THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LES PLAIDEURS MALGRÉ EUX

les plaideurs malgré eux, theatre de marionnettes duranty, freehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f294.item

Louis-Émile-Edmond Duranty

1880 - domaine public

PERSONNAGES
PREMIER AVOCAT.
DEUXIÈME AVOCAT.
PIERROT.
MADAME BÉGRICHE
LE PERROQUET.
LE CHAT.

PREMIÈRE PARTIE

UNE PLACE PUBLIQUE.


PREMIER AVOCAT. — Pas de cause, nulle cause, quid juris ? Pas de cause, pas de chausses, peu de chose et pas de chance ! quoi demonstrandum ? Pas de client ! Quomodo ! je crois que je vois poindre un être vivant là-bas : de par Dieu ! de gré ou de force j'en fais un client. Je suis las d'être affamé, mes entrailles hurlent. (Il prend un bâton. — Entre le deuxième Avocat.) — Quid ? quid ? mais c'est vous, mon confrère ? Je ne vous reconnaissais pas : pardon ! Errare humanum est ! Ah ! ...

DEUXIÈME AVOCAT. — Ah ! diable de métier ! Combien avez-vous eu de clients depuis que vous êtes dans la partie, amicus ?

PREMIER AVOCAT. — Pas un seul à me mettre sous la dent. Et vous ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Oh ! moi, j'en ai eu beaucoup... en songe.

PREMIER AVOCAT. — Aussi, nous sommes efflanqués comme des chats maigres.

DEUXIÈME AVOCAT. — Ma robe flotte non sur un corps, mais sur une asperge.

PREMIER AVOCAT. — Oh ! ne parlez point d'asperge à un homme dont l'estomac est vide comme une maison dévalisée.

DEUXIÈME AVOCAT. — Par le pétitoire, le possessoire, le décisoire, le résolutoire et le dilatoire ! j'aurai un client !

PREMIER AVOCAT. — Par le sinciput et le préciput, l'antichrèse et la rescision, le synallagmalique et le bilatéral, la potestative et l'alternative, le récognitif et le confirmatif, nous en aurons chacun un ! Et même il me vient une idée.

DEUXIÈME AVOCAT. — Je prends hypothèque.

PREMIER AVOCAT. — Permettez : les causes n'existant point, il en faut créer. Voyez, le ciel nous entend, j'aperçois Pierrot... Je vais l'inviter à plaider.

DEUXIÈME AVOCAT. — En attendant, j'irai à la recherche de quelque affaire. Que Dieu vous aide ! (Il sort. — Entre Pierrot.)

PIERROT. — Je n'aime point ces animaux-là. Qu'a-t-il à me flairer, celui-ci ? Est-ce que je sens le papier timbré et la paperasse ?

PREMIER AVOCAT. — Eh ! mon cher Pierrot !

PIERROT. — Eh ! monsieur de la paperasse !

PREMIER AVOCAT. — Eh ! Pierrot, vale amice ! Tu ne serais point de Normandie ?

PIERROT. — Eh non ! je suis de mon pays.

PREMIER AVOCAT — Bene responsum !

PIERROT. — Benêt vous-même et redponsom avec.

PREMIER AVOCAT. — Tu n'as point d'ennemis ?

PIERROT. — Oh ! que si !

PREMIER AVOCAT. — Ah ! ah ! bonne affaire ; il te faut leur faire un petit procès.

PIERROT. — Mes ennemis sont la colique, la mauvaise chance.

PREMIER AVOCAT. — Euh ! euh ! difficiles à assigner ; cependant... ils feraient défaut, on gagnerait tout de même...

PIERROT. — Qu'est-ce qu'on gagnerait ?

PREMIER AVOCAT. — Sa cause, mon ami ; avec quelques cents francs d'honoraires que tu me donnerais, je te ferais gagner.

PIERROT. — Gagner de l'argent ?

PREMIER AVOCAT. — Oui, nous demandons des dommages-intérêts.

PIERROT. — À la colique et à la mauvaise chance ?...

PREMIER AVOCAT. — Mais non, je parle de notre adversaire. Ne m'as-tu pas dit que tu vivais mal avec ton voisin ?

PIERROT. — Mais non ! Je n'ai pas de logement ni de voisin.

PREMIER AVOCAT. — On ne t'a pas battu ? on ne t'a pas injurié, diffamé, trompé, escroqué, molesté ?

PIERROT. — Oh ! que si.

PREMIER AVOCAT. — Eh donc ! nous irons au civil, au criminel et au commercial.

PIERROT. — Mais je ne me rappelle plus qui sont ceux qui m'ont fait tout ça.

PREMIER AVOCAT. — Tu ne voudrais pas faire pendre quelqu'un ?

PIERROT. — Ah ! pardine, non ! à moins que ce ne soit toi.

PREMIER AVOCAT. — Tu as la cervelle bien dure !... Tu neveux pas plaider ?

PIERROT. — Au diable ! je suis mal avec le Commissaire.

PREMIER. AVOCAT. — Tu as tort.

PIERROT. — Laisse-moi tranquille.

PREMIER AVOCAT. — Tu ne veux pas plaider, coquin ?

PIERROT. — Non.

PREMIER AVOCAT. — Ah ! scélérat l (Il le bat.)

PIERROT. — Ah ! le dos te démange...
(Il prend un bâton, que l'Avocat saisit par l'autre bout.)

PREMIER AVOCAT. — Coups et blessures, homicide volontaire avec préméditation.

PIERROT — Saute ! Avocat.

PREMIER AVOCAT. — Crimes contre les particuliers, menaces, calomnies.... Oh ! la belle affaire !

PIERROT (le rossant.) — Tiens ! c'est une action au bâtonnoire, celle-ci.

PREMIER AVOCAT. — Oui, Messieurs, cet homme, oubliant tous les principes... Aïe ! il m'assomme.

PIERROT (lui prenant sa toque.) J'y mettrai mon tabac. (Il se sauve.)

PREMIER AVOCAT (courant après lui.) — Ah ! ma toque ! ma toque !
(Entre l'autre Avocat avec madame Bégrice.)

DEUXIÈME AVOCAT. — Oui, Madame, oui, il faut plaider. Le monde périra si nous ne plaidons pas.

MADAME BÉGRICHE. — Mais je veux rester tranquille, êtes-vous sourd ? Je vous ai dit que je ne voulais pas plaider.

DEUXIÈME AVOCAT. — Pour vos enfants !

MADAME BÉGRICHE. — Je n'en ai pas ; je n'ai qu'un Perroquet.

DEUXIÈME AVOCAT. — Plaidons pour le Perroquet !

MADAME BÉGRICHE. — Mais non !

DEUXIÈME AVOCAT. — Le pauvre Perroquet, il serait si content !

MADAME BÉGRICHE. — Lui ? il n'en a pas envie. Laissez-moi !

DEUXIÈME AVOCAT (prenant un bâton.) — Je vous dis que vous plaiderez !

MADAME BÉGRICHE. — Il va m'assassiner ! (Elle se jette sur lui, le désarme, le bat et se sauve.)

DEUXIÈME AVOCAT. — Ah ! Seigneur ! des coups pour régal ! Ah ! voici mon confrère qui revient ; il aura été sans doute plus heureux.

PREMIER AVOCAT. — Pierrot, un drôle qui ne veut point avoir de procès ! ! !

DEUXIÈME AVOCAT. — Hélas ! Madame Bégriche ne le veut pas davantage.

PREMIER AVOCAT. — C'est inconcevable ! qu'allons-nous devenir ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Elle ne veut même pas que son Perroquet...

PREMIER AVOCAT. — Elle a un Perroquet, dites-vous ?... Nous sommes sauvés ! Ils auront des procès malgré eux. Où demeure-t-elle ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Ici, dans cette maison.

PREMIER AVOCAT. — Et Pierrot ?

DEUXIÈME AVOCAT. — En face. Je crois qu'il a un Chat.

PREMIER AVOCAT. — Un Chat ? tout va bien : nos clients sont trouvés. Vous aurez le Perroquet et moi le Chat.

DEUXIÈME AVOCAT. — Houm ! donnons une autre face à l'affaire. Je vous avoue que j'ai quelque appétit. Si nous profitions de l'absence de ces deux coquins pour nous emparer du Perroquet et du Chat, dont nous ferons notre souper ?

PREMIER AVOCAT. — Et nous mettrons nos clients aux prises : je conçois le projet. En chasse ! en chasse, amice !

DEUXIÈME AVOCAT. — Éviction et confusion, compensation et exception, licitation et récusation. À moi le Perroquet !

PREMIER AVOCAT. — Et à moi le Chat !
(Il sort. — Le Perroquet à la fenêtre.)

LE PERROQUET. — As-tu déjeuné, Jacquot ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Bonjour !

LE PERROQUET. — Bonjour !

DEUXIÈME AVOCAT. — Descends, mon ami, je te donnerai du rôt.

LE PERROQUET. — Du rrrôt ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Allons, viens !

LE PERROQUET (disparaissant.) — Du rrrôt ! (Dans la coulisse.) Du rrrôt ! (Entrant sur la scène.) Du rrrôt pour Jacquot ?

DEUXIÈME AVOCAT. — Allons, approche, mon ami Jacquot.

LE PERROQUET. — Avocat ! Avoc... cat... Avoc... cat ! ! ah ! ah ! ah ! ah !

DEUXIÈME AVOCAT. — Tu te moques de moi !

LE PERROQUET. — De moi !... Préchi... prêcha !  !

DEUXIÈME AVOCAT. — Approche un peu.

LE PERROQUET. — Avoc... cat... sans rrrôt ! !

DEUXIÈME AVOCAT. — Jacquot ! Jacquot ! !

LE PERROQUET. — Je ne vois pas de rrrôt ! !

DEUXIÈME AVOCAT. — Je l'ai dans ma toque.

LE PERROQUET. — Porrrtez... arrrme !

DEUXIÈME AVOCAT (lui jetant sa toque dessus.) — Ah ! je te liens.

LE PERROQUET (se débattant et criant.) — Pendez l'Avoc... cat ! Au sec... ours !... c'est l'Avoc... cat !

DEUXIÈME AVOCAT (l'étouffant.) — As-tu fini de crier, méchante bête ? Ah ! je lui ai tordu le cou ! Voici mon rôti, allons le plumer.
(Il sort. — L'autre Avocat entre.)

PREMIER AVOCAT. — Miaou ! miaou ! minon, minon ! Je viens du grenier, j'ai passé partout, ce Chat ne vient pas : Minon, minon !

 




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