit Tityre !
Lycophon m'emmena, triste, sur son navire,
Et les flots ont porté jusqu'ici ma douleur !

TITUS. - Assez, jeune fille, ta tristesse me navre. (Il lui essuie les yeux.) Console-toi, je compatis à ton infortune. Nous chercherons Tityre ensemble. Ne me quitte plus. Je te prends sous ma protection, et si nous ne trouvons pas Tityre, je te ferai un sort. Je ne suis pas fier, va !

LYCORIS. - Oh ! César, tu es grand, noble, généreux et pas fier surtout : car je ne suis qu'une misérable esclave, vendue à prix réduit, et tu daignes me parler, me protéger et m'aider à retrouver celui que j'aime.

TITUS. Que veux-tu ? Je suis comme ça ! (chantant sur l'air de l'Odoista.) 
Y en a qu'ont d' la vanité,
Moi, je n'en ai guère,
Mais j'ai beaucoup de bonté.
— V'là mon caractère !

Quand je n' peux pas aux passants
Payer un p'tit verre,
J' trouve que j'ai perdu mon temps,
— V'là mon caractère !

Je protège la beauté ;
Mais toujours en père
Et jamais par volupté.
— V'là mon caractère !


SCÈNE VI

TITYRE, LES PRÉCÉDENTS.


TITYRE. - Lycoris, tu es libre. Tout est expliqué. Mamillarus me reconnaît pour son fils et Camulogène t'adopte comme étant sa fille.

TITUS. - Alors ! je n'ai plus à faire que les frais de la noce ?

TITYRE. - Quel est celui-là ? Encore un père ?

LYCORIS. - Oui, le père du peuple, César.
     
(Mamillarus, Mamillara, Camulogène, les Licteurs, Pelliculus, tous entrent.)

TOUS. - Ave Caesar, populus senalusque te satutant.

TITUS. - Merci, amis, merci ! Livrez-vous à la joie. Lycoris a retrouvé son Tityre et vice versa. Panem et Circenses !

MAMILLARUS. - Si tu tardes tant, ô César, les rognons de centaure vont refroidir.

TITUS. - Passons au triclinium, les rognons de centaure réchauffés n'ont jamais rien valu.

PELLICULUS. - Arrête, ô César !

TITUS. - Quoi, encore ?

PELLICULUS. - Tu as une mèche de cheveux qui dépasse.

TITUS. - Coupe-la, je t'en fais cadeau.

LYCORIS. - Oh ! César, donne-la-moi !

TITUS.
Elle est à toi. Je ne suis pas fier, va !
Laisse-moi pour l'instant m'adresser au public.
J
e suis, je le sais bien, un empereur très chic,
Un vrai beurre de prince, une meringue d'homme,
Un sucre de César, une merveille en somme ;
Mais vous êtes aussi de très honnêtes gens,
Des spectateurs exquis et pas trop exigeants.
Si vous vouliez, bravant la morale sévère,
Nous irions tous en chœur licher un petit verre
C
hez le tabernarus qui détaille aux passants
Du falerne excellent et doux, chez qui je prends
Un potage parfois et parfois mon absinthe.
Vous n'avez pas le sou ? Tant pis ! Venez sans crainte
Je ne méprise pas ceux qui n'ont pas de quoi.
J'ai l'œil dans la taverne. Je ne suis pas fier, moi !
Si d'hasard, vous étiez un tas de rien qui vaille
Ça m'est encore égal. J'aime assez la canaille.
Elle a pour s'amuser plus d'esprit que ma cour.
Seigneurs ! Vivent le vin, les danses et l'amour !
N'allez pas vous gêner et faire des manières ;
J'aime les bons vivants, c'est dans mon caractère.
J'aime les jupons courts, courts comme mes cheveux
Ces fleurs de mon parterre ! Riez, dansez, je veux
De vos petits pieds blancs suivre la folle danse
Et vider quelques coupes en suivant la cadence :
Je suis un rigolo, mesdames ! Eh bien, quoi ?
Je me moque de tout ! Je ne suis pas fier, moi !

     (
Au rideau. - Baisser le premier rideau, baiser le troisième rideau et relever le premier rideau ; il n'y a plus personne en scène).

LE CORYPHÉE, entrant. - Seigneurs, messieurs, citoyens, belles et jeunes Corinthiennes, la pièce que nous avons eu l'honneur de représenter devant vous est de de Balandard, qui a bien voulu se charger de remplir lui-même, le rôle si délicat de César. Les vers sont presque tous de notre bien-aimé poète, Armandus Sylvestris. Tenui musam meditaris avena. Plaudite, Cives ! Ce qui veut dire : Applaudissez, citoyens   !


Au velarium, c'est-à-dire au rideau.

 



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