THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

MADAME NIFLANGUILLE. — Le lâche ! (En voulant lui lancer son traversin, elle atteint le médecin.)

CATACLYSTERIUM. — Eh mais ! c'est la fièvre chaude !

NIFLANGUILLE. — Clystero-purgati... (Il jette son matelas sur le médecin.)

MADAME NIFLANGUILLE. — Mingito-carabo... (Elle fait comme Niflanguille.) 

CATACLYSTERIUM (leur lançant à son tour tout ce qui lui tombe sous la main.) — Eh ! là ! diables de fous. Ils vont devenir malades pour tout de bon ! Vous allez mourir ! gare à l'apoplexie, malheureux ! (Recouchant Niflanguille.) Un peu de tranquillité, donc !

NIFLANGUILLE. — Elle m'irrite par son ignorance de la médecine.

MADAME NIFLANGUILLE. — N'est-ce pas, docteur, que je la connais mieux que lui ?

CATACLYSTERIUM. — Vous la savez tous deux aussi bien que moi. (Il fait recoucher madame Niflanguille. — Le Domestique entre, apportant son lit.) C'est cela ! je veux vous avoir tous sous la main.

LE DOMESTIQUE (éternuant et toussant.) — Quelle poussière il y a ici !

CATACLYSTERIUM. — C'est bien ! Couche-toi et ne prononce plus un mot. Le silence est bon aux malades. (Le Domestique se couche.) Chut ! Nous allons maintenant nous réconforter. (Il se dispose à manger.)

NIFLANGUILLE. — Mais, docteur, je vous assure que je me sens un appétit...

CATACLYSTERIUM. — Inflammation au suprême degré ! Ne parlez point, pour l'amour de Dieu !

MADAME NIFLANGUILLE. — Vraiment, docteur, je mangerais...

CATACLYSTERIUM. — Pauvre femme ! ne dites point cela, vous me fendez l'âme. C'est le délire...

LE DOMESTIQUE. — Mais je voudrais bien être soigné, moi ! je veux de la tisane, quelque chose.

CATACLYSTERIUM. — Chut ! infortuné, imprudent. Laissez le médecin prendre des forces ! Là ! c'est fait. Maintenant, je vais vous aller chercher quelques médicaments. Où trouverai-je un peu d'argent dans la maison ? Eh bien ! personne ne répond ? Il faut parler, je ne puis vous soigner sans médicaments, et il nous faut de l'argent pour...

NIFLANGUILLE. — Vous nous avez recommandé de ne point parler.

CATACLYSTERIUM (ouvrant une armoire.) — C'est ici qu'est l'argent, justement.

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais, mais, monsieur Cataclysterium.

CATACLYSTERIUM. — Chut ! Madame, chut ! (Il prend un sac d'argent.)

NIFLANGUILLE. — Mais, mais, les drogues sont donc bien chères ?

CATACLYSTERIUM. — Quand on a de telles maladies... (Il sort.)

NIFLANGUILLE. — C'est que... il en a beaucoup pris. Où te sens-tu mal, ma femme ?

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais... je ne sais... nulle part.

NIFLANGUILLE (au Domestique.) — Et toi ?

LE DOMESTIQUE. — Mais... moi... c'est comme Madame.

NIFLANGUILLE. — Et moi de même ! Êtes-vous bien sûrs que nous soyons malades ?

LE DOMESTIQUE. — Puisque c'est des maladies si terribles qu'on ne les sent pas.

NIFLANGUILLE. — C'est drôle... Je vais me lever. (Il se lève.)

MADAME NIFLANGUILLE. — Moi aussi... Cela ne nous fera pas de mal. (Elle se lève.)

LE DOMESTIQUE. — Moi, je reste au lit. Cela ne m'arrive pas si souvent de faire la grasse matinée.

NIFLANGUILLE. — Tu vas te lever, drôle !

LE DOMESTIQUE. — Mais je ne veux point mourir ! le médecin l'a défendu.

LA VOIX DE CATACLYSTERIUM. — Me voici ! mes amis, ne vous impatientez point.

NIFLANGUILLE. — Oh ! le docteur ! (Il se fourre dans son lit.)

MADAME NIFLANGUILLE. — Que va-t-il dire ? (Elle en fait autant.)

CATACLYSTERIUM (entrant avec un grand mortier et une seringue.) — Ah ! ah ! vous n'avez pas bougé, c'est bien ! (À part.) Ils sont bien bons ! (Haut.) J'apporte de bonnes petites drogues...

LE DOMESTIQUE. — Ah bien ! je vais me régaler.

CATACLYSTERIUM (pilant dans le mortier.) — Vous m'en direz des nouvelles.

NIFLANGUILLE. — Ma femme dit qu'elle n'a mal nulle part.

CATACLYSTERIUM. — C'est qu'elle a mal partout. Voyons ! nous allons commencer par elle. (Il va avec le mortier près de Madame Niflanguille et lui présente à boire.)

MADAME NIFLANGUILLE. — Eh ! eh ! ne levez pas tant.

CATACLYSTERIUM (la coiffant avec le mortier.) — Ah ! mon Dieu ! vous êtes trop avide, vous y mettez la tête tout entière.

MADAME NIFLANGUILLE (se débattant.) — Pouah ! pouah !... j'étrangle... (Elle se dégage.) Ah ! ouh !

LE DOMESTIQUE. — Il n'en restera point pour nous !

CATACLYSTERIUM. — Malheureusement non ! Il faut que je retourne en chercher d'autres. (Il va à l'armoire.)

NIFLANGUILLE. — Hé ! hé ! monsieur Cataclysterium !

CATACLYSTERIUM. — Il faut d'autre argent pour acheter d'autres drogues.

NIFLANGUILLE (se levant et courant à lui.) — Mais vous ne marchandez peut-être pas assez.

CATACLYSTERIUM (luttant avec lui.) — Vous allez contracter une troisième maladie, je vous préviens que vous n'en guérirez pas. (Battant Niflanguille.) Calmez-vous. (Il met un sac d'argent dans le mortier et emporte le tout.)

LE DOMESTIQUE. — Croyez-vous que ce soit un bon médecin ?

NIFLANGUILLE. — Jusqu'ici, il n'a saigné que mon secrétaire et ma bourse. Ma femme, que sentait la drogue qu'il vous a fait boire ?

MADAME NIFLANGUILLE. — Cela ressemblait beaucoup à de l'eau claire...

LE DOMESTIQUE. — Ce n'était point une certaine eau ?...

NIFLANGUILLE. — Je commence à me méfier de ce Cataclysterium. Il a mangé notre déjeuner, il m'a emporté mon argent. Et, quant à moi, je me sens en effet plusieurs maladies depuis qu'il est ici : j'ai l'estomac creux de n'avoir point déjeuné et j'ai le cœur gros de voir dévaliser mon armoire...

CATACLYSTERIUM (rentrant avec son mortier.) — Le malheur est réparé... Ah ça ! vous êtes encore debout... vous ?... voulez-vous m'obéir, oui ou non ? (Prenant la seringue et le battant.) Au lit ! au lit ! et qu'on n'en bouge plus sans ma permission !

NIFLANGUILLE (se remettant au lit.) — Mais si vous nous assommez, il faudra bien que nous nous portions mal.

CATACLYSTERIUM. — Si vous n'avez point de confiance, vous mourrez.

MADAME NIFLANGUILLE. — Monsieur Cataclysterium, je vous assure que la drogue que vous m'avez donnée m'a délivrée immédiatement de tout mal.

CATACLYSTERIUM. — Vous m'étonnez beaucoup...

MADAME NIFLANGUILLE. — Je vous l'affirme.

CATACLYSTERIUM. — C'est impossible !

MADAME NIFLANGUILLE. — Je suis guérie.

CATACLYSTERIUM. — Non, non, pas si vite !

LE DOMESTIQUE. — Mais je voudrais bien être drogué, moi, à la fin.

CATACLYSTERIUM. — D'abord ton maître, mon garçon. (Allant à Niflanguille avec le mortier.) Buvez, mais avec quelque précaution.

NIFLANGUILLE. — Ouais ! ne levez pas tant le bras. Les drogues sont si chères que, pour mieux les ménager, je n'en prendrais pas du tout.

CATACLYSTERIUM (le coiffant avec le mortier.) — Allons, bon ! voilà que vous avez fait un mouvement. Tout est perdu encore ! Il faut recommencer. (Allant à l'armoire.) Quoi qu'il en coûte, il faut que je vous tire de ce mauvais pas.

NIFLANGUILLE. — Ah ! c'est trop fort ! Je suis sûr qu'il nous vole ! Ma femme, mon domestique, aidez-moi ! (S'armant de la seringue et sautant sur Cataclysterium.) Drôle, tu te moques de nous.

CATACLYSTERIUM (s'emparant d'un autre sac d'argent.) — Tu me payeras ton ingratitude !

NIFLANGUILLE. — Je m'en aperçois bien ! (Il le bat, en luttant ils culbutent sens dessus dessous le lit où est le Domestique.)

LE DOMESTIQUE. — Qu'est-ce que c'est que ce traitement-là ? Je n'en veux point ! (Il se relève.)

MADAME NIFLANGUILLE (se joignant à son mari.) — Ah ! scélérat de Cataclysterium !
(Cataclysterium court tout autour de la chambre, poursuivi par les trois autres, qui vont à la file.)

NIFLANGUILLE (renversant Cataclysterium d'un coup de seringue.) — Ah ! coquin ! tu vas confesser tes péchés ou nous te clystérisons à mort !

CATACLYSTERIUM. — Hélas ! mes bons amis, ne me faites pas de mal : je me suis trompé !

MADAME NIFLANGUILLE. — Qu'avais-tu mis dans ton mortier ?

CATACLYSTERIUM. — Hélas !

NIFLANGUILLE (le frappant.) — Parle, ou tu recevras cinq-cents drachmes de torgnoles.

CATACLYSTERIUM. — Hélas ! c'était du poison !

LE DOMESTIQUE. — Aïe ! que je suis content de n'en avoir pas bu !

NIFLANGUILLE. — Du poison !

CATACLYSTERIUM. — Et il n'y a que moi qui puisse vous sauver !

NIFLANGUILLE. — Tu nous as empoisonnés, brigand ! eh bien ! tu mourras avec nous ! (Il le bat.)

MADAME NIFLANGUILLE. — Nous mourrons tous ensemble ! (Elle le bat aussi.)

CATACLYSTERIUM. — Aïe ! aïe ! non, ce n'était pas du poison, c'était de la bonne eau claire !

LE DOMESTIQUE. — Ah bien ! je suis tout aussi content de n'en avoir pas bu !

NIFLANGUILLE. — Ainsi, tu nous as fait payer chaque pot d'eau claire mille écus, fourbe !

CATACLYSTERIUM. — Hélas ! c'était pour faire ma réputation !

NIFLANGUILLE. — Où est mon argent ?

CATACLYSTERIUM. — Il est dans ma chambre.

MADAME NIFLANGUILLE. — Allons vite le reprendre !

NIFLANGUILLE. — Marche, coquin ! conduis-nous ! Non, le Domestique va aller chercher cet argent !

LE DOMESTIQUE. — Et je reviendrai à temps pour pouvoir le rosser tout mon content ! (Il sort.)

NIFLANGUILLE (à Cataclysterium.) — Ainsi, tu nous as supposé de fausses maladies ?

CATACLYSTERIUM. — Oui ! oui !

NIFLANGUILLE. — Tu nous as tous fait coucher pour mieux boire, manger et piller ?

CATACLYSTERIUM. — Oui ! oui !

NIFLANGUILLE — C'était un plan arrêté ?

CATACLYSTERIUM. — Oui ! oui !

NIFLANGUILLE. — Tu nous as menti en te faisant passer pour un bon médecin ?

CATACLYSTERIUM. — Oui ! oui !

NIFLANGUILLE. — Je veux que tu renonces à la médecine !

CATACLYSTERIUM. — Oui, oui !

NIFLANGUILLE. — Pourquoi réponds-tu : Oui, oui, à tout coup, au lieu de te justifier ?

CATACLYSTERIUM. — C'est pour que vous me laissiez partir plus tôt.

LE DOMESTIQUE (rentrant.) — Voilà l'argent !

NIFLANGUILLE. — Eh bien ! faisons tous ensemble la conduite à ce drôle !
(Tous trois raccompagnent en le battant.)
 

FIN




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