THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

SCÈNE VII

LE JUGE, se montrant, PIERROT, pendu.


PIERROT
Eh bien ?


LE JUGE
Présomption seulement, mais pas preuve.
Il faut prouver.


PIERROT
Il n'est donc rien qui vous émeuve ?


LE JUGE
Si, je suis très ému ! — Dans le fond, je te crois ; 
Mais enfin, moi, je suis l'exécuteur des lois,
Et ta vie, ô Pierrot, ne sera préservée
Que si ton innocence est amplement prouvée.


PIERROT
Grand Dieu ! Si je pouvais connaître le coquin
Qui m'a... Je suis sauvé ! J'aperçois Arlequin
Avec Polichinelle... Ils s'avancent ensemble,
Les voici ! Cachez-vous ! Ah! maintenant je tremble ; 
C'est mon dernier espoir ! Si ce n'était pas eux ?... 
Écoutons bien ! Ne bougeons plus ! Fermons les yeux !

(Le juge se cache.)



SCÈNE VIII

LES MÊMES, ARLEQUIN, POLICHINELLE


ARLEQUIN
Le voilà !


POLICHINELLE
C'est bien lui !


ARLEQUIN
Quelle drôle de face !


POLICHINELLE
Cette opération fait faire la grimace,
Paraît-il !


ARLEQUIN
Oui ! — Dans la haute position
Qu'il occupe aujourd'hui, quelle est l'inscription
Qui pourrait bien orner son marbre funéraire ?
J'en ai fait une en pur latin, — très littéraire !
« Aspice Pierrot pendu
Qui Librum n'a pas rendu ; 
Si Librum redidisset
Pierrot pendu non fuisset. »


POLICHINELLE
Traduis-la, car je suis si troublé ce matin, 

Que je ne comprends plus un seul mot de latin.


ARLEQUIN
« Regarde Pierrot pendu
Pour avoir volé le livre ;
S
i Pierrot l'avait rendu
Il n'eût pas cessé de vivre ! »


POLICHINELLE
C'est charmant ! et c'est très logique ! C'est complet ! 
Je voudrais les savoir ! — Répète, s'il te plaît.


ARLEQUIN
« Regarde Pierrot pendu. » — Cela veut bien dire 
Qu'il est mort ?


POLICHINELLE
Qu'il est mort, et que nous pouvons rire ;
Qu'on ne nous pendra pas maintenant qu'il est mort !


ARLEQUIN 
Oui ! Mais le second vers est encore plus fort ! 
« Pour avoir volé le... »


POLICHINELLE, l'interrompant.
« ... le livre ! » C'est comique ! 
Un soir que nous étions d'humeur mélancolique 
Il nous vint à l'esprit de jouer un bon tour
À
 notre ami Pierrot. En rôdant à l'entour
Du salon, nous avions, d'une façon discrète,
Pris un livre ; Cassandre en avait fait emplette 
Le jour même. Il paraît qu'il y tenait beaucoup.


ARLEQUIN
Mais, par malheur, Cassandre est rentré tout à coup.
Que faire ? En ne voyant plus le livre à sa place,
Il nous soupçonne...


POLICHINELLE
Alors, tous deux payant d'audace
Nous accusons Pierrot d'avoir fait le délit.


ARLEQUIN
Et nous allons cacher le livre dans son lit.


POLICHINELLE
Cassandre a fait venir le juge. Il verbalise
Et dans tous les endroits fait fouiller à sa guise,
Si bien qu'au bout d'une heure on trouve le bouquin 
Dans le lit de Pierrot. — On l'appelle coquin !
On le met en prison, le juge et le condamne,
Puis enfin on le pend ! Vois comme il se pavane
Au bout d'un fil ! Pendu ! Comme il est bien pendu 
Dis-moi l'autre vers !


ARLEQUIN
« Si Pierrot l'avait rendu »,
Rendu le livre ! Mais on peut très bien comprendre 
Que ne l'ayant pas pris, il ne pouvait le rendre.


POLICHINELLE
C'est juste ! « Si Pierrot l'avait rendu ! » Ma foi !
Je n'aurais pas trouvé ce vers comique, moi !


ARLEQUIN
Je termine par : « Il n'eût pas cessé de vivre ! »


POLICHINELLE, riant.
Ah ! Ah ! Il eût vécu s'il eût rendu le livre !
Ah ! Ah ! Ah !


ARLEQUIN, riant.
Ah ! Ah ! Ah !


LE JUGE
Ah ! Ah ! Ah !

Ah ! Ah ! Ah !


PIERROT, pendu, riant.
Ah ! Ah ! Ah !


ARLEQUIN
Il vit ! Sauve qui peut !

(Arlequin et Polichinelle se sauvent.)



SCÈNE IX

LE JUGE, PIERROT 

 


PIERROT
Eh bien ?

LE JUGE
Descends de là !
Attends ! Je vais t'aider !

(Il l'aide à descendre de la potence.)

Je casse ma sentence.
Il faut que le procès au plus tôt recommence ; 
Nous allons déchirer tous les arrêts rendus, 
Et ce sont tes amis qui vont être pendus !


RIDEAU 

 


INDICATIONS

DÉCOR



Une prison. À droite, près la coulisse, une potence avec sa corde. Le nœud coulant de la corde doit être arrêté et assez large pour que la tête de Pierrot puisse y passer. La table en bois placée dessous est très basse.


COSTUMES 
 

Les sept personnages ont les costumes traditionnels.


ACCESSOIRES


Potence, corde avec nœud coulant. La corde peut être faite avec du fil de fer recouvert d'étoupe ou de coton, afin de tenir rigide et ouvert le nœud coulant.


Table. — La table a les pieds bas. Le nœud coulant doit être à dix centimètres de la table, pour que la jupe de Pierrot descende à hauteur de la scène ou plus bas. (La table n'est utile que pour justifier la possibilité de Pierrot de se pendre lui-même.)


Pour jouer cette pièce seul, placement des personnages :



MAIN GAUCHE .................... MAIN DROITE 
 


Scène I. Le juge .................... Pierrot.
 

                    Scène II. Scapin ...................... Pierrot pendu.

                   Scène III. Le juge .................... Pierrot pendu.

                    Scène IV. La mère Michel ...... Pierrot pendu.

 
                     Scène V. Le juge .................... Pierrot pendu.

                     Scène VI. Cassandre .............. Pierrot

                   Scène VII. Le juge .................... Pierrot pendu.

                Scène VIII. Arlequin .................... Polichinelle.
                    

                     Scène IX. Le juge .................... Pierrot.

 

OBSERVATIONS


     Pierrot qui, dans la pièce, n'a pas de très grands mouvements à faire, peut, si l'on veut éviter la fatigue de tenir trop longtemps le bras en l'air, être fixé sur une tige de bois, comme par exemple un bout de manche à balai de vingt-six à trente centimètres de longueur. Les mouvements des bras se feront simplement en en faisant tourner la tige légèrement.

 



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