BABYLAS. - Où est-elle ? où est-elle ? Vous le savez peut-être mieux que moi, où elle est !
GONTRAN. - Je vous assure, mon cher monsieur Babylas, que personne plus que moi ne prend part à votre douleur.
BABYLAS. - Laissez donc ma douleur tranquille ! Je n'aime pas les flatteurs, et je suis sûr, au contraire, que vous êtes bien heureux du malheur qui me frappe.
GONTRAN. - Moi ? Oh ! par exemple, si on peut dire ! (Il ne peut plus se retenir et lance un formidable éclat de rire.)
BABYLAS. - Ah çà ! dites donc, est-ce que c'est moi qui vous fais rire comme ça ?
GONTRAN. - Oh ! non, du tout, au contraire ! (Nouvel éclat de rire.)
BABYLAS, se précipitant sur lui. - Je vais vous faire rire pour quelque chose, moi, attendez un peu ! (Ils sortent en se poursuivant. Gontran revient plusieurs fois, et au moment où il va parler, Babylas arrive toujours pour sauter sur lui, et le fait sauver.)
GONTRAN, revenant. - Ce pauvre père Babylas ! il est dans le cas d'en faire une maladie. Il serait plus sage, je crois, de lui rendre sa fortune. Ça lui donnera un peu plus de gaieté pour la noce. Voyons, il faut que je me dépêche ; c'est dans une heure que nous allons à la mairie, et je ne suis pas encore habillé. C'est égal, je voudrais bien connaître le résultat de mon entreprise et savoir si j'aurai réussi à le guérir de. son avarice. (Appelant :) Petit Pierre !
PETIT PIERRE, entrant sur scène. - Voilà, m'sieur !
GONTRAN. - Eh bien ! allons chercher sa cassette, nous allons la lui rendre.
PETIT PIERRE. - Oui, m'sieur, j'y cours. (Ils sortent.)
GASPARD, entrant. - C'est curieux, un vol pareil ! je crois plutôt que c'est une simple plaisanterie. Mon pauvre frère est tellement détesté dans le pays que tout le monde le martyrise.
BABYLAS, entrant. - Bonjour, Gaspard.
GASPARD. - Eh bien ! Babylas, tu n'as rien entendu dire ?
BABYLAS. - Absolument rien, mon ami. Oh ! c'est bien fini, jamais je ne retrouverai ma fortune !
GASPARD. -. Il faut te consoler, va ! pourvu que tu aies la santé, c'est le principal. .
BABYLAS. - Ah ! si jamais je la retrouve, ma cassette, je ne serai plus du tout le même. Au lieu de sortir comme je le faisais, je resterai constamment auprès d'elle pour être sûr de ne plus la perdre.
GASPARD. - Le tailleur vient d'apporter des vêtements pour toi ; viens choisir quelque chose à ton goût. (Ils sortent.)
GONTRAN, apportant la cassette. - Ah ! la voilà ! Il s'agit de remettre ceci à son propriétaire et de juger l'effet produit par notre tentative. Voyons, comment lui remettre ça ? Oh ! une idée ! Je vais lui faire faire cette restitution par mademoiselle Hortense ; la voilà justement !... Dites donc, mademoiselle Hortense, écoutez donc ; j'ai quelque chose à vous dire.
HORTENSE, entrant, en toilette de mariée. - Que voulez-vous, monsieur Gontran ?
GONTRAN. - Venez, mademoiselle Hortense, vous allez faire un heureux de plus ; puisque c'est le jour, il faut que tout le monde en profite. Voici ce que vous allez faire. J'ai là la cassette contenant la fortune de votre oncle Babylas.
HORTENSE. - Comment, celle qui a été volée ?
GONTRAN. - Hélas !
HORTENSE. - Elle est retrouvée ? Mais alors, on connaît le voleur ?
GONTRAN. - Certainement.
HORTENSE. - Oh ! le coquin ! Est-ce que vous le connaissez ?
GONTRAN. - Intimement.
HORTENSE. - Qui ?
GONTRAN. - C'est un bien bon garçon, allez !
HORTENSE. - Comment ! vous fréquentez du monde comme ça ?
GONTRAN. - Nous ne nous quittons pas ; il est vrai que j'y suis forcé. Du reste, vous avez, je crois, beaucoup d'affection pour lui.
HORTENSE. - Moi ?
GONTRAN. - Mais, j'en suis sûr !
HORTENSE. - Mais enfin, qui est-ce ?
GONTRAN. - Eh bien ! tenez, je vais vous faire une révélation. Ce voleur...
HORTENSE. - C'est ?...
GONTRAN. - C'est moi !
HORTENSE, éclatant de rire. - Vous ?
GONTRAN. - Parfaitement !
HORTENSE. - Je demande à comprendre.
GONTRAN. - Je ne plaisante pas ; c'est bien moi qui ai dérobé cette cassette à notre oncle ; il est vrai que ce n'était pas dans le but de m'enrichir ou de faire une mauvaise action, au contraire. J'ai voulu par cette tentative essayer de guérir ce brave homme de son horrible avarice, et comme je crois que mon traitement a duré assez longtemps pour me faire obtenir le résultat que je cherche, nous allons le suspendre. Je vais aller lui dire que vous désirez lui parler et, lorsqu'il sera là, vous lui remettrez son trésor. (Il sort.)
HORTENSE. - Voilà une idée ingénieuse, par exemple ! Ce pauvre oncle, il va être joliment heureux en apprenant cette nouvelle !
BABYLAS, dans la coulisse. - C'est bon ; j'irai si je veux, si ça me plaît.
HORTENSE. - Il est toujours de mauvaise humeur.
BABYLAS, il entre à reculons, parlant à la cantonade. - Si j'y vais, ce n'est pas parce que vous me le dites, c'est pour mon bon plaisir. (À Hortense.) Qu'est-ce qu'il y a ?
HORTENSE. - Mon oncle, j'ai quelque chose à vous remettre qui vous fera bien plaisir.
BABYLAS. - Bien plaisir ?... Hélas ! ce n'est pas fait pour moi, le plaisir !
HORTENSE. - Je vous assure cependant que cela fera votre bonheur !
BABYLAS. - Mon bonheur ! Il n'y a que le retour de ma cassette qui pourrait faire mon bonheur.
HORTENSE, montrant la cassette. - Eh bien ! tenez, mon oncle ; justement, c'est ce que j'ai à vous remettre.
BABYLAS se précipite sur sa cassette ; qu'il couvre de son corps, et l'embrasse sur tous les côtés. - Ma fortune !... Ma chérie !... Mon trésor !... Oh ! quelle joie ! quel bonheur !... Je te retrouve donc, enfin ! Tu as voulu m'abandonner, cruelle ! (Il se met à réfléchir ; puis il regarde Hortense. Il lui remet la cassette devant elle.) Écoute, ma chère Hortense, puisque aujourd'hui c'est pour toi un grand jour, je veux aussi participer à ton bonheur. Prends cette cassette, avec ce qu'elle contient ; cela augmentera un peu la dot que te donne ton père. Puisque cet excellent homme a eu la bonté de me proposer de prendre soin de moi lorsque je ne possédais plus rien, je me mets maintenant volontiers dans cette position où je pensais finir mes jours. Va, ma chère Hortense, porte ceci à ton mari.
HORTENSE. - Merci, mon oncle. (Elle l'embrasse.) Merci ! (Elle sort.)
BABYLAS. - C'est drôle, je ne me sens plus le même. Un bouleversement paraît s'opérer en moi. Il me semble éprouver des sentiments nouveaux. Je suis sûr que j'occuperai maintenant une place plus large au milieu du monde, et que les enfants, au lieu de se moquer de moi, me salueront avec respect sur leur passage ! Voilà la première émotion que je ressens ; il est vrai que c'est la première fois que je remplis une bonne action. C'est bon de voir les autres heureux !
GASPARD, entrant. - Mon cher Babylas ! Oh ! c'est bien, ce que tu fais là !
BABYLAS. - Mais non, mon ami, c'est naturel. J'ai mis bien longtemps à comprendre l'existence... Voilà tout.
GASPARD. - C'est très bien, je te le répète. Maintenant, tu vivras au milieu de nous ; nous travaillerons tous ensemble, et tu verras de près comment est fait le vrai bonheur. Allons nous apprêter... Là noce va nous attendre. (Ils s'embrassent.)
FIN.