THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

NOS  VOISINS  DE  CAMPAGNE


COMÉDIE  EN  UN  ACTE


PERSONNAGES :

POMALUIL.
TROUILLARDIN.
LE COMMANDANT RONFLAHAU,
UN INVITÉ.
MADAME POMALUIL.
MADAME TROUILLARDIN.



par

L. DARTHENAY

domaine public

 

La scène représente un jardin, avec maison de campagne.


POMALUIL. - Voilà le vrai bonheur ; je vais donc enfin savoir ce que c'est que la tranquillité. Quand on a passé trente années de son existence dans le tourbillon des affaires du commerce parisien, on est bienheureux de pouvoir se retirer à la campagne pour y goûter un instant de repos. Je viens d'acheter cette petite maison. Elle me plaît beaucoup, ma foi, et depuis quatre jours que je suis installé dedans, je n'ai pas encore éprouvé un moment d'ennui. Je veux vivre ainsi, en véritable ermite, avec ma femme. Seuls, pas de fréquentations, pas de réceptions aucun rapport avec le voisinage : c'est le véritable et unique moyen de finir mes jours en paix.

MADAME POMALUIL, arrivant. - Ah ! Alcindor, je te cherchais ! 

POMALUIL. - Tu me cherchais, Pulchérie ? Mais me voilà, chère compagne, je contemplais notre bonheur... Crois-tu que nous allons être heureux ? Comment te trouves-tu ici ? Dis-le-moi franchement.

MADAME POMALUIL. - Mais très bien, Alcindor ; jamais je n'ai été plus heureuse, et quand notre installation sera complètement terminée, nous serons ici comme dans un petit palais.

POMALUIL. - C'est ravissant !

MADAME POMALUIL. - Dis donc, Alcindor, j'ai quelque chose à te dire.

POMALUIL. - Quoi donc ?

MADAME POMALUIL. - Je n'ose pas ; j'ai peur que tu me grondes.

POMALUIL. - Comment, c'est si terrible que ça ?

MADAME POMALUIL. - Non, ça n'a rien d'épouvantable, au contraire ; mais enfin je crains de te contrarier.

POMALUIL. - Voyons, explique-toi ! qu'y a-t-il ?

MADAME POMALUIL. - Tu ne me gronderas pas ?

POMALUIL. - Mais non, mais non !

MADAME POMALUIL. - Bien sûr ?

POMALUIL. - Allons, voyons, explique-toi !

MADAME POMALUIL. - Tu connais la famille Trouillardin ?

POMALUIL. - La famille Trouillardin. !  Qu'est-ce que c'est que ça ?

MADAME POMALUIL. - Nos voisins d'à côté, des gens charmants !

POMALUIL. - C'est possible ; mais qu'est-ce que ça peut me faire ?

MADAME POMALUIL. - Figure-toi, mon ami, que je me suis trouvée hier avec madame Trouillardin à la gare, et vraiment c'est une dame bien aimable, bien gentille.

POMALUIL. - Ah !

MADAME POMALUIL. - Oui ! son mari est employé au ministère des affaires étrangères.

POMALUIL. - Allons, tant mieux ! 

MADAME POMALUIL. - Comme elle manifestait le désir de te connaître, je n'ai rien trouvé de plus simple que de l'inviter à dîner pour ce soir.

POMALUIL. - Comment, elle ?

MADAME POMALUIL. - Elle et lui !

POMALUIL. - Allons, voyons, Pulchérie, c'est une plaisanterie ? Tu n'as pas invité des gens que nous ne connaissons pas ?

MADAME POMALUIL. - Mais, mon ami, une fois n'est pas coutume.

POMALUIL. - Comment ! nous venons ici pour être tranquilles, et au bout de quatre jours tu lances déjà des invitations dans le voisinage ? Mais qu'est-ce que ça sera donc dans un an ?

MADAME POMALUIL. - Alcindor, je te le répète, une fois par hasard, il faut bien se distraire.

POMALUIL. - Allons donc, je ne vois là aucune distraction, mais au contraire une appréhension terrible ; je suis sûr que le calme tant désiré par nous est à jamais troublé. Tu verras, Pulchérie, que tu regretteras ce que tu viens de faire.

MADAME POMALUIL. - Mais non, mais non !

POMALUIL. - Mais si, mais si ! (Il sort.)

MADAME POMALUIL. - Mais non, mais non ! Il est impossible, mon mari ! C'est très gentil, la campagne, avec sa tranquillité, mais ça devient un peu monotone. Si je l'écoutais, il faudrait vivre ici comme des sauvages, ne jamais parler à personne. C'est trop d'exigence ! Et puis, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, une fois n'est pas coutume !

MADAME TROUILLARDIN, entrant. - Pardon, chère madame. Je vous dérange peut-être ?

MADAME POMALUIL. - Madame Trouillardin, mais du tout, au contraire ; c'est bien aimable à vous de venir me voir.

MADAME TROUILLARDIN. - Je suis venue à la hâte vous dire deux mots, pour que vous ne nous attendiez pas ce soir ; il nous est impossible d'accepter votre aimable invitation.

MADAME POMALUIL. - Oh ! que c'est donc désolant !

MADAME TROUILLARDIN. - Le désespoir est pour nous, croyez-le bien, madame.

MADAME POMALUIL. - Mais quoi donc nous cause ce désappointement ?

MADAME TROUILLARDIN. - Une visite, madame, à vous dire vrai, une fâcheuse visite, qui nous privera de la délicieuse soirée que nous nous disposions à passer auprès de vous.

MADAME POMALUIL. - Oh ! vous m'en voyez confuse.

MADAME TROUILLARDIN. - Ce sont des parents qui nous arrivent de Paris !

MADAME POMALUIL. - Des parents ! mais pourquoi ne les amenez-vous pas ?

MADAME TROUILLARDIN. - Oh ! Vous êtes un million de fois très charmante, mais je craindrais d'abuser.

MADAME POMALUIL. - Vous me faites de la peine, de vous gêner ainsi ; les amis de nos amis sont nos amis, par conséquent leurs parents sont un peu les nôtres.

MADAME TROUILLARDIN. - Vous, êtes aussi charmante, que gracieuse, ma toute belle, mais je dois vous dire qu'ils sont assez nombreux.

MADAME POMALUIL. - Mais qu'est-ce que ça fait ? Tant mieux ! Plus on est de fous, plus on rit !

MADAME TROUILLARDIN. - Mais, pensez donc, nous attendons onze personnes !

MADAME POMALUIL. - Mais ça ne fait rien, je vous le répète. Amenez-les, nous nous amuserons comme il faut ! Vous avez un chapeau qui vous coiffe admirablement.

MADAME TROUILLARDIN. - Vous trouvez, madame ?

MADAME POMALUIL. - Oh ! dans la perfection ! Du reste, Vous avez une manière de le porter... Il faudra que vous me donniez l'adresse de votre modiste.

MADAME TROUILLARDIN. - Certainement, elle a un goût exquis, c'est vrai ; mais portés par vous, ses chapeaux auront infiniment plus de grâce.

MADAME POMALUIL. - Oh ! vous me flattez...

MADAME TROUILLARDIN. - Je vous assure que non, madame ! Allons, à tout à l'heure, n'est-ce pas ?

MADAME POMALUIL. - Parfaitement, à tout à l'heure. (Elles sortent.)

POMALUIL, entrant. - Je voudrais bien que cette journée soit terminée ; j'appréhende quelque chose d'ennuyeux. Quelle diable d'idée ma femme a-t-elle eue là !

MADAME POMALUIL, le rejoignant. - Ah ! Alcindor, je te cherchais, j'ai encore quelque chose à te dire.

POMALUIL. - Encore avec cet air mystérieux ! Est-ce que tu as invité tout le pays ?

MADAME POMALUIL. - Non, écoute-moi donc. Madame Trouillardin sort d'ici à l'instant ; elle venait me remercier et me dire qu'elle ne pouvait accepter notre invitation pour ce soir...

POMALUIL. - Ah ! bravo, tant mieux, j'aime mieux ça !...

MADAME POMALUIL. - Mais attends donc ! Elle craignait d'être indiscrète, parce qu'il va leur arriver des parents de Paris.

POMALUIL. - Ah bien, par exemple, j'espère bien que tu ne vas pas inviter ses parents ?

MADAME POMALUIL. - Mais si, c'est fait ! Pouvais-je faire autrement ?

POMALUIL. - Oh ! c'est trop fort ! Mais combien sont-ils ? Ils sont nombreux, peut-être ?

MADAME POMALUIL. - Pas trop ! Ils attendent onze personnes.

POMALUIL. - Comment, onze personnes ! Avec eux, ça fera treize. Mais où allons-nous caser tout ce monde-là ?

MADAME POMALUIL. - Eh bien ! on les serrera un peu !

POMALUIL. - Ma pauvre Pulchérie, tu verras les suites de ton imprudence.

MADAME POMALUIL. - Mais non, mais non, je te l'ai déjà dit, je crois : une fois n'est pas coutume. (Ils sortent en se disputant.) 

TROUILLARDIN,
entrant. - Ça, c'est pour nous éclabousser, tout simplement. Ces gens nous invitent à dîner sans nous connaître, pour nous montrer sans doute leur intérieur. Je vous demande un peu ! (Pomaluil se place derrière lui pour entendre ce qui se dit.) Des anciens épiciers, ça vous fait des fortunes en vendant de la mélasse ; c'est bête comme tout, mais voilà, c'est riche. (Il se retourne et aperçoit Pomaluil qui arrive.) Tiens, bonjour, cher monsieur ! comment allez-vous ?

POMALUIL, à part. - Ah ! c'est comme ça qu'il m'arrange, celui-là ! (Haut.) Parfaitement, cher voisin, et vous-même ?

TROUILLARDIN. - On ne peut mieux, vous êtes trop aimable, mille fois merci ! Dites-moi, cher monsieur, madame Pomaluil a eu la gracieuseté de nous inviter à dîner ; c'est une attention vraiment délicate, et à laquelle nous sommes très sensibles.

POMALUIL. - Mais, monsieur, tout le plaisir est pour nous, soyez-en bien convaincu.

TROUILLARDIN. - Je sais que vous êtes fort aimable, c'est ce qui m'engage à m'adresser encore à vous, pour solliciter un service.

POMALUIL, à part. - Allons, bon ! Est-ce qu'il va encore m'annoncer de nouveaux parents ? (Haut.) Ne vous gênez donc pas, cher monsieur, je vous en supplie.

TROUILLARDIN. - Je profiterai de cette liberté grande que vous m'offrez, et j'irai droit au but. Voici, monsieur, la chose. Parmi les onze personnes qui nous arrivent de Paris, et que vous voulez bien admettre à votre table, se trouve un de mes oncles qui a, je dois vous en prévenir, un caractère tout ce qu'il y a de plus original. C'est un ancien commandant de cavalerie, excellent homme, mais très méticuleux, très difficile à prendre. Je me permets donc, monsieur, de vous prier d'avoir pour lui les plus grands égards.

POMALUIL. - Mais, monsieur, soyez persuadé que j'ai l'habitude d'être très correct envers toutes les personnes que je reçois chez moi.

TROUILLARDIN. - Parbleu, je n'en doute pas, mais j'ai tenu à vous prévenir, dans le cas où sa brusquerie pourrait vous surprendre, et amener ainsi des complications qui me seraient fort préjudiciables, car je vous le confesse, c'est un oncle à héritage, et c'est pourquoi je tiens tant à le ménager.

POMALUIL. - Soyez tranquille, monsieur, j'aurai pour lui tous les égards nécessaires et, s'il le faut, là patience la plus souple.

TROUILLARDIN. - Merci mille fois, cher monsieur, et comptez sur ma profonde reconnaissance. À tout à l'heure, n'est-ce pas ? (Il sort.)

POMALUIL. - À tout à l'heure ! Elle est bonne, celle-là ! En voilà un qui vient me donner des leçons de politesse avant de venir manger mon bien ! (Il sort.)
 




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