THÉÂTRE  DE  MARIONNETTES
 
 

LES DROGUES DE CATACLYSTERIUM

les drogues de cataclysterium, pièce de theatre de marionnettes, duranty

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55103720/f454.item

Louis-Émile-Edmond Duranty

1880 - domaine public

 

PERSONNAGES

CATACLYSTERIUM. NIFLANGUILLE. MADAME NIFLANGUILLE.
LE DOMESTIQUE.


UNE CHAMBRE.
 

NIFLANGUILLE. — Jamais je ne me suis senti si bien portant.

LE DOMESTIQUE. — Seigneur Niflanguille, voici l'illustre docteur Cataclysterium.

NIFLANGUILLE. — Que nous veut-il ? nous n'avons pas besoin de lui. (Cataclysterium entre.)

CATACLYSTERIUM (au Domestique.) — Tu es fort malade, toi, coquin !

LE DOMESTIQUE. — Moi ? mais non !

CATACLYSTERIUM. — Je te dis que tu es très malade. Tu ne vas pas tarder à mourir.

LE DOMESTIQUE. — Moi ? ah ! mon Dieu : mais faut-il que je me soigne ?

CATACLYSTERIUM. — Comment, s'il le faut ! Sois tranquille, je te dirai ton cas tout à l'heure ! Il est effrayant !

LE DOMESTIQUE. — Eh ! mais, monsieur le médecin...

NIFLANGUILLE. — Hé ! hé ! illustre docteur, c'est donc pour mon Domestique que vous êtes venu ! Sors, coquin... (Le Domestique sort.)

CATACLYSTERIUM. — Ah ! ah ! à la bonne heure ! Oh ! mais vous êtes, vous aussi, très malade ! Ah ! ah ! tout est bien alors.

NIFLANGUILLE. — Mais il n'y a pas de quoi se réjouir !

CATACLYSTERIUM. — Voyons les diagnostics ! Tapez un peu votre tête sur ce mur.

NIFLANGUILLE. — Comment ! mais cela me fera mal !

CATACLYSTERIUM. — Tapez, tapez, il faut voir votre cas.

NIFLANGUILLE (cognant légèrement sa tête contre la muraille.) — C'est fait !

CATACLYSTERIUM (lui heurtant rudement la tête au mur.) — Comme ceci !

NIFLANGUILLE. — Aïe !

CATACLYSTERIUM. — Oui, oui, pesanteur et roideur dans la tête : c'est évident !

NIFLANGUILLE (lui donnant un grand coup de tête qui le renverse.) — Oh ! un mouvement nerveux !

CATACLYSTERIUM (se relevant.) — Hum ! consultons à distance.

NIFLANGUILLE. — Qu'est-ce que j'ai ?

CATACLYSTERIUM. — Hum ! il faut réfléchir... Mettez d'abord un grand bonnet de cot...

LE DOMESTIQUE (entrant.) — Monsieur le docteur, dites-moi mon cas... s'il vous pl...

NIFLANGUILLE. — Veux-tu sortir, drôle... (Le Domestique sort.) Vous disiez que...

CATACLYSTERIUM (prenant un bâton.) — Attendez, il faut ausculter. Ne bougez pas !
(Il lève le bâton, Niflanguille fait un mouvement et reçoit le coup sur la tête.)  NIFLANGUILLE. — Aie ! docteur !

CATACLYSTERIUM. — Très bien ! très bien ! détestable symptôme !

NIFLANGUILLE. — Comment ! comment !... mais enfin, qu'ai-je ?

CATACLYSTERIUM. — Hum ! vous avez...

LE DOMESTIQUE (entrant.) — Monsieur le docteur, mon cas ?

CATACLYSTERIUM. — Il a raison, un cas.

NIFLANGUILLE. — Mais, bandit ! ce n'est pas pour toi que je consulte... je te chasse.

(Le Domestique sort.) 

CATACLYSTERIUM. — Vous êtes malade !

NIFLANGUILLE. — Je le sais bien.

CATACLYSTERIUM. — Vous n'en savez rien du tout ! Il n'y a que moi qui puis le savoir.

NIFLANGUILLE. — Comment ! je ne le sais pas ?

CATACLYSTERIUM. — Non !

NIFLANGUILLE. — Je ne sais pas si je suis malade ?

CATACLYSTERIUM. — Non, ne connaissant point la médecine.

NIFLANGUILLE. — Oh ! ! enfin, qu'ai-je ?

CATACLYSTERIUM. — Hum ! une horrible maladie : une... Il faut promptement vous coucher.

NIFLANGUILLE. — Me coucher ?

CATACLYSTERIUM. — Sans perdre un moment ! si vous tenez à la vie.

NIFLANGUILLE. — Hélas ! je comptais me divertir aujourd'hui et me régaler.

CATACLYSTERIUM. — Ah ! malheureux, réjouissez-vous au contraire que je vous empêche de le faire.

NIFLANGUILLE (se couchant.) — Hélas ! docteur, mais enfin qu'ai-je donc ?

CATACLYSTERIUM. — Hum ! hum ! une... une...

LE DOMESTIQUE (ouvrant la porte.) — Monsieur le docteur, il me faut savoir mon cas...

CATACLYSTERIUM. — Hyperpéripatholomorbipituipepsie.

LE DOMESTIQUE. — Oh ! que je suis malheureux !

NIFLANGUILLE. — Mais non, coquin, c'est moi !

LE DOMESTIQUE. — Hélas ! mais si, c'est moi !

NIFLANGUILLE. — Tu oses me disputer ma maladie ?

LE DOMESTIQUE. — Je la liens, je ne la lâcherai pas !

NIFLANGUILLE. — Est-ce qu'elle est faite pour des gens de ton espèce ?

LE DOMESTIQUE. — Je la reconnais bien, je la sens dans toute sa longueur.

NIFLANGUILLE. — Je te chasse, si tu l'as !

LE DOMESTIQUE. — Demandez plutôt au docteur.

CATACLYSTERIUM. — Il peut bien l'avoir ! Tel maître, tel valet !

NIFLANGUILLE. — Alors, ne pourra-l-il prendre les drogues pour moi et pour lui ?

CATACLYSTERIUM. — Je t'ai dit, coquin, que je t'examinerai tout à heure. Va-t'en !
(Le Domestique sort.)

NIFLANGUILLE. — Que dois-je faire ?

CATACLYSTERIUM. — Je vais vous envoyer quelques drogues. À propos, comment va votre femme ?

NIFLANGUILLE. — Elle se porte fort bien.

CATACLYSTERIUM. — Hum ! elle doit être malade. Je veux la voir !

NIFLANGUILLE (appelant.) — Ma femme ! ma femme !
(Entre madame Niflanguille.)


MADAME NIFLANGUILLE. — Que voulez-vous ?

CATACLYSTERIUM. — Oh ! oh ! elle est horriblement malade.

MADAME NIFLANGUILLE. — Moi ? pas du tout !

CATACLYSTERIUM. — Mais si, et vous n'allez pas tarder à mourir.

MADAME NIFLANGUILLE. — À mourir ! mais qu'ai-je donc ?

CATACLYSTERIUM. — Une hépathicatapneumothérapeugastronévrose.

NIFLANGUILLE. — Grand Dieu ! sa maladie a une syllabe de plus que la mienne.

MADAME NIFLANGUILLE. — Et je vais mourir ?

CATACLYSTERIUM. — Peut-être, si vous ne vous couchez sur le champ. Allons, vite ! dressez un lit à côté de celui de votre mari.

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais je me sentais en bon appétit et je me préparais à déjeuner...

CATACLYSTERIUM. — Peuh ! ! Du tout ! ce serait la mort, malheureuse : couchez-vous, couchez-vous vite.

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais...

CATACLYSTERIUM. — Point de mais ou la mort !

MADAME NIFLANGUILLE. — Je vais faire un lit.

NIFLANGUILLE. — Certainement, tu as une épouvantable maladie !

CATACLYSTERIUM. — Comme on n'en a jamais vu !

MADAME NIFLANGUILLE. — Attendez, je vais arranger cela. (Elle sort.)

CATACLYSTERIUM. — Si je n'étais venu, vous seriez tous perdus.

MADAME NIFLANGUILLE (rentrant avec un lit de sangle et des matelas que le docteur dispose.) — Ah ! mon Dieu, on se croit en bonne santé et on est sous le coup de la mort. (Elle se met dans le lit.)

CATACLYSTERIUM. — Bien ! bien ! vous êtes raisonnable ! (Entre le Domestique.) Il faut que tu te couches, coquin, et tout de suite !

LE DOMESTIQUE. — Est-ce que mon holotolomonopolepsie a augmenté déjà ? Aïe ! aïe !

CATACLYSTERIUM. — Allons, allons ! au LIt, au lit !

LE DOMESTIQUE. — Je me dépêche.

CATACLYSTERIUM. — À propos ! tu apporteras en même temps le déjeuner de tes maîtres.

LE DOMESTIQUE. — Tout de suite. (Il sort.)

NIFLANGUILLE. — Mais rien ne me fait mal, docteur !

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais ni moi non plus.

CATACLYSTERIUM. — Mes enfants, c'est l'effet d'une horrible fièvre ! Symptôme effrayant !

LE DOMESTIQUE (apportant la table et le déjeuner.) — Voilà.

CATACLYSTERIUM. — Maintenant, hâte-toi de te coucher.

LE DOMESTIQUE. — Oh ! oh ! vous me guérirez ?

CATACLYSTERIUM. — N'aie pas peur !
(Le Domestique sort.)

NIFLANGUILLE. — Docteur, pourriez-vous me répéter le nom de ma maladie ? je ne me le rappelle plus.

MADAME NIFLANGUILLE. — Ni moi, celui de la mienne.

CATACLYSTERIUM (à part.) — Ni moi non plus ! (Haut.) Hum ! hum ! Vous, Madame, c'est une enléripalpiticongestiopulmosciaticochlorée aiguë.

MADAME NIFLANGUILLE. — Mais je croyais avoir entendu un autre nom tout à l'heure ?

CATACLYSTERIUM. — Eh bien ! c'est que vous les avez toutes les deux.

MADAME NIFLANGUILLE. — Est-il possible que de pareilles choses si grosses à dire entrent chez vous et en vous...

CATACLYSTERIUM — Sans se faire annoncer... et que des choses invisibles et insensibles puissent avoir un nom si net et si compliqué !

NIFLANGUILLE. — Et moi, illustre docteur ?

CATACLYSTERIUM. — Vous, quoi ?

NIFLANGUILLE. — Faites-moi épeler le nom de mon mal.

CATACLYSTERIUM. — Une ca-ta-plas-mo-se-rin-guo-diathesocachexi (bredouillant) meningitoperpueralicerebroscarlatine.

NIFLANGUILLE. — Ca-ta-plas-mo...

MADAME NIFLANGUILLE. — Mingito-carabo...

NIFLANGUILLE. — Non, non ! ce n'est pas ça ! Clystero-purgati...

MADAME NIFLANGUILLE. — Pas du tout !

NIFLANGUILLE. — Je te dis que si !

MADAME NIFLANGUILLE. — Je te dis que non !

NIFLANGUILLE. — Ne m'exaspère pas !

MADAME NIFLANGUILLE. — Je n'ai jamais vu pareille bêle !

NIFLANGUILLE. — Tu me payeras cette contradiction ! (Il veut lui jeter son bonnet de coton à la tête et attrape Cataclysterium.)

CATACLYSTERIUM. — Eh ! eh ! mes amis : la fièvre.





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