THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

CADET. - Ah ! mais, comme vous y allez !


BOUDACIER. - Vous comprenez, il ne faut pas s'endormir ! Il s'agit de sauver sa peau ! Une, deux ! Touché ! C'est un coup de pointe ! vous auriez été embroché ! Il faut parer !


CADET. - Parer ! Parer ! Mais vous ne m'en donnez pas le temps !


BOUDACIER. - Allons ! à votre tour ! Attaquez-moi ! Une ! Deux ! Une ! Deux ! fendez-vous ! Je pare ! Recommencez ! Une ! Deux ! Je pare ! Une ! Deux ! Une ! Deux ! Mais touchez-moi donc !


CADET. - Mais vous parez toujours !


BOUDACIER. - C'est ainsi qu'il faut faire ! Imitez-moi ! Maintenant je vous attaque ! Une deux ! Une ! Deux l Une ! Deux ! (Il l'attaque et le fait fuir en le poursuivant.)


CADET. - Assez ! Assez ! Je n'en puis plus !


BOUDACIER. - Vous auriez déjà été mort une dizaine de fois !


CADET. - Eh bien, alors, à quoi me sert votre leçon ?


BOUDACIER. - À m'imiter ! Vous savez maintenant comment il faut faire !


CADET. - Alors la leçon est finie ?


BOUDACIER. - Complètement ! Vous connaissez maintenant le petit, le moyen et le grand jeu ! Vous n'aurez plus qu'à l'exécuter. J'espère que vous n'oublierez rien de ce que je vous ai appris, et que vous ferez honneur à votre professeur. Au revoir, monsieur !


(Boudacier rentre chez lui.)



SCÈNE  VI

CADET


CADET. - Ainsi, maintenant je sais me battre ! C'est singulier ! Je n'aurais jamais cru que j'apprendrais si vite ! Pendant toute la leçon j'ai été battu. Ce n'est pas étonnant, le professeur est plus fort que moi ; mais j'aurais voulu qu'il m'apprît à être au moins aussi fort que lui ! Enfin, je tâcherai de me souvenir de la façon dont il s'y est pris ! Une ! Deux ! Une ! Deux ! C'est cela ! Oui, c'est ainsi qu'il faisait. Une ! Deux ! Une ! Deux ! Allons ! je crois que je m'en tirerai ! Guignol ! Han ! le moment est venu ! C'est drôle ! je n'ai pas autant d'assurance !



SCÈNE  VII

CADET,  GUIGNOL



GUIGNOL. - Ah ! tu es encore là ? Qu'est-ce que tu fais ici ?


CADET. - Ça ne te regarde pas !


GUIGNOL. - Comment ça ? Tu vas encore devenir insolent ! Je t'ai dit que j'avais l’œil sur toi.


CADET. - Eh bien, regarde-moi, si ça te fait plaisir.


GUIGNOL. - Tu étais moins fier tout à l'heure, quand tu m'as fait des excuses.


CADET. - Moi ! Je t'ai fait des excuses ! Allons donc ! je n'en fais jamais !


GUIGNOL. - D'où te vient cette forfanterie ?


CADET. - Je n'ai point de forfanterie ! Seulement, je tiens à ce que tu saches que tu ne me fais pas peur !


GUIGNOL. - Ouais ! (À part.) Est-ce qu'il aurait pris aussi une leçon d'escrime chez Boudacier ?


CADET. - Je n'ai pas un mauvais caractère, mais il ne faut pas m'échauffer les oreilles.


GUIGNOL. - Tu répètes fort bien ce que je t'ai dit ! En attendant, tu vas me faire le plaisir de déguerpir. Je tiens à rester seul ici !


CADET. - Et si je ne voulais pas ?


GUIGNOL. - Je saurais bien t'y contraindre.


CADET. - Qu'est-ce que tu ferais ?


GUIGNOL. - Moi ? je te donnerais une leçon comme tu n'en as jamais reçu !


CADET. - Alors, tu me cherches querelle ?


GUIGNOL. - Dis plutôt que c'est toi ! Pourquoi ne veux-tu pas t'en aller ?


CADET. - De quel droit veux-tu que je m'en aille ?


GUIGNOL. - Assez comme cela ! Si tu savais te battre, je t'apprendrais qu'il ne faut pas s'attaquer à moi !


CADET. - Et qui te dit que je ne sais pas me battre ?


GUIGNOL, à part. - C'est bien ça ! Il a pris une leçon ; il n'a plus peur de moi !


CADET, à part. - Il a l'air d'être intimidé ! Je réussis très bien le petit jeu.


GUIGNOL, haut. - Alors, tu voudrais te mesurer avec moi ?


CADET. - Et pourquoi pas ? Si ça te fait plaisir !


GUIGNOL. - Ma foi ! je châtierais volontiers ton impertinence ! Mais tu me parais bien jeune pour tenir un sabre.


CADET. - Il ne faudrait pas s'y fier ! 
Aux âmes bien nées,
Le sabre n'attend pas le nombre des années.


GUIGNOL. - Ah ! tu fais des citations ! Tu me parais avoir plus de mémoire que de courage !


CADET. - Et toi, tu n'as ni l'une ni l'autre !


GUIGNOL. - Eh bien, il ne sera pas dit que tu m'auras provoqué impunément. En garde !


CADET. - En garde !  part.Il y est venu ! Mais s'il allait être plus fort que moi !


GUIGNOL, à part. - Il a l'air bien décidé ! S'il me blessait, c'est lui qui épouserait Madelon.


CADET. - Eh bien, je t'attends !


GUIGNOL. - Écoute ! Il en est encore temps ! J'ai pitié de toi ! C'est une chose bien grave qu'un duel ! Je ne veux pas abuser de mes avantages. J'ai peut-être été un peu vif ! Fais-moi seulement une petite excuse, toute petite, et je consens à te pardonner !


CADET. - Je ne te ferai aucune excuse ! C'est toi qui m'as provoqué ; je ne veux pas de ta pitié.


GUIGNOL, à part.. - Diable, il est enragé ! Il doit être sûr de lui ! (Haut.) Avant tout, il faut bien établir la situation. La provocation vient de toi.


CADET. - Nullement ! Du reste, ça m'est égal ! C'est moi, si tu veux, qui t'ai provoqué !


GUIGNOL. - C'est que ça change beaucoup les choses !


CADET. - Comment cela !


GUIGNOL. - Sans doute ! Puisque tu avoues m'avoir provoqué, c'est moi qui ai le choix des armes !


CADET. - Ah ! mais non ! Tu as un sabre comme moi, c'est au sabre que nous allons nous battre.


GUIGNOL. - Du tout ! Moi je choisis le pistolet !



CADET. - Le pistolet !  part.) Ah ! mais, je n'ai pas appris le pistolet, moi !


GUIGNOL, à part. - Il recule ! (Haut.) Oui, le pistolet. J'en ai une paire à la maison et je vais les chercher. Je pense que tu n'auras pas la lâcheté de t'en aller ! Attends- moi là. (Il sort.)


SCÈNE  VIII

CADET,  puis  BOUDACIER

 

CADET. - Le pistolet ! En voilà bien d'une autre ! Si j'avais su, je n'aurais pas consenti à être le provocateur ! Le pistolet ! Quelle idée ! Il n'a jamais peut-être tiré un coup de pistolet de sa vie ! Ah ! j'y suis ! C'est un prétexte pour s'en aller ! Il aura eu peur en voyant mon assurance ! Cependant, s'il revenait, il ne faudrait pas être pris au dépourvu. Il me reste encore un petit billet, je vais demander une leçon à Boudacier ! (Appelant.) Monsieur Boudacier ! Monsieur Boudacier ! (Boudacier sort de chez lui.)


BOUDACIER. - Encore vous ! Que me voulez-vous ?


CADET. - Monsieur Boudacier, je voudrais prendre une leçon de pistolet.


BOUDACIER. - De pistolet ! Est-ce que vous vous moquez de moi ?


CADET. - Nullement !


BOUDACIER. - Est-ce que vous voulez tuer des moineaux ?


CADET. - Oui, monsieur Boudacier, de gros moineaux !


BOUDACIER. - Eh bien, mon cher garçon, il faut vous adresser à un autre que moi pour apprendre. Je n'entends rien à ces armes à feu qui font du bruit ! Je ne connais que les armes nobles dans lesquelles on fait passer son âme et non les armes vulgaires au bout desquelles on ne met que ses yeux.


CADET. - Vous dites cela parce que vous ne voulez pas m'apprendre le pistolet.


BOUDACIER. - Et pourquoi ne voudrais-je pas vous apprendre ?


CADET. - Parce que vous croyez que je n'ai plus d'argent ! Mais j'ai encore un petit billet !


BOUDACIER, railleur. - Ah ! vous croyez que je suis intéressé à ce point ! Soit. Eh bien, donnez-moi votre petit billet, je vais compléter votre éducation.


CADET, donnant son argent. - Ah ! ah ! vous allez m'apprendre le pistolet ?



BOUDACIER. - Puisque je vous dis que je ne le sais pas ! Mais je vais vous apprendre une botte avec laquelle on ne manque jamais son homme !


CADET. - Ah ! ah ! elle est infaillible ?


BOUDACIER. - Infaillible ! Tenez, tournez-vous !


CADET. - Que je me tourne ?


BOUDACIER. - Oui ! il peut se faire qu'à un moment donné votre adversaire vous tourne le dos.


CADET, se tournant.. - Oh ! oui, je comprends !


BOUDACIER, lui donnant une bourrade avec la tête. - Alors, vous comprenez !... On lui donne cette botte !


CADET. - Aie ! aie ! Qu'est-ce que c'est que cette botte-là ?


BOUDACIER. - C'est la mienne ! Elle vaut mieux que tous les pistolets du monde ! Adieu ! (Boudacier rentre chez lui.)




SCÈNE IX


CADET,  puis  GUIGNOL
 



CADET. - Il s'est moqué de moi ! Malheureusement je ne puis pas lui en demander raison : c'est mon professeur, il me tuerait ! Avec tout cela, Guignol ne revient pas ! Oh ! je m'en étais bien douté qu'il trouverait un prétexte pour ne pas se battre ! Je raconterai l'histoire à Madelon qui se moquera de lui ! (Guignol paraît au fond avec une paire de pistolets.) Oh ! le voilà ! avec des pistolets ! Je m'étais trompé ! Il paraît qu'il est plus brave que je ne croyais ! Comment me tirer de là ?


GUIGNOL. - Me voici ! Je n'ai pas été trop longtemps ?


CADET. - Si, un peu ! Je croyais que tu n'allais pas revenir.


GUIGNOL. - C'est que je suis entré chez un armurier pour faire charger les pistolets.


CADET, avec effroi. - Ah ! ils sont chargés ?


GUIGNOL. - À balle ! J'en ai fait mettre deux dans chaque pistolet. Comme cela nous ne nous manquerons pas !


CADET, effrayé. - Sapristi !


GUIGNOL. - Allons ! il ne s'agit pas de reculer ! Prends celui-ci. (Il lui donne un pistolet.)


CADET. - Alors, c'est sérieux ?


GUIGNOL. - Je te crois ! Voyons, approche, et fais comme je te dis. Tourne-toi !


CADET. - Ah ! tu vas m'allonger une botte !





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