THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

RONFLAHAU, entrant- Je n'aime pas beaucoup ces manières-là ! Ça me déplaît souverainement ! Suis pas habitué à ça, moi ! A-t-on jamais vu un sans gêne pareil ? Pour une fois que je viens dîner à là campagne chez mon neveu, il m'apprend qu'il me reçoit chez des voisins que je ne connais pas ! C'est une manière de se débarrasser de moi, tout simplement. Aussi, je vous promets que, s'il n'y a pas un dîner copieux, je ne fais ni une ni deux, j'ai mon retour dans ma poche, je refile à Paris, pas plus gêné que ça, moi. Qu' c'est qu' ça, donc ? (Pomaluil entre à ce moment et se tient derrière lui.) Il m'annonce un p'tit château ! C'est ça, un p'tit château ? Une vulgaire bicoque t' simplement ; j'en voudrais pas pour loger mes lapins. C'est un ancien épicier qui habite ça, un abruti, à ce que m'a dit mon neveu.

POMALUIL. - Bah ! ça va bien ?

RONFLAHAU, à part- Pas mal, et vous ? Tiens, c' qui fait là, c'lui-là ? Un invité, sans doute. Il a une honnêteté. (Haut.) Mande pardon, vous voyais pas ! Vous êtes un ami de la maison, pas vrai ? Moi, je n'y connais personne, c'est mon neveu qui m'amène ici. Il paraît que ces propriétaires sont des épiciers parvenus, des abrutis, dit-on. Mais je vous dis ça moi, j'ai peut-être tort ; vous êtes peut-être bien ensemble ? Connaissez-vous le propriétaire ?

POMALUIL. - On ne peut mieux, monsieur, attendu que c'est moi-même.

RONFLAHAU. - Comment ça, c'est vous ? Ah çà ! vous ne pouviez pas me le dire tout de suite ! C'est stupide, ce que vous faites là. Vous me faites faire un impair ! Enfin, ça ne fait rien, je ne vous en veux pas, je ne suis pas susceptible. Dites-moi, mon neveu a dû vous dire que j'ai l'habitude de dîner à six heures.

POMALUIL. - À six heures, c'est que...

RONFLAHAU. - Quand je dis six heures, c'est pas six heures cinq, c'est six heures. Et puis, comme plats, pas de fadeurs, n'est-ce pas ? J' n'aime pas ça ! Je ne tiens pas à la quantité : pourvu qu'ils soient nombreux, ça me suffit ; c'est tout ce que je demande. Maintenant, ne restez pas là à me regarder en bâillant comme une carpe ; allez donner des instructions en conséquence. À six heures je serai là ; si c'est pas prêt, je vais dîner au cabaret le plus proche. (Il sort.)

POMALUIL, le regardant partir sans trouver une parole. - À la bonne heure ! Heureusement que j'étais prévenu ; il m'a été impossible de trouver une parole. Ah ! non, ce n'est pas là la tranquillité, que j'avais rêvée ! (Il s'éloigne.)

RONFLAHAU, revenant sur ses pas. - Est-ce assez stupide de vous tracer des jardins comme ça ! J'entre dans cette allée croyant sortir au bout ; pas du tout : c'est une impasse ! Forcé de revenir, sur mes pas. On n'a pas idée de ça, ma parole d'honneur ! (Apercevant madame Pomaluil.) — Tiens, v'là la bonne ! Dites donc, vous, là-bas, écoutez donc un peu ici, je vous prie !

MADAME POMALUIL, entrant- Monsieur ?

RONFLAHAU. - Ah çà ! y a-t-il une promenade praticable dans ce terrain qu'ils appellent leur jardin ?

MADAME POMALUIL. - Certainement, monsieur ! Mais, du reste, le dîner va être servi dans un instant. Je vous engage à ne pas trop vous éloigner.

RONFLAHAU. - Attendez, je vais vous donner huit sous ; vous irez me chercher une bouteille de Saint-Galmier.

MADAME POMALUIL. - C'est inutile, monsieur, je vais envoyer la bonne !

RONFLAHAU. - Comment ? la bonne ? C'est donc pas vous la bonne ?

MADAME POMALUIL. - Ah ! mais du tout, monsieur, je suis madame Pomaluil.

RONFLAHAU. - Allons, bon ! vous êtes donc aussi naïve que votre mari ? Vous ne pouviez pas me dire tout de suite : je suis madame Pomobeur !

MADAME POMALUIL. - Aluil !

RONFLAHAU. - Quoi, à l'huile ?

MADAME POMALUIL. - Madame Pomaluil.

RONFLAHAU. - Pomaluil, Pomobeur ! est-ce que je sais, moi ? Où avez-vous été pêcher ce nom-là ? Ça devrait être défendu de s'appeler comme ça ; c'est bon en carnaval !

MADAME POMALUIL. - Mais, monsieur !

RONFLAHAU. - Enfin c'est bon, en voilà assez ! Le dîner doit être prêt, voilà six heures qui sonnent.

MADAME POMALUIL. - Mais certainement, monsieur ; si vous voulez venir, nous allons nous mettre à table.

RONFLAHAU. - Ah ! sapristi, je ne demande pas mieux, j'ai un appétit d'enfer. (Ils sortent.)

UN INVITÉ, entrant- Moi, si j'habitais par ici, je passerais mon temps à la pêche ; je viens de voir une petite rivière où il doit y avoir du poisson en quantité. Tiens, mais je ne vois plus les invités ! Est-ce qu'ils se mettraient à table sans moi ? (Il se sauve.)

RONFLAHAU, entrant- Par exemple, c'est trop fort ! Agir comme ça envers moi ! En voilà, des misérables ! Mais pour qui donc me prennent-ils ? Me placer à l'extrémité de la table, entre les deux fenêtres, pour que j'attrape un refroidissement et que je meure tout de suite ! Ah ! j'ai dit ma façon de penser à mon neveu : si jamais mon héritage tombe dans ses mains, il faudra qu'il ait de la chance. Les voyageurs pour Paris, en voiture ! (Il se sauve.)

TROUILLARDIN, arrivant avec Pomaluil. - Mais enfin, monsieur, je vous avais prévenu.

POMALUIL. - Mais, monsieur, je ne peux pas faire l'impossible.

TROUILLARDIN. - Vous auriez pu certainement avoir plus d'égards.

POMALUIL. - Allons donc, plus d'égards ! Quand on a un oncle comme ça, on le met au vestiaire.

TROUILLARDIN. - Monsieur, vous êtes un grossier personnage !

POMALUIL. - Vous confondez, monsieur ; c'est vous qui êtes un malappris !

TROUILLARDIN. - C'est à moi que vous parlez ? (Il lui donne un coup de poing. Pomaluil saute sur lui, une lutte terrible s'engage, au milieu de laquelle on distingue des vociférations et des injures ; ils partent et se battent toujours.)

MADAME TROUILLARDIN, arrivant avec Madame Pomaluil- Madame, je vous, dis que votre mari a fort mal agi !

MADAME POMALUIL. - Permettez ; madame, il faut avouer que le vôtre a un singulier caractère.

MADAME TROUILLARDIN. - C'est possible, madame, mais il était votre hôte, et quand on n'a pas plus d'usage que ça, on ne se mêle pas de faire des invitations, on s'enferme.

MADAME POMALUIL. - Dites donc, à qui parlez-vous ? (Elle lui donne un formidable coup de tête. Riposte de madame Trouillardin. lutte épouvantable ; elles sortent en se battant.)

POMALUIL, arrivant d'un côté- Ah ! quelle affaire ! je dois avoir un œil tout noir !

MADAME POMALUIL, arrivant par le côté opposé- Ah ! mon pauvre Alcindor ! je commence à comprendre que j'ai eu tort d'inviter tout ce monde.

POMALUIL. - Il est temps que tu t'y prennes ! Je te le disais bien, que nous n'en aurions que des désagréments !

MADAME POMALUIL. - Aussi, sois tranquille, je te promets que c'est la première et la dernière fois ; c'est une bonne leçon dont je profiterai, je t'en réponds.

POMALUIL. - Ils sont tous partis, n'est-ce pas ?

MADAME POMALUIL. - Tous absolument !

POMALUIL. - Eh bien ! tant mieux, nous voilà seuls pour manger un repas servi pour quinze personnes.

MADAME POMALUIL. - Que veux-tu ? nous en aurons pour toute la semaine.

POMALUIL. - Je te pardonne, mais surtout ne recommence plus.

MADAME POMALUIL. - Je te le promets, Alcindor ! Nous allons nous enfermer ici comme dans une forteresse.


FIN.


 


 




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